Spécialiste du compagnonnage, Jean-Michel Mathonière sort un livre sur les bâtisseurs du Moyen Âge. L’occasion pour lui de démonter à la fois les discours pseudo-ésotériques sur ces artisans et les clichés sur les techniques de construction.
Dans une lettre datée du 6 octobre 1695, Vauban écrivait à Le Pelletier de Souzy, conseiller d’État et directeur des fortifications royales :
« La plupart des gens répètent comme des perroquets ce qu’ils ont entendu dire à des demi-savants qui, n’ayant que des connaissances imparfaites, raisonnent le plus souvent de travers ».
Or, sur des sujets comme l’histoire des métiers du bâtiment, des techniques de construction, des fraternités professionnelles, la citation de l’ingénieur Louis XIV convient particulièrement bien. À quelques exceptions près, les historiens ne s’aventurent pas sur ces terrains, laissant la place à des professionnels dont le savoir repose souvent sur une transmission orale à la traçabilité floue.
Des amateurs d’ésotérisme se sont aussi mis sur le créneau déserté, car, dès qu’on parle des bâtisseurs de cathédrales, l’imaginaire s’excite. Sont convoquées des figures ou des sociétés enveloppées de mystères comme les confréries médiévales, les compagnons du devoir et les francs-maçons.
Malgré ma vigilance dans ma recherche de documentation, je reconnais m’être fait piéger. À mon corps défendant, il m’est arrivé de tenir le rôle du perroquet. Dans un récent article sur les bâtisseurs de cathédrales, je vous présentais un outil simple et fascinant : la corde à 13 nœuds. Or, il semble qu’au Moyen Âge, personne ne l’a utilisée… Depuis j’ai corrigé l’article, mais tous les jours, je fais pénitence pour cet égarement en me flagellant avec cette corde 🙂
Le livre 3 minutes pour comprendre les métiers, traditions et symboles des bâtisseurs de cathédrales est donc le bienvenu pour une mise au point informée sur les bâtisseurs médiévaux. Depuis plusieurs dizaines d’années, son auteur Jean-Michel Mathonière travaille sur les compagnonnages et les origines de la tradition maçonnique en faisant preuve d’une exigence méthodologique dont d’autres auteurs se sont dispensés. Les plus fidèles d’entre vous se rappellent peut-être que je l’avais interviewé l’année dernière sur les compagnons du Devoir.
Pêle-mêle, voici quelques affirmations démontées par l’auteur :
- Les bâtisseurs de cathédrales ne constituent pas une élite, laissant les chantiers moins prestigieux (château, petite église, rempart…) aux autres artisans supposés moins compétents.
- Les compagnons du devoir ne sont pas plus les héritiers des bâtisseurs du Moyen Âge que les autres artisans
- Entre la franc-maçonnerie et les bâtisseurs de cathédrales, « la filiation est plus virtuelle que réelle ». J’en avais déjà parlé dans cet article.
- Les architectes du Moyen Âge n’emploient pas le nombre d’or, du moins pas consciemment, pour tracer leur plan et les détails de leurs ouvrages.
- Les compagnons d’antan ne voyagent pas de chantier en chantier avec leurs outils
Le livre ne se résume pas à une dénonciation des clichés. Il accorde une place aux commanditaires. Il présente aussi quelques architectes d’exception (Viollet-le-Duc, Guillaume de Sens, Pierre de Montreuil…). Enfin, il décrit les principaux corps de métiers. Pour une fois, honneur aux charpentiers qui sont présentés les premiers, devant les tailleurs de pierre et les maçons.
Conformément à l’esprit de la collection « 3 minutes pour comprendre », chaque sujet est abordé en une double page, que vous devriez pouvoir lire en moins de 180 secondes (comme cet article !). Promesse facilement tenue sachant que la deuxième page est entièrement occupée par une illustration 😊. Bref, une lecture savante et facile.
- Jean-Michel Mathonière, 3 minutes pour comprendre les métiers, traditions et symboles des bâtisseurs de cathédrales, le Courrier du Livre, 2020. Voir la présentation sur le site de l’éditeur.
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