Les reliques, trésors sacrés des églises
Dans le christianisme, les reliques désignent les restes d’un saint ou les objets en relation avec sa vie. Au Moyen Âge, toute église devait en posséder. Quitte à les inventer ou à les voler.
Les reliques ont suscité la construction d’églises, mis en mouvement des foules de pèlerins et ont généré des œuvres d’art (les reliquaires).
Pour expliquer une telle passion, il faut comprendre que les fidèles attribuent aux reliques un pouvoir surnaturel propre à provoquer des miracles. Une sorte de culte s’est organisée autour de ces restes si particuliers, certaines églises étant mieux dotées que d’autres.

Des corps et des objets
Les reliques ne se limitent pas à des ossements. Elles prennent deux formes :
- Les reliques réelles ou primaires. Elles correspondent à des parties du corps des saints, principalement des os. Si certaines églises possèdent un squelette entier, la plupart se contentent d’un fragment, par exemple une phalange, ou pire d’un ongle
- Les reliques indirectes ou secondaires. Elles regroupent les vêtements, linges ou objets ayant appartenu au saint ou ayant été en contact avec son corps. Entrent dans cette catégorie très variée la crosse de saint Pierre, le rocher sur lequel s’est posé l’archange saint Michel et même les pierres jetées sur saint Étienne lors de son martyr.

Le pouvoir surnaturel des reliques
Même morts, les saints sont considérés comme les intercesseurs les plus efficaces auprès de Dieu, car, selon le clergé, leurs restes contiennent encore leur virtus, une force divine et surnaturelle.
L’historien et archéologue André Bonnery explique :
« lorsqu’il approchait des reliques du saint, le fidèle croyait pouvoir capter un peu de cette force, et obtenir plus facilement ce pour quoi il l’implorait. Les miracles qui s’opérèrent auprès de certaines tombes renforcèrent cette croyance, en attribuant des vertus thaumaturgiques (de guérison) aux reliques ».
André Bonnery, L’art roman, MSM, 2010
À une époque où la médecine tue plus qu’elle ne soigne, les reliques représentent donc une alternative beaucoup moins risquée pour le chrétien.
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Au-delà de leurs capacités de guérison, le « rayonnement » des reliques est censé apporter protection aux fidèles qui s’en approchent et à la communauté religieuse qui les abritent. Elles éloignent les agresseurs, garantissent de bonnes moissons, écartent les inondations… Les aristocrates l’ont bien compris, qui se font enterrer au plus près.
Somptueux reliquaires et pèlerinages
Devant tant de bienfaits, on comprend pourquoi les reliques suscitent une forte vénération au Moyen Âge. Elles sont à l’origine des pèlerinages. Une église dépourvue n’attire aucun pèlerin. Si on part à Compostelle, c’est pour approcher le tombeau de l’apôtre saint Jacques et visiter sur le chemin les autres sanctuaires à reliques (Sainte-Foy de Conques, Saint-Sernin de Toulouse, Saint-Martial de Limoges…). Les chrétiens ont besoin d’éléments matériels pour attiser leur foi.
Ces précieux restes, installés dans une crypte ou dans le chœur, sont conservés dans des reliquaires aux formes très variées, mais d’aspect toujours somptueux. Des orfèvres ont façonné des écrins qui font partie des chefs-d’œuvre de l’artisanat médiéval. Les pèlerins défilent devant. Rarement ils peuvent les toucher, ce qui est pourtant le meilleur moyen de ressentir cette fameuse virtus.

Le clergé sort exceptionnellement les reliques de l’église. Il faut un cas de force majeure. Une épidémie meurtrière par exemple. On promène alors les reliques en procession à travers la ville dans l’espoir d’arrêter le mal. C’est peut-être ce que nous aurions dû faire contre le COVID-19 😊 En 1112-1113, les clercs de Laon emportent leurs reliques jusqu’en Angleterre, pour susciter des aumônes qui serviront à financer la reconstruction de leur cathédrale brûlée.

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Compétition autour des reliques
Les reliques ne se trouvent pas uniquement dans les grandes églises. Toutes doivent en posséder à l’intérieur ou à proximité de leur autel. Mais certaines reliques sont plus prestigieuses que d’autres. Or, conserver un os de sainte Wilgeforte ne devrait pas attirer les foules et donc les dons.
Par contre, une relique de saint Jean Baptiste ou de saint Michel rejaillit sur la réputation et donc la fortune de l’église qui en est la propriétaire.
Comme le stock de reliques à disposition dans le monde est limité, cathédrales, abbayes, collégiales, mais aussi les princes ou les villes, se battent pour acquérir les reliques les plus importantes. Dans cette compétition, certains sont chanceux, d’autres dénués de scrupules.
Acquérir des reliques par des moyens discutables
Cinq méthodes, plus ou moins morales, sont à la disposition des églises ou des princes pour obtenir des reliques :
1. la découverte de reliques (appelée aussi invention)
À l’occasion de travaux ou de labours, on tombe miraculeusement sur la sépulture d’un saint ou sur un reliquaire. Il arrive que le saint, désespéré que les hommes ne trouvent pas son corps, s’impatiente et apparaisse en songe pour indiquer la cache. Ce téléguidage évite la situation de Bologne où, vers 1140, l’évêque et un abbé local conduisent des fouilles pour en dénicher.
Parfois l’invention est à prendre en son sens commun : on crée de fausses reliques pour attirer des pèlerins. Au milieu du XIe siècle, les moines de Saint-Emmeran de Ratisbonne, en Bavière, découvrent des ossements qu’ils identifient à saint Denis. Or, le corps de saint Denis est réputé reposer en France, dans la célèbre abbaye de Saint-Denis. Le monastère allemand n’est pas gêné par cette incohérence. Il fabrique plusieurs faux émanant du pape et de l’empereur — ces documents servent à l’authentification — et invente un récit qui justifie comment le corps de saint Denis a pu arriver en Bavière. Les moines français protesteront en vain.
2. La canonisation d’un défunt local
C’est la voie la plus astucieuse pour posséder des reliques. Des moines parviennent par exemple à faire canoniser leur abbé. Comme le personnage est généralement enterré au monastère, ils se retrouvent en possession de restes devenus sacrés. C’est la méthode de l’abbaye de Cluny : quatre de ses six premiers abbés ont été déclarés saints.
3. Les dons et échanges
L’Église accepte que le corps d’un saint soit dépecé pour que ses différentes parties soient distribuées. Évêque et abbé ont pu ainsi envoyer des reliques à des églises dépourvues. Des rois s’en sont servis comme cadeau diplomatique.

L’insécurité peut favoriser ces dons. Lors des raids vikings, les moines de l’abbaye de Noirmoutier en Vendée fuient leur monastère en emportant les reliques de leur fondateur Philibert. Ils finissent par se réfugier dans le sud de la Bourgogne, à Tournus, soit à plus de 600 km. Cette translation (déplacement) fait que Tournus s’est trouvée, sans rien demander, avec les restes du corps de saint Philibert. Ils y sont encore (en partie).
4. L’achat de reliques
Le commerce des reliques existe au Moyen Âge. En 1238, le roi saint Louis réalise un coup retentissant en achetant à l’empereur byzantin la couronne d’épines du Christ. Pour accueillir cette relique exceptionnelle en France, la Sainte-Chapelle de Paris est construite. Les travaux coûtent environ 40 000 livres, un montant énorme, mais modeste par rapport au prix d’achat de la couronne : 135 000 livres.

5. Le vol de reliques
Rien n’arrête l’appétit pour les reliques. Surtout pas Foulques Nerra, le terrible comte d’Anjou. En l’an 1008 ou 1009, il est en pèlerinage à Jérusalem, alors aux mains des musulmans. Faisant mine de se prosterner pour prier, il réussit avec ses dents à arracher un petit morceau du saint Sépulcre (le tombeau du Christ) et à le ramener en Anjou à la barbe des gardiens. En 827, des marchands vénitiens volent les reliques de l’évangéliste Marc à Alexandrie en la cachant sous de la viande de porc.
Comme l’a démontré l’historien américain Patrick Geary, le vol est un mode habituel d’acquisition au Moyen Âge. Les auteurs ne cachent pas forcément leur larcin, confiants dans leur argument : si ce déplacement forcé ne plaisait pas au saint, pourquoi ne les a-t-il pas punis ?

Les reliques les plus prestigieuses
Certaines reliques ont beaucoup de valeur, car elles appartiennent aux personnages les plus sacrés : Jésus et sa mère Marie.
Or, leurs restes se trouvent limités par les circonstances de leur mort : à la différence des simples mortels, leur corps a gagné le Ciel. Les chrétiens sont démunis du moindre os.
À défaut, le clergé s’est rabattu sur les reliques indirectes : tous les objets touchés ou portés par le Christ ou la Vierge. Finalement, la liste est assez longue. Entrent en compte les instruments liés au supplice du Christ, sa Passion. Je viens d’évoquer la couronne d’épines par exemple. Ajoutez-y les fragments de la croix, les clous de la crucifixion, quelques gouttes de sang, le calice et le couteau de la Cène…
Les reliques de Marie, plus rares, consistent principalement en ses vêtements. Certaines églises affirment posséder quelques cheveux.

Dans l’ordre de prestige suivent tous les personnages qui ont connu Jésus : les apôtres, saint Jean-Baptiste, Marie-Madeleine, les rois Mages…
Parfois les saints locaux sont aussi peu célèbres que le boulanger du village, mais les religieux qui en conservent les restes réussissent habilement à en faire la publicité au-delà de la région. Pour cela, il suffit notamment de broder une fabuleuse histoire autour du vénérable personnage. Prenez l’exemple de saint Léonard. Au XIe siècle, l’évêque de Limoges fait rédiger la biographie de cet inconnu. L’auteur imagine Léonard vivre au VIe siècle, il lui fait croiser Clovis et la reine. Il lui attribue différents miracles. Cela suffit pour que le culte de saint Léonard, jusque là confidentiel, se développe et pour que la collégiale Saint-Léonard-de-Noblat, là où repose le saint, devienne prospère.
En langage moderne, on appelle cette méthode de promotion le storytelling.

Les fausses reliques
Au XVIe siècle, les protestants se sont moqués de ces restes parfois douteux. Dans son Traité des reliques, Calvin démontre la supercherie. Si on rassemblait tous les os de certains saints, dispersés dans les sanctuaires chrétiens, ils auraient plusieurs têtes et plus de 10 doigts.
Un peu plus tard, l’écrivain calviniste Agrippa d’Aubigné s’amuse d’une relique très spéciale : le « han » de Joseph le Charpentier, conservé dans l’église de Cour-Cheverny, près de Blois. Il s’agissait d’une bouteille qui enfermait le son et le souffle produits par Joseph quand il fendait des bûches !
Lors des guerres de Religion, les protestants ne se gênaient pas pour sortir les contenus des reliquaires et les jeter. Avec la Contre-Réforme, les évêques catholiques firent le ménage des cas les plus suspects. Enfin, beaucoup de reliques disparurent pendant la Révolution. Si bien qu’elles ne sont malheureusement plus visibles aujourd’hui.
En même temps, je ne suis pas sûr que les fidèles parvenaient à voir quelque chose du « han » de Joseph.😊
Les reliques toujours dans l’actualité
N’en déduisez pas l’invention de toutes les reliques. Quelques analyses scientifiques concluent, sinon à l’authenticité, au moins à leur caractère plausible. En 2019, une datation au carbone 14 du crâne supposé d’Aubert, l’évêque fondateur du Mont-Saint-Michel, a révélé une certaine concordance : l’os est bien contemporain de la fondation du monastère.
Même si aujourd’hui les fidèles se bousculent beaucoup moins qu’au Moyen Âge pour approcher des reliques, elles attirent encore les convoitises : n’a-t-on pas volé en 2014 et 2017 des reliques de Jean-Paul II ?
Quelques chercheurs rêvent d’analyser en laboratoire les reliques du Précieux-Sang, autrement dit les gouttes de sang laissées par le Christ. Qui sait ? L’ADN de Dieu pourrait surgir au microscope.
- Lire aussi : le culte des reliques, un article d’Edina Bozoky sur Clio.fr
Bonjour Laurent,
Bravo pour ton Blog et tout tes articles plus intéressant les uns que les autres.
J’ai bien apprécié ce dernier avec tous ses petits traits d’humour.
Je suis étonné quand même que tu n’ai pas parlé du Saint Suaire, la reliques des reliques peut être la plus répandue, étudiée et controversée.
Bravo encore et impatient de lire tes prochains articles.
Merci pour ce sympathique commentaire. Le Saint Suaire et d’autres reliques étranges feront l’objet d’un autre article. Vous avez déjà bien eu du courage à lire celui-ci vu sa longueur 😊
toujours aussi enrichissant merci
Merci pour votre commentaire.
Article complet et très enrichissant.
On pourrait regretter la phrase sur la médecine qui tue plus qu’elle ne soigne; c’est un tout petit peu caricatural quand on sait que certaines infusions et plantes médicinales que nous consommons aujourd’hui l’étaient déjà à l’époque.
Quoiqu’il en soit, bravo pour votre site web – je trouve ça même incroyable que votre guide soit gratuit alors qu’il pourrait être vendu en librairie ?
Bel été à vous
Vous avez raison sur les vertus médicinales des plantes. En parlant de la médecine, je pensais plutôt aux médecins, qui n’utilisaient pas du tout ces plantes mais se fondaient plutôt sur les raisonnements théoriques d’Aristote.
Il y a maintenant 230 ans, les nouveaux ‘ seigneurs » ont créé de nouvelles fausses reliques immatérielles. Les » valeurs de la république « . Et jusqu’à ce jour le peuple se prosterne devant ces fausses reliques dont les fameux droits de l’homme.
Nous voyons le résultats.
Super, comme d’habitude! Et merci de parler par 2 fois de Limoges et ses environs. En 994 une épidémie du mal des ardents sévît à Limoges, devant l’ampleur des dégâts, l’évêque décide de sortir en procession les reliques de St Martial (3ème évêque de Limoges), 2 mois plus tard l »épidémie cesse! Il faut dire que nos premiers émailleurs ont bien servit l’église en lui donnant de nombreux reliquaires en champ-levé.
Une petite question, y a t’il vraiment des reliques vraies ?
Merci pour cet article, et bonnes vacances si vous y êtes.
Merci pour cet exemple d’efficacité des reliques. Vive le Limousin ! J’en parlerai sûrement à nouveau quand j’écrirai un article sur les reliquaires à émaux champlevés.
Existe-t-il des vraies reliques ? Oui. Je suppose que les moines de Cluny par exemple possédaient bien les ossements de leurs abbés canonisés. En dehors de ces cas, il est difficile de déterminer l’authenticité d’une relique. Certes une analyse au carbone 14 peut dater un squelette ou un tissu mais on ne pourra jamais prouver que le squelette correspond au saint, faute d’ADN à comparer, ou que le tissu a été revêtu par ce saint.
Laurent
Quel plaisir de lire votre propos sur les reliques , leurs tenants et aboutissants. Un vrai travail d’orfèvre en la matière. Il est vrai qu’il est étonnant que certains prêtres, évêques et notables du clergé, soient aussi mercantiles ? Quoi que comme m’aurait dit un bon Père. Je vous remercie pour ce très moment très agréable passé en votre compagnie sur un sujet qui ne manque pas de virtus pour nous éclairer. Bien à vous.
Merci Michel. Il ne faut pas être étonné de l’attitude peu scrupuleuse de certains membres du clergé vis-à-vis des reliques. Sur d’autres sujets, on sait qu’au Moyen Âge le clergé n’était pas toujours vertueux. Certains trafiquaient les biens ecclésiastiques, vivaient en concubinage et des papes faisaient appel à la croisade et donc au meurtre. Après on peut leur pardonner car ils n’ont souvent pas choisi de faire une carrière dans l’Église : leur famille a décidé pour eux.
Bonjour, merci pour cet article très intéressant et bien expliqué. Je suis moi-même guide conférencière dans l’abbaye de Saint-Antoine en Isère qui possède un trésor assez remarquable de reliques. Les visiteurs sont toujours étonnés de voir autant d’ossements et ont parfois du mal à comprendre leur intérêt et pourquoi on leur en portait autant. C’est intéressant d’avoir les petites histoires également de ces reliques et de découvrir qu’à l’origine, elles étaient à l’autre bout du pays ou dans un autre pays.
En tout cas, merci de cet article !!!
Les reliques sont un sujet facile pour capter l’attention de ses visiteurs. Profitez-en.
Bonjour Laurent, toujours passionnante, votre infolettre ! Je me suis particulièrement intéressé à l’article sur les reliques, car nous venons avec mon association de « redécouvrir » un reliquaire contenant deux fragments de la Vraie Croix et le document de la Curie Romaine authentifiant ces reliques. Cela dit, on « croit » ou on « ne croit pas » ; je suis historien, pas spécialiste en droit canon !
Quant au saint Jean-Baptiste de votre photo, je serais tenté de dire : « C’est celui qui tient la pomme de douche ».Lol !
Bien cordialement. Michel.
Suite à votre perche, il me vient à l’idée d’écrire un article sur la symbolique de la pomme de douche.
Merci pour le petit clin d’œil à sainte Wilgeforte !
Un livre très intéressant au sujet des reliques, mais malheureusement difficile à trouver:
« Le vol des reliques au moyen âge. Furta sacra » écrit par P. J. Geary et traduit en français par Pierre-Emmanuel Dauzat (parution 1993)
C’est d’ailleurs lui, Patrick Geary, que vous citez dans votre article !
Comme vous l’avez deviné, le livre de Patrick Geary a influencé l’écriture de l’article. Merci d’avoir précisé la référence.
Bonjour,
Merci pour cette article très enrichissant avec de jolies teintes humoristiques.
On retrouve beaucoup au XIXème siècle l’essor de petits reliquaires avec un précieux travail de paperolles et parfois de tissage pour offrir un écrin esthétique aux reliques elles-mêmes. Ces petits reliquaires souvent accompagnés d’un cadre Napoléon III sont monnaie courante. Avez vous des éléments d’explication quant à la diffusion de ces objets à cette période ? Étaient ils réservés aux membres du Clergé ou des familles très pieuses pouvaient elles à l’époque en faire l’acquisition pour protéger leur foyer ?
Bien à vous.
Benjamin.
Bonjour, merci pour votre message. Je ne saurais pas répondre à votre question. En tout cas, les reliques pouvaient être acquises par des fidèles, pas seulement au clergé. Si la relique était particulièrement précieuse, ils pouvaient commander à un orfèvre un magnifique reliquaire.