Sauf exceptions, les bâtisseurs du Moyen Âge respectent la règle d’orienter les églises et les cathédrales. Je vous explique pourquoi la plupart des édifices chrétiens s’y conforment et pourquoi quelques-uns s’en moquent.
L’axe des églises est généralement dirigé vers l’orient, c’est-à-dire que le chœur, là où se tiennent l’autel et le prêtre, se trouvent à l’est. Au sens strict, l’architecture chrétienne est donc orientée : les églises regardent vers l’orient. A l’opposé, l’entrée et la façade principale se trouvent généralement à l’ouest. Mais pourquoi ce schéma est si courant ?
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Face à Jérusalem : une idée reçue incorrecte
J’ai plusieurs fois entendu la même explication à cette disposition : les églises pointeraient vers Jérusalem. Vous y croyez ? Désolé, ça ne tient pas debout. Si c’était le cas, les églises d’Arménie devraient être tournées vers le sud, car Jérusalem se trouve dans cette direction. Or, partout dans le monde, les édifices religieux catholiques adoptent généralement l’orientation, quelle que soit leur position géographique par rapport à la ville sainte.
Le soleil en point de mire
La véritable explication est symbolique. À l’est le soleil se lève (si, si je vous le jure !). La lumière triomphe alors des ténèbres. L’aube évoque la résurrection du Christ. Par analogie, le christianisme envisage que, de ce côté, Jésus fera son retour glorieux parmi les hommes à la fin des temps. Lors de la messe, le peuple et le prêtre prient donc vers l’est, dans l’attente de la seconde venue du Christ sur Terre. La dimension hautement symbolique de l’orient explique donc l’orientation.
A l’inverse, l’ouest, là où le soleil se couche, symbolise la mort. Le mot « occident » ne ressemble-t-il pas au latin occidere, occire ? Attentifs aux significations cachées, les hommes d’Église n’ont pas pu s’empêcher de faire le rapprochement.
Une orientation approximative des églises
Si vous observez le plan de multiples églises, vous vous rendrez compte que cette orientation laisse à désirer. Les édifices ne pointent pas exactement vers le point cardinal. Il s’en faut de quelques, voire de quelques dizaines de degrés.
La faute à une boussole mal réglée ? Non, la faute à ce fichu soleil qui n’arrête pas de bouger. Au fil des saisons, l’astre qui sert de repère d’orientation ne se lève pas au même point de l’horizon. Il daigne surgir plus ou moins parfaitement à l’est.
En étudiant certains monuments, certains chercheurs s’étonnent d’une orientation signifiante : l’axe pointe vers le lever du soleil à des dates chargées de symboles : les solstices, une fête chrétienne importante (Pâques, celle du saint patron…). En connaissance de cause, les bâtisseurs choisiraient donc un jour spécial pour planter le bâton qui, de son ombre, allait indiquer l’axe de l’édifice religieux. D’où un écart volontairement recherché par rapport à l’est théorique. L’idée est séduisante sans toutefois être unanimement validée par la recherche scientifique.
En 2023-2024, Jonathan Munch a étudié un corpus de près de 1000 églises françaises, avec mon aide et celle d’abonnés à ce site web. Conclusion : l’association entre la fête du saint patron et l’orientation des églises ne ressortait pas sauf dans quelques cas. Globalement, les bâtisseurs essayaient tant bien que mal de se conformer à l’orientation équinoxiale (soit 90°).
Les églises désorientées
Je pourrais clore maintenant cet épisode sauf que… quelques églises ne respectent pas du tout la règle. Autrement dit il existe des entorses à l’orientation. Comme par esprit de contradiction, certains bâtisseurs ont été jusqu’à tourner le sanctuaire vers l’ouest. Dans ce cas, on dit que le bâtiment n’est plus orienté, mais occidenté. Mortel, n’est-ce pas ? (rappelez vous : occidere). Si vous y prêtez attention lors de vos visites, vous trouverez des églises dans tous les sens, tournées vers sud-ouest, le nord, le sud, etc.
Pourquoi certaines églises — elles sont rares — se comportent-elles comme des girouettes ? Oubliez l’hypothèse d’un architecte qui a égaré sa boussole. En fait, les exceptions s’expliquent souvent par la topographie, c’est-à-dire la disposition des lieux.
Prenons le cas de Marseille. Au XVIIIe siècle, la ville provençale avait une cathédrale médiévale, mais la taille du bâtiment était devenue ridicule par rapport à l’importance qu’avait prise la ville. À partir de 1852, on réédifie la cathédrale sur le même site en lui donnant des proportions gigantesques. Sainte-Marie-Majeure est encore aujourd’hui l’une des plus grandes églises de France. Alors que l’ancienne cathédrale était orientée, la nouvelle est construite perpendiculairement. Pourquoi ? Le bâtiment prenait tellement de place qu’on ne pouvait l’insérer dans le tissu urbain qu’en suivant un axe nord-sud. Bref, la topographie du site a commandé le plan de l’église.
Ailleurs, la présence d’un bâtiment gênant, d’un rempart ou le tracé des rues contiguës ont contraint l’orientation de l’édifice. C’est notamment le cas de la cathédrale de Chartres dont le problème de l’intrigante direction nord-est, a suscité des réponses parfois farfelues. Il se résout facilement dès que l’on regarde le plan antique de la ville, restitué par les archéologues. L’architecte de la cathédrale a moulé son œuvre sur le réseau routier préexistent, hérité de l’Antiquité.
De toute façon, à partir du XVIe siècle, la règle de l’orientation perd de sa rigueur. L’archevêque de Milan, Charles Borromée (1538-1584), admet, en cas d’impossibilité de bâtir autrement, les dérogations. Il vaut mieux tourner l’église vers la ville ou vers la rue plutôt qu’elle lui montre le dos. Attendez-vous donc à surtout trouver les églises désorientées parmi les édifices construits ces derniers siècles.
Les points-clés
En somme, l’orientation des églises obéit principalement à un symbolisme profond : plutôt que la direction de Jérusalem, les bâtisseurs chrétiens visent surtout le lever du soleil lors de l’équinoxe. Cependant, en raison de contraintes topographiques, ou d’une construction plus récente, certains monuments religieux se dispensent de suivre cette tradition.
À la suite de cet article, j’espère que vous ferez un peu plus attention à l’orientation des églises. Pas besoin d’une boussole. Repérez-vous grâce au soleil ou grâce à un plan urbain. Vous dénicherez, j’en suis sûr, quelques constructions insolites.
Si vous aimez découvrir ces anomalies architecturales, j’ai publié un autre article : Les églises n’ont pas toujours un plan en croix.
Merci à Thomas pour sa question qui a inspiré cet article. Merci à Jonathan Munch qui m’a donné l’occasion de répondre à ce problème par des statistiques. Continuez à poser des questions, à explorer et à apprendre ! Votre apprentissage peut passer par votre inscription à mon infolettre du dimanche.
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