Cathédrales majestueuses ou châteaux forts imposants, comment les bâtisseurs ont-ils réussi à élever des monuments aussi hauts, grands et solides ? Les moyens techniques de l’époque et l’absence de matériaux modernes compliquaient la construction. Heureusement, les architectes et artisans du Moyen Âge ne manquaient pas d’astuces et d’ingéniosité.
« En l’espace de trois siècles, de 1050 à 1350, la France a extrait plusieurs millions de tonnes de pierre pour édifier 80 cathédrales, 500 grandes églises et quelques dizaines de milliers d’églises paroissiales. La France a charrié plus de pierres en ces trois siècles que l’ancienne Égypte en n’importe quelle période de son histoire ».
Jean Gimpel
Et encore, l’historien Jean Gimpel ne compte pas les autres grandes constructions du Moyen Âge que sont les châteaux forts.
Ces blocs de pierres, il a fallu les tailler pour leur donner une forme parfois complexe. Il a fallu les transporter puis les hisser jusqu’au sommet des murs et au niveau des voûtes. Enfin, il a fallu lutter contre les forces déstabilisatrices qui pouvaient mettre à bas ces téméraires monuments.
Malheureusement, les bâtisseurs nous ont laissé très peu de témoignages sur leur façon de bâtir. En regardant les enluminures des manuscrits, en analysant les édifices et en visitant les chantiers de reconstitution, historiens et archéologues tentent de retrouver les techniques de construction médiévales. Ce qu’ils ont découvert est déjà fascinant.
Partons sur les chantiers pour comprendre comment les artisans du Moyen Âge arrivaient à élever des architectures colossales.
Comment tracer les plans ?
Le plan des grands monuments médiévaux, cathédrales ou châteaux forts, repose sur trois formes basiques : le cercle, le carré et le triangle. En les combinant, les maîtres d’œuvre (les chefs du chantier) parviennent à tracer des figures plus complexes.
Dans leur panoplie d’outils, le compas et l’équerre sont leurs plus fidèles compagnons quand ils doivent représenter leur rêve de pierre sur le parchemin ou au sol.
Sur le chantier expérimental du château de Guédelon, ils recourent aussi à un objet qui semble magique : la corde à 13 nœuds. Les nœuds délimitent 12 intervalles réguliers. En manipulant la corde, il est très facile et rapide de composer des formes géométriques basiques.
Néanmoins, la corde à 13 noeuds ne semble pas employée au Moyen Âge, comme l’explique Jean-Michel Mathonière, spécialiste des compagnonnages :
Il s’agit ni plus ni moins que d’une légende inventée à la fin des années 1970. Nous ne possédons absolument aucune source médiévale ou post-médiévale sur cette fameuse corde.
J’ai exploré des centaines de miniatures représentant des chantiers, les textes. etc. Non seulement il n’y a aucune mention, mais aussi, et c’est plus ennuyeux encore, ça n’a absolument aucun sens sur le plan technique par rapport aux connaissances géométriques des bâtisseurs d’antan et à l’usage d’un simple cordeau pour établir l’angle droit avec bien plus de précision.
Dommage, j’avais dessiné le beau schéma ci-dessus pour vous expliquer cette corde 🙁
Comment tailler une pierre ?
Selon leur rôle et leur emplacement, les pierres prennent des formes plus ou moins élaborées. Un mur d’enceinte sera constitué de simples parallélépipèdes alors qu’un fenestrage de cathédrale gothique nécessite des blocs moulurés et courbes.
Dans ce dernier cas, les tailleurs de pierre s’appuient sur des sortes de patrons en bois pour s’assurer de reproduire exactement la forme originale : les gabarits (ou moles).
Une fois les différents éléments façonnés, les tailleurs doivent vérifier leur assemblage au sol, avant de les envoyer sur le lieu de pose.
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Comment élever un mur de pierres ?
Vous ne serez pas trop dépaysé : la méthode ne semble pas différente de celle des maçons d’aujourd’hui assemblant des agglos. Une truelle à la main, le maçon médiéval étale une couche de mortier (un mélange de chaux et de sable) puis y dépose les pierres taillées.
Ne croyez pas que le mortier serve de colle. C’est plutôt un tampon, un matelas. Il empêche que les pierres se touchent. Sinon, sous l’effet de la chaleur ou de la compression, elles se cogneraient puis se fractureraient.
Régulièrement, l’artisan vérifie l’horizontalité du mur à l’aide d’un pendiculaire, l’ancêtre du niveau à bulle. Il s’assure de la verticalité grâce à un fil à plomb.
Dans un même souci d’ostentation, les puissants commanditaires comme les princes, les évêques ou les abbés exigent des murs appareillés en pierres rectangulaires. Or, comme les tailleurs de pierre doivent y passer plus de temps, cela coûte cher. Surtout quand le mur fait 6 à 7 m d’épaisseur comme dans la tour Constance à Aigues-Mortes ou au château de Coucy (Aisne).
Astucieusement, on se contentait de tailler les belles pierres pour les parements. Entre les parois externes et internes, on intercalait un fourrage composé de mortier et de pierres informes. D’extérieur, vous ne vous doutez pas de cette maçonnerie montée à l’économie.
Comment construire une voûte ?
La mission semble périlleuse pour les maçons : poser une à une les pierres constituant l’arc (les fameux voussoirs) tout en étant suspendu au-dessus du vide.
En réalité, les charpentiers (encore eux) rendent la tâche plus facile. Sur un échafaudage, ils installent un coffrage en bois, appelé cintre, qui épouse la courbure de la voûte projetée. Les voussoirs sont ensuite posés sur ce cintre. Une fois toutes les pierres en place jusqu’à la clé de voûte, on retire cette structure. C’est le moment où les charpentiers et les maçons retiennent leur souffle. Normalement, l’arc ne bouge pas grâce à l’emboîtement des voussoirs.
Comment hisser les matériaux ?
Les cathédrales dépassent généralement les 50 m de hauteur. Pour porter les pierres et les poutres, les bâtisseurs du Moyen Âge auraient été heureux d’utiliser des moteurs à explosion ou l’énergie électrique. Ils ont dû se contenter de leur propre force.
Contrairement aux Égyptiens de l’Antiquité, ils ne demandent pas à une armée d’esclaves de tirer très fort une corde. Plus ingénieux, ils peuvent compter sur les charpentiers pour leur fabriquer des engins de levage.
Pour les pierres les plus lourdes, on emploie la grue la plus puissante du Moyen Âge, la roue à écureuil. Il suffit de deux humains à l’intérieur de la cage pour élever une pierre de 600 kg, par exemple une clé de voûte.
Ces machines ne doivent pas occulter des solutions de transport moins techniques sur le chantier. Des manœuvres passent leur journée à porter sur leurs épaules des pierres, des paniers, des auges remplis de mortier. Les enluminures décrivant un chantier ne manquent jamais de montrer ces allées et venues.
Pour accéder aux hauteurs, ces manœuvres empruntent des échelles et rampes, et plus rarement représentés, les escaliers construits aux angles des églises.
Comment les cathédrales gothiques arrivent-elles à atteindre de telles hauteurs ?
Le problème du levage résolu, il reste un dernier souci : faire que le bâtiment ne s’écroule pas. A priori, l’exercice ne semble pas insurmontable. Empilez des pierres pour faire un mur ou un pilier, soyez sûr que, sous un tel poids, l’ensemble se maintiendra debout, à condition d’avoir creusé au préalable de bonnes fondations. Toutefois, quand vous atteignez une certaine hauteur, le vent commence à perturber cet équilibre. Plus vous tutoyez les sommets, plus il souffle fort. La partie supérieure des murs se met à bouger avec la toiture.
Ces forces de déstabilisation augmentent avec la mise en place de voûtes. Leur poids exerce des pressions latérales sur les murs et les piliers. Des fissures apparaissent ; les murs se déversent. Catastrophe en vue ?
Généralement non, car les maîtres d’œuvre ont conscience de ces problèmes. La structure des cathédrales gothiques est donc conçue pour contrer ces forces dangereuses. C’est la raison d’être, par exemple, de l’arc-boutant : il appuie aux endroits où l’église risque de s’écarter.
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Les bâtisseurs du Moyen Âge étaient-ils si doués ?
Force est de constater que des accidents se sont produits. À Bourges et à Sens, une tour de la cathédrale s’est effondrée ; à Beauvais, une partie du chœur tombe en 1284 puis la tour lanterne en 1573.
En général, la catastrophe se devance, car les écroulements sont prévisibles. Dès que des signes de déformation ou de cassure apparaissent, une équipe de bâtisseurs intervient pour renforcer la maçonnerie. Ici, elle ajoute un contrefort, là elle ceinture l’édifice par un chaînage en fer.
Résultat, les grandes églises médiévales ont plutôt bien traversé les siècles. Les maîtres d’œuvre ont réussi cet exploit sans recourir à des calculs scientifiques sur la résistance des matériaux ou la force des poussées. Juste en s’appuyant sur leur intuition et leur expérience. Félicitations.
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