On imagine le clergé très réservé vis-à-vis de la représentation de nus dans les églises. En vérité, la Bible et les légendes de saints offrent l’occasion d’en peindre ou d’en sculpter. Occasions dont se sont saisis les artistes, en osant parfois donner une certaine sensualité aux personnages sacrés.
À la différence de la mythologie grecque ou romaine, le christianisme montre peu de corps nus dans les sculptures, les vitraux ou les peintures. Il n’est pas pour autant opposé à leur représentation. L’art chrétien se permet de déshabiller bien plus que ce qu’autoriseraient les autorités dans l’espace public. Autrement dit, il est toléré de peindre un nu, moins de se promener dans la rue, légèrement dévêtu. À condition cependant que le sujet ait un fondement religieux. Justement lesquels ne font pas sourciller la hiérarchie catholique ?
Mises à nu
Adam et Ève, ces deux-là, vous les aviez sûrement en tête. Le couple naturiste le plus célèbre de la Bible figure dans toutes les églises importantes, tantôt sur un vitrail, tantôt dans une sculpture, ou les deux à la fois. Bien qu’au paradis, Adam et Ève vivaient totalement nus, les artistes n’osent pas les montrer dans le plus simple appareil. Ils leur affublent généralement des feuilles — des figuiers — devant leur sexe.
Sinon c’est vrai que la Bible fournit peu d’occasions de représenter des hommes ou des femmes nues. En tout cas beaucoup moins que la mythologie grecque ou romaine dans lesquelles les artistes, dès la Renaissance, puisent abondamment. Vénus, Diane, Apollon…
Les personnages du christianisme sont beaucoup plus pudiques. On n’imagine pas un artiste dénuder la Vierge Marie. Quoique. Ici ou là, il peut surgir un sein du corsage dès lors que la jeune femme est montrée en train d’allaiter son fils.
Marie-Madeleine, bien que réputée prostituée repentie, n’est pas mise à nu. Tout au plus, les peintres et les sculpteurs du Moyen Âge lui dénouent les cheveux. Mais pour l’époque, c’est déjà lui donner un peu d’érotisme : une femme qui déploie sa chevelure librement et ne la cache pas sous un voile est une séductrice.
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Pour observer une nudité dans le christianisme médiéval, il faut rechercher des personnages moins connus. Notamment parmi les jeunes vierges martyres : sainte Catherine, sainte Barbe, sainte Foy… Ce sont généralement des femmes chrétiennes qui ont refusé de renier leur foi et ont été torturées puis tué pour cela. Les images montrent les bourreaux s’acharner sur leurs corps nus.
Chez les hommes
Est-ce que les artistes chrétiens osent les dénuder ? Oui, mais, là encore, la liste s’épuise rapidement.
En dehors d’Adam, le cas le plus fréquent, étant Jésus. Vous le voyez lors de son baptême par saint Jean-Baptiste. Mais vous le voyez surtout dans les crucifixions. Seul un perizonium — un linge noué autour de ses reins — cache son corps. Il est très important pour les artistes d’afficher ce corps nu : il montre que Dieu s’est fait homme et qu’il a souffert jusque dans sa chair. Ce n’est pas un être éthéré qui a subi la crucifixion.
Un autre personnage sacré qui a souffert dans sa chair, c’est saint Sébastien. Il est toujours montré dans une semi-nudité, le corps criblé de flèches. Comme les jeunes vierges martyres, les bourreaux lui firent payer sa conversion au christianisme.
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« Couvrez ce sein que je ne saurais voir »
La nudité mettait-elle mal à l’aise l’Église ? En bon Normand, je répondrai : « oui et non ». Il est vrai que dans la Bible, être nu est vécu comme une honte. Dès qu’Adam et Ève prennent conscience de leur état, ils s’emparent de feuilles de figuiers. Les fils de Noé se cachent les yeux lorsqu’ils voient leur père dans le plus simple appareil. Dans les images religieuses, le christianisme préféra recouvrir de vêtements Dieu et ses saints. Une attitude en opposition aux anciens cultes païens où les représentations d’Apollon, Jupiter ou Vénus dévoilaient leur plastique superbe. Pour les fidèles de ces dieux antiques, la nudité symbolisait la santé et la beauté.
Parallèlement, l’art chrétien propose parmi les plus grandes scènes de nu dans l’histoire de l’art ! Vous ne me croyez pas ? Regardez cela :
Les scènes du Jugement dernier sont en effet une occasion de déshabiller des foules entières. Elles ne sont pas cachées dans le coin sombre d’une église. Bien au contraire, elles se trouvent souvent placées au-dessus de la porte !
Œuvres acceptées, œuvres rejetées
Peut-être pensez-vous que l’Église, frigide au départ, est devenue de plus en plus tolérante au fil des siècles ? C’est un peu plus compliqué que ça.
Au Moyen Âge, on sculpte le Jugement dernier de la cathédrale de Bourges, sans cacher pudiquement fesses et sexes (rappelez-vous : c’est la photo au-dessus). Un magazine grand public d’aujourd’hui oserait-il publier une image remplie de personnages aussi dévêtus ?
Deux cents ans plus tard, Michel-Ange croit pouvoir être aussi cru dans la peinture de la chapelle Sixtine. C’est sans compter sur une partie du clergé qui trouve l’œuvre scandaleuse. A l’image de Biagio da Cesena, un officier pontifical pour qui il est « extrêmement déshonnête d’avoir peint dans un lieu si honoré tant de nus montrant si indécemment leurs parties honteuses et que ce n’est pas une œuvre digne de la chapelle du Pape, mais de sudatoires [sorte de thermes] et de tavernes » !
Dans le contexte de la contre-réforme catholique, la polémique enfle si fort que le pape Paul IV loue les services d’un peintre pour couvrir de drapés les parties les plus osées. Ajouts qui sont enlevés — partiellement — lors de la grande restauration de 1994. Jean-Paul II tolère de voir des fesses et des organes génitaux, mais pas trop.
Il y a donc des époques plus ou moins puritaines. Il y a aussi des commanditaires plus ou moins tolérants. Enluminé vers 1500, ce superbe livre de prières comporte des scènes à faire rougir des enfants en âge de croire au père Noël :
Or, à peu près à la même époque, un autre enlumineur choisit de peindre une Bethsabée beaucoup plus pudique.
Reconnaissons tout de même la part d’audace chez l’artiste. Car, dans la vie quotidienne, dévoiler autant ses jambes aurait mérité à sa belle propriétaire une amende. Et ce, il y a encore moins d’un siècle. L’art s’autorise des choses que les mœurs condamnent.
Conseils d’observation
Dès que vous trouverez un nu dans un église, je vous engage à l’étudier de la manière suivante :
D’abord éteignez ce regard lubrique. Honte à vous 🙂- Essayez d’identifier le ou les individus. C’est d’autant plus facile que la nudité concerne un nombre assez bien limité de figures chrétiennes. Les plus nombreux sont Adam, Ève et les morts du Jugement dernier. Nous avons vu, chez les hommes, que les corps de Jésus, de saint Sébastien sont souvent exposés. Chez les femmes, pensez aux vierges martyres (Agathe, Catherine…). Ajoutez-y les femmes luxurieuses, les sirènes et les créatures tentant saint Antoine…
- Troisième étape, jugez le degré de nudité. Généralement, les parties basses sont camouflées. Amusez-vous alors de l’artifice utilisé par l’artiste pour masquer le sexe ou les fesses. À ce jeu, des peintres et des sculpteurs sont particulièrement inventifs.
- Enfin, jugez le degré de sensualité du personnage. À la fin du Moyen Âge, des artistes osent représenter des hommes et des femmes désirables en vertu du principe qu’un beau corps doit naturellement refléter une belle âme.
Maintenant, grâce à cette méthode, vous ne pourrez plus vous contenter de dire : « Oh ! un nu ».
Si le sujet vous a intéressé, vous êtes gâtés puisque j’y reviens en vidéo. Vous découvrirez des nus troublants par leur séduction.
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