Constructions voûtées aménagées sous les églises, les cryptes se multiplient à l’époque romane. Par la suite, on en construit très peu. Pire on en abandonne certaines. Leur fonction serait-elle devenue inutile ?
Aucune autre partie de l’église ne dégage autant de mystères. Cachées dans les profondeurs de l’église, les cryptes sont rarement ouvertes aux visites. Si vous avez cette chance, vous descendrez probablement un escalier et vous serez plongé dans l’obscurité, comme dans les siècles, car ces endroits sont souvent très anciens. Que faisait-on dans une crypte ? La réponse nous aidera à comprendre leur relative désaffection à l’époque gothique.
Ce que les cryptes ne sont pas
Au Moyen Âge, on pensait que les cryptes servaient de refuge pour les ermites. Aujourd’hui on les confond parfois avec les catacombes. Persécutés, les premiers chrétiens s’y seraient réunis pour prier, à défaut d’avoir des églises.
Or, les plus anciennes cryptes datent du IVe siècle, c’est-à-dire à une époque où le christianisme n’est plus menacé. En 313, l’empereur Constantin légalise la religion, puis en 395, elle devient même la seule reconnue par Rome. Les cryptes ne sont donc pas des lieux de culte secrets.
Elles ne sont pas non plus forcément souterraines. Celle de la basilique de Saint-Denis est par exemple semi enterrée. Certaines sont même posées sur le sol naturel. Elles servent notamment à rattraper une pente. Beaucoup d’églises sont en effet bâties à flanc de coteau. Pour conserver un niveau horizontal, le chœur est alors bâti sur une crypte.
Attention, le rôle d’une crypte ne peut pas se réduire à une astuce d’architecte pour compenser le dénivelé de terrain.
Les fonctions d’une crypte
La crypte est normalement installée sous le sol d’une église, précisément sous le chœur. Cette disposition est éminemment symbolique.
À l’intérieur de la crypte prend généralement place un tombeau ou des reliques. Sous la basilique Saint-Pierre de Rome, se trouve par exemple la sépulture du premier apôtre, saint Pierre. De même, sous l’abbatiale Saint-Germain d’Auxerre, se trouve le tombeau de… saint Germain. (J’aime quand vous suivez). Or, les hommes et femmes du Moyen Âge accordent beaucoup d’importance à ces restes de corps saints. J’en parlais déjà dans cet article. Les reliques sont censées répandre une aura protectrice. Dès que les reliques reposent dans une crypte, leur influence bienfaitrice se diffuse au-dessus et donc atteint les clercs occupés à la prière dans le chœur.
Pour information, ça ne marche probablement pas avec les bouteilles de vin. N’attendez donc aucun bénéfice d’habiter au-dessus d’une cave
Les reliques intéressent aussi les fidèles qui en espèrent grâces, guérison ou miracles. Ils descendent volontiers dans la crypte pour être au plus près d’elles.
La plus grande crypte de France
Les cryptes jouent donc le rôle supplémentaire de chapelle. Au fil des siècles, le clergé y installe un ou plusieurs autels pour y célébrer des messes. À Chartres, les jours de mauvais temps, les chanoines de la cathédrale modifient le circuit de leur procession urbaine. Au lieu de se rendre vers les autres églises de la ville, et donc de se mouiller, ils visitent les chapelles de la cathédrale ou de la crypte.
Même circonscrite à un monument, cette déambulation faisait marcher les chanoines, car la crypte est là-bas une véritable église souterraine. Dépassant la surface du chœur, elle est presque aussi longue que la cathédrale au-dessus. Ce qui en fait la plus grande crypte médiévale de France (hors Moyen Âge, le record appartient probablement à la crypte de Notre-Dame de Boulogne).
Ambiance particulière
À la suite de l’archéologue Christian Sapin, on peut donc résumer les cryptes à 2 caractères :
- Une architecture particulière, à savoir un espace voûté, en majorité souterrain mais pas toujours, placé sous le chevet.
- Une fonction liturgique, attestée par des autels ou l’exposition de reliques à la vénération des fidèles.
L’architecture des cryptes participe d’une mise en scène. Pour l’historien de l’art Alain Erlande-Brandenburg, « les maîtres d’ouvrage et les architectes ont voulu cette opposition d’une crypte dans la pénombre et le sanctuaire [la partie sacrée de l’église] dans la lumière […] Le fidèle y était certainement sensible, d’autant plus que les bougies et les lampes à huile créaient une ambiance particulière ».
L’âge d’or roman
Dans son livre Les Cryptes en France. Pour une approche archéologique IVe-XXIe siècle, Christian Sapin a recensé près de 400 exemples. Il y en avait plus : certaines cryptes ont été totalement détruites ou dorment, oubliées, sous nos pas.
On l’a vu, elles existent depuis la fin de l’Antiquité. Elles se multiplient à l’époque carolingienne. D’ailleurs, ces cryptes comme à Saint-Germain d’Auxerre, à Flavigny-sur-Ozerain, à Saint-Philbert-de-Grandlieu sont parfois les seules architectures subsistantes de cette période alors que l’église au-dessus a disparu ou été reconstruite.
Aux XIe et XIIe siècles, l’art roman marque l’apogée des cryptes, essor lié au développement du culte des saints. Cependant, même pendant cet âge d’or, l’aménagement d’une crypte n’a jamais été une norme. De grands sanctuaires de pèlerinage, comme Saint-Jacques de Compostelle ou Sainte-Foy-de-Conques n’ont jamais reçu de tels aménagements.
Cryptes abandonnées et retrouvées
En 1985, l’architecte des monuments historiques Bruno Decaris est chargé de la restauration du chœur de la basilique d’Evron (Mayenne). Pour retrouver le dallage ancien sous le dallage du XIXe siècle, il creuse un trou et découvre un chapiteau et une colonne en place. Les archéologues sont alertés. Une fouille archéologique s’étend à tout le chœur ; elle révèle une crypte conservée dans un état remarquable.
Des histoires de ce type, il y a en a des dizaines en France. Ici, ce sont des fouilles archéologiques, là-bas la mise en place d’un système de chauffage par le sous-sol qui est à l’origine de ces découvertes. À Bayeux, en l’an 1412, les chanoines souhaitent enterrer la dépouille de leur évêque dans la cathédrale. Ils tombent sur un os particulier : une crypte ! Preuve que, dès la fin du Moyen Âge, certaines étaient déjà remblayées et oubliées. Pourquoi un délaissement si rapide ?
Le gothique ensevelit la crypte
Dans l’abandon des cryptes, deux phénomènes se conjuguent.
D’abord, aux XIIe et XIIIe siècles, alors que s’épanouit l’art gothique, le clergé souhaite un changement de mise en scène : sortir de la pénombre les reliques conservées dans la crypte et les placer désormais dans le chœur. La lumière qui traverse les vitraux fera scintiller les précieux reliquaires. Dans cette perspective, la crypte devient donc démodée.
L’ingénieur et historien de l’art Arnaud Ybert ajoute une autre conséquence de l’art gothique, fatale aux cryptes. Les architectes préfèrent dorénavant des églises de plain-pied. Or, certaines cryptes, particulièrement hautes, tendaient à surélever le chœur par rapport à la nef. C’était le cas dans la cathédrale Notre-Dame de Rouen. Au cours du chantier gothique, la crypte fut arasée puis comblée pour ne pas gêner le déploiement horizontal du nouveau monument. On ne la découvrit que dans les années 1930 !
Le gothique a englouti bon nombre de cryptes mais ne caricaturons pas. Quelques cryptes ont été créées à cette époque. Ensuite, certaines constructions romanes ont subsisté. Le clergé leur était peut-être attaché par respect des traditions. Heureusement. Ainsi peut-on encore en visiter quelques-unes. Justement avez-vous des lieux à nous recommander ?
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