Sur son site web, l’Occitanie met en avant le fait d’être la seule région de France à posséder des châteaux cathares. Ces forteresses qui dominent des paysages à couper le souffle sont pourtant bien peu cathares. Explications sur ce mythe.
Montségur, Peyrepertuse, Quéribus, Aguilar… ces châteaux se trouvent au pied des Pyrénées, dans les départements de l’Aude et de l’Ariège. Présentés comme des « bastions de la rébellion, de la résistance à l’Église catholique », ils attirent les touristes, impressionnés par leur situation inexpugnable et par leur aura mystérieuse. Le Graal y serait caché et le plan de Montségur trahirait un culte dédié au soleil.
Les historiens et les archéologues ont une autre vision.
La chute de Montségur
À l’intérieur d’un enclos fait de pals et de pieux, environ deux cents hommes et femmes brûlent dans un bûcher. Nous sommes le 16 mars 1244 à Montségur. Les condamnés sont des cathares, des chrétiens dissidents. Ils refusent l’autorité du clergé catholique, les prières, et l’humanité du Christ. Autant de conceptions scandaleuses et inacceptables pour le pape qui a ordonné contre eux une croisade une trentaine d’années auparavant.
Une partie de ces cathares s’était réfugiée à Montségur, forteresse perchée à 1200 m d’altitude. Il a fallu environ dix mois de siège pour que les croisés en viennent à bout. Malgré cette fin tragique, Montségur n’est pas un château cathare.
Des châteaux mal nommés
C’est la même conclusion que l’on peut dresser pour les autres châteaux que les livres et les offices de touristes vantent comme cathares : Peyrepertuse, Quéribus, Aguilar, Termes… Déjà, parce que leur construction intervient en majorité après la croisade contre le catharisme. Les ruines de Montségur que les touristes admirent sont postérieures aux flammes du bûcher. Certes, ces châteaux peuvent remplacer d’anciens sites fortifiés dans lesquels les cathares ont pu trouver refuge. Il n’en reste pas moins qu’ils n’en sont pas les bâtisseurs. Seuls des aristocrates ont le droit d’ériger des châteaux. Et non un groupe religieux, aussi persécuté soit-il.
Le terme « cathare » pose un autre problème, peu abordé. L’historien Jean-Christophe Cassard le rappelle : le mot demeure inconnu dans le Midi médiéval. Entre eux, les cathares se nomment plutôt les « bonshommes » ou « bonnes femmes » ; l’Église catholique les désigne comme « Albigeois » en référence à la ville d’Albi, ou « hérétiques ». D’ailleurs la croisade que le pape lance contre eux est appelée « croisade des Albigeois ».
Si ces châteaux de l’Ariège et de l’Aude sont si peu cathares, à quoi servaient-ils ? Pour le comprendre, il faut revenir sur un épisode peu connu de l’histoire de France.
Châteaux d’une frontière oubliée
Entre 1226 et 1255, la monarchie capétienne profite de la croisade contre les Albigeois pour prendre le contrôle du Languedoc. Le roi Louis IX installe un représentant à Carcassonne, le sénéchal, qui se charge de mettre en défense les territoires acquis. Car non seulement, il faut se protéger d’une potentielle révolte des seigneurs locaux, mais aussi se méfier du nouveau voisin : le roi d’Aragon. À l’époque, l’Aragon s’étend de part et d’autre des Pyrénées. Le Roussillon et la Cerdagne, soit l’actuel département des Pyrénées-Orientales, sont par exemple aragonais.
Afin de surveiller cette frontière sensible entre Roussillon et Languedoc, les Capétiens ou leurs fidèles vassaux reprennent les anciens châteaux de la région pour les renforcer. Une fonction qu’ils assumeront plusieurs siècles, jusqu’en 1659. Alors, le cardinal Mazarin et le roi d’Espagne, successeur des rois d’Aragon, s’entendent, à l’occasion du traité des Pyrénées, sur une nouvelle frontière déplacée au sud.
Les châteaux dits cathares sont donc pour beaucoup des forteresses royales. Même dépourvus de leur aura religieuse, ils méritent d’être visités. Les quelques photos suivantes suffisent à le prouver.
Les « citadelles du vertige »
La liste des châteaux dits « cathares » est incertaine. Wikipédia recense 20 sites. Certains auteurs osent inclure Carcassonne ou Foix. Voici une sélection.
Montségur
Les vestiges actuels sont postérieurs à la tragédie du bûcher, on l’a dit. Ils sont probablement construits par Guy II de Lévis, le seigneur français qui récupère Montségur débarrassé des cathares. Il n’a pas les mêmes moyens que le roi de France d’où la modestie du château par rapport à Peyrepertuse ou Puilaurens.
Les investigations archéologiques ont montré que le château au temps des cathares, le castrum, occupait plus de surfaces et incluait un village. Au grand dam des amateurs d’ésotérisme, les sondages n’ont révélé ni grottes ni souterrains cachés.
Puilaurens
Jusqu’en 1659 et donc ce traité des Pyrénées déjà mentionné, Puilaurens était la forteresse la plus méridionale du royaume de France. Pour sa fortification dès 1255, le sénéchal de Carcassonne n’a pas hésité à déplacer un village. Accessible par une rampe en chicane, c’est le château le mieux conservé de notre ensemble.
Quéribus
De là-haut, on peut surveiller toute la plaine de Roussillon jusqu’à la mer. Il suffisait de 7 soldats pour le défendre.
Puivert
Lui est encore moins cathare que les autres puisque les bâtiments actuels sont tardifs, du XIVe siècle. Le donjon accueille au 4e niveau une curieuse salle dite des musiciens.
- Lire aussi : Châteaux forts : de la défense à la résidence
Peyrepertuse
Le roi Louis IX achète ce site époustouflant en 1239 et complète le château ancien par le donjon san-Jordy (aucun rapport avec un bébé chanteur des années 2000). San Jordy signifie en langue d’oc Saint Georges.
- Lire aussi : les 20 châteaux français à voir dans sa vie
Mieux que cathares
Si l’expression « châteaux cathares » ne convient pas, comment les appeler ? Conscient que les ruines actuelles n’ont jamais vu de cathares, le département de l’Aude tourne la difficulté en les nommant « châteaux du pays cathare ». La formule me gêne autant. Peut-on parler d’un pays cathare ? Cela suppose l’existence d’une identité cathare. Or, je pense que les habitants se sentent aussi cathares que Gandhi se sentait allemand. Les cathares étaient très minoritaires dans la population (au mieux, 2-5 % en Languedoc selon l’historien Jean-Louis Biget). Les derniers disparurent dans le courant du XIVe siècle.
Alors, quel nom donner ? L’historien Henri Paul Eydoux les appelait « châteaux des Corbières » en référence au massif des Corbières où beaucoup se trouvent, mais pas Montségur. Mort en 2020, l’historien Michel Roquebert les désignait comme « les citadelles du vertige » pour souligner leur site perché. L’expression est néanmoins plus poétique que géographique.
En fait, difficile de trouver une bonne proposition. « Châteaux cathares » agit aujourd’hui comme un argument touristique, voire commercial. L’expression parle au grand public. Je conclus donc par ma proposition : châteaux « cathares ». Des guillemets pour montrer l’ambiguïté de l’adjectif.
- Lire aussi : Lucien Bayrou, « Reconstruction et réaménagements des châteaux devenus royaux dans les Corbières après le traité de Corbeil (XIIIe-XIVe siècles)« , Patrimoines du Sud, octobre 2019.
Laisser un commentaire