On recenserait en France plus de 45 000 clochers et tours au-dessus de nos chapelles, cathédrales, basiliques et autres églises. Apprenons à observer ces prouesses d’architecture.
Vous cherchez l’église ? Trouvez le clocher. Aux automobilistes ou aux piétons égarés, combien de fois la tour a-t-elle servi de phare à quoi s’accrocher ? Vous pouvez les juger hautes, robustes, ravissantes ou laides… Mais qu’en dire de plus ? Voici quelques points de repère à travers des exemples piochés dans toute la France.
Tour ou clocher sont-ils synonymes ?
Avant de partir en voyage, soyez au clair avec les 4 définitions suivantes. J’entends beaucoup de confusion entre tour, clocher, flèche et campanile.
Tour
C’est une construction plus haute que large qui domine les églises, mais pas toutes. Car bâtir une tour implique beaucoup d’argent, une maîtrise technique et un risque : l’écroulement.
Clocher
C’est une tour qui contient des cloches. De cette définition simple, résulte une conséquence qui pourrait provoquer un séisme dans votre esprit : les tours d’une église ne sont pas toutes des clochers. On n’y met pas toujours des cloches. Dans ce cas, à quoi servent ces tours ? Patience, je vous le révèle quelques lignes plus bas.
Flèche
C’est une construction pointue et élancée qui chapeaute certaines tours (plus rarement certains toits comme sur la cathédrale d’Amiens). Grâce à ces flèches, des églises tutoient les nuages : la cathédrale de Rouen atteint 151 m, celle de Cologne 157 m, l’église d’Ulm (c’est aussi en Allemagne) 161 m. Le record mondial se trouve néanmoins de l’autre côté de l’Atlantique : le temple protestant de Chicago, un gratte-ciel conclu par une flèche, triomphe à 173 m.
- Lire aussi les cathédrales les plus hautes de France
Campanile
Un Italien vous dira : « un campanile, c’est simple : c’est un clocher ». Un Provençal corrigera : « non, chez nous, c’est une petite structure métallique ou charpentée qui porte les cloches, au-dessus d’un toit ou d’une tour ». Enfin, quelques spécialistes de l’architecture religieuse s’emporteront : « mais pas du tout ! Un campanile, c’est un clocher très particulier. Il ne surmonte pas une église ou ne le flanque pas ; il en est détaché de quelques mètres ». Et de vous citer le plus célèbre campanile du monde : la Tour de Pise. Sachez que toutes ces personnes ont raison. Même celles qui vous disent que c’est une chaîne d’hôtels-restaurants.
Des tours multifonctions
Comme souvent en architecture, les tours ont un rôle autant utilitaire que symbolique.
- Porter les cloches… s’il s’agit d’un clocher. Leur volée invite les fidèles aux offices, avertit la population d’un danger (incendie, approche d’un ennemi) ou célèbre un grand événement comme l’entrée d’un prince.
- Marquer le territoire. Comme le dit l’architecte Viollet-le-Duc, les tours sont un « signe visible de la grandeur de la cité, et de sa richesse ». Plus elles sont grosses, hautes, et nombreuses, plus le clergé ou les habitants en tirent orgueil. D’où des compétitions entre villes, mais aussi au sein même d’une ville, pour bâtir le clocher le plus impressionnant.
- Exprimer une domination. Comme chez les châtelains, planter une tour signifie pour un abbé, un évêque ou une autre autorité religieuse se présenter comme maître du secteur. « Un curé n’a besoin d’autre titre que de son clocher pour demander ses dîmes », dit le proverbe.
- Relier le ciel et la terre. On touche ici à une autre dimension symbolique des tours. Elles sont l’axe vertical par lequel les hommes et le clergé d’ici-bas échangent avec Dieu.
- Introduire un surcroît de lumière de l’édifice. Cet avantage ne concerne que les tours lanternes : leurs fenêtres éclairent l’intérieur de l’église, au niveau du transept.
- Se défendre et guetter. Certains tours ressemblent à de petits donjons. Elles sont surmontées de créneaux, elles présentent peu de baies. En cas de troubles, on poste dans le clocher une vigie dans la crainte de l’irruption de brigands ou de soldats.
Clocher ou simple tour ?
Histoire de ne pas vous laisser inactif cette semaine, voici votre exercice d’observation : puisqu’une tour d’église n’est pas forcément un clocher, comment s’assurer être devant un clocher ?
Utilisez ma méthode empirique.
Si l’église ne possède qu’une tour, vous pouvez miser votre chemise que c’est aussi un clocher. L’affaire se complique en cas de multiples tours. Pensez aux 5 tours de la cathédrale de Laon ! Que faire dans cette situation sans s’arracher les cheveux ?
Si la tour présente des fenêtres vitrées, ce n’est pas un clocher, puisque le son des cloches ne pourrait pas se répandre. Si les baies sont habillées d’abat-sons, votez évidemment « clocher ».
Si les baies sont ouvertes, pas de chance : ce peut être un clocher ou une simple tour.
Il ne vous reste plus qu’à surveiller votre montre et à tendre l’oreille.
Tour de France des clochers emblématiques ou magnifiques
« L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame » se vantait un Napoléon revanchard après son exil sur l’île d’Elbe. Faisons comme l’empereur, mais prenons notre propre chemin.
Projets trop démesurés
La cathédrale de Chartres devait être scandée de 8 tours (on n’en réalisa que 3). Celle de Rouen devait en avoir 7 (les bâtisseurs s’arrêtèrent aussi à 3). Ces projets ambitieux se sont déballonnés face à l’ampleur des coûts.
À Laon, l’évêque et ses chanoines, autant habités par le gigantisme de leurs collègues rouennais ou chartrains, ont presque réussi leur pari. Ils envisageaient 7 tours. Ils en édifièrent 5. Ce qui vaut à cette cathédrale de l’Aisne de détenir le record français de tours.
Notez leurs emplacements : 2 en façade, 2 aux extrémités du transept et 1 au centre, au-dessus de la croisée.
Je parle un peu de cette belle cathédrale dans cet article.
XIIe siècle : naissance d’une silhouette familière
Qui connaît cette église perdue dans la campagne picarde ? Les circuits touristiques l’ignorent. Pourtant, Saint-Vaast-de-Longmont est l’une des premières à adopter une forme de tour appelée à être imitée dans tout le royaume : la tour en pierre se termine par une flèche complétée de clochetons aux angles. Assurément, cela donne aux édifices religieux une élégante silhouette.
Le clocher de charpente
Restons à la campagne. Dans des villages en manque d’argent et de pierre, on choisit le bois pour bâtir le clocher. Le tout recouvert d’ardoises, parfois de tuiles. Ces charpentes permettent à de modestes églises de rivaliser en hauteur avec les tours maçonnées.
Symétrie
La cathédrale de Reims affiche une façade dominée par deux tours parfaitement symétriques. On appelle cette silhouette en U une façade harmonique.
J’évoque ma visite de ce monument dans mon tour de France des cathédrales.
Ravissante flèche
À Senlis, la tour sud de la cathédrale part d’une base carrée quelconque, puis adopte un plan octogonal (en partie masqué par 4 clochetons aux angles), et se conclut par une flèche percée de 8 baies. Résultat, l’une des plus belles tours gothiques du XIIIe siècle.
Record de hauteur
Au milieu du XIVe siècle, la cathédrale de Strasbourg ressemble à Notre-Dame de Paris : sa façade principale présente deux tours symétriques. Vers 1372 le maître d’œuvre Conrad comble l’espace entre les deux. Les architectes suivants surélèvent l’ancienne tour nord et la coiffent d’une flèche culminant à 142 m. Ainsi la cathédrale de Strasbourg est devenue en 1490 le plus haut monument jamais construit par les hommes du Moyen Âge.
Ne me dites pas que c’est un beau clocher. Sinon, je vais vous sonner les cloches. En effet, ce n’est pas un clocher puisque ne s’y trouve aucune sonnerie.
Le modèle toulousain
À voir les photos de certaines églises, vous pouvez deviner dans quelle région de France vous êtes même si vous n’y avez jamais mis les pieds. Preuve avec ce clocher de la cathédrale de Rieux-Volvestre. Tour octogonale en brique, arc en mitre (voir mon article sur les types d’arcs), balustrade au sommet : bienvenue dans le Midi Toulousain. Là-bas, de nombreuses grandes églises imitent la forme du clocher de la prestigieuse basilique Saint-Sernin de Toulouse.
Le modèle breton
Comme dans le midi toulousain, les églises bretonnes se singularisent par une silhouette reconnaissable entre mille. À la base de la flèche en pierre, la tour possède une sorte de balcon.
Une tour financée par les pécheurs
Aux XVe et XVIe siècles, le clergé commandite de puissantes tours gothiques flamboyantes pour flanquer leur église. Pour cela, il faut tout de même des coffres remplis d’argent. À Rouen, l’archevêque Guillaume d’Estouteville eut une idée. Il obtient l’autorisation du pape de soumettre les gourmands à une pénitence tarifée : aux bienfaiteurs qui contribueraient financièrement à la tour, il sera permis de consommer du lait et du beurre en période de carême. Or, en Normandie, comment vivre sans ? De là, le surnom donné à la construction : la tour de Beurre (la cathédrale de Bourges en a une pour la même raison).
Ces tours flamboyantes sont remarquables par leur hauteur et leur décoration sculptée. Avec ce principe : l’étage le plus élevé est le plus travaillé.
Les clochers après le Moyen Âge
A partir du XVIIe siècle, les clochers s’arrondissent en dôme.
Avez-vous remarqué l’autre particularité de cette église ? Regardez la couverture. Sa couleur pâle trahit des essentes, c’est-à-dire des tuiles de bois. Un régal pour le feu.
Tour du XXe siècle
Le béton n’a pas la cote chez les amateurs de patrimoine médiéval. Cependant, j’avoue être fasciné par l’intérieur du clocher de Saint-Joseph au Havre. 84 m de hauteur, et des murs incrustés de vitraux multicolores. Une œuvre saisissante de l’architecte Auguste Perret dans les années 1950.
Forts de tous ces exemples, vous êtes maintenant sensibilisés à la variété architecturale des tours. Au pied de l’une d’entre elles, soyez désormais attentifs :
- Déterminer la fonction : clocher ou simple tour
- Déterminer leur emplacement : en façade, au-dessus de la croisée du transept, sur les côtés
- Connaître la hauteur. Un panneau touristique peut souffler la réponse. Peu d’églises de campagne dépassent 40 m.
- Compter le nombre d’étages
- Déterminer le plan : carré, rectangulaire, parfois octogonal, exceptionnellement rond
- Reconnaître les matériaux de la tour et de la couverture : pierre, bois, tuile, ardoise, bardeaux
- Évaluer la silhouette de la tour : plate, toit pyramidal, flèche, flèche à clochetons, clocher-mur…. Est-ce un modèle régional ?
Prenez votre voiture et partez sur la route des clochers. Avant d’allumer le contact, lisez aussi 10 tours et clochers bizarres.
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