La nudité dans l’art chrétien : entre acceptation et scandale

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Laurent Ridel

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On imagine le clergé très réservé vis-à-vis de la représentation de nus dans les églises. En vérité, la Bible et les légendes de saints offrent l’occasion d’en peindre ou d’en sculpter. Occasions dont se sont saisis les artistes, en osant parfois donner une certaine sensualité aux personnages sacrés.

À la différence de la mythologie grecque ou romaine, le christianisme montre peu de corps nus dans les sculptures, les vitraux ou les peintures. Il n’est pas pour autant opposé à leur représentation. L’art chrétien se permet de déshabiller bien plus que ce qu’autoriseraient les autorités dans l’espace public. Autrement dit, il est toléré de peindre un nu, moins de se promener dans la rue, légèrement dévêtu. À condition cependant que le sujet ait un fondement religieux. Justement lesquels ne font pas sourciller la hiérarchie catholique ?

Mises à nu

Adam et Eve
Adam, Eve et un ange. Chapiteau XIIe siècle de la basilique Saint-Sernin de Toulouse.

Adam et Ève, ces deux-là, vous les aviez sûrement en tête. Le couple naturiste le plus célèbre de la Bible figure dans toutes les églises importantes, tantôt sur un vitrail, tantôt dans une sculpture, ou les deux à la fois. Bien qu’au paradis, Adam et Ève vivaient totalement nus, les artistes n’osent pas les montrer dans le plus simple appareil. Ils leur affublent généralement des feuilles — des figuiers — devant leur sexe. 

Sinon c’est vrai que la Bible fournit peu d’occasions de représenter des hommes ou des femmes nues. En tout cas beaucoup moins que la mythologie grecque ou romaine dans lesquelles les artistes, dès la Renaissance, puisent abondamment. Vénus, Diane, Apollon…

Les personnages du christianisme sont beaucoup plus pudiques. On n’imagine pas un artiste dénuder la Vierge Marie. Quoique. Ici ou là, il peut surgir un sein du corsage dès lors que la jeune femme est montrée en train d’allaiter son fils.  

Vierge allaitante
Vierge debout, allaitant l’Enfant, vitrail vers 1450, abbatiale Saint-Taurin d’Évreux.

Marie-Madeleine, bien que réputée prostituée repentie, n’est pas mise à nu. Tout au plus, les peintres et les sculpteurs du Moyen Âge lui dénouent les cheveux. Mais pour l’époque, c’est déjà lui donner un peu d’érotisme : une femme qui déploie sa chevelure librement et ne la cache pas sous un voile est une séductrice.

Lire aussi : La véritable histoire de Marie-Madeleine : au-delà des légendes et des malentendus

Pour observer une nudité dans le christianisme médiéval, il faut rechercher des personnages moins connus. Notamment parmi les jeunes vierges martyres : sainte Catherine, sainte Barbe, sainte Foy… Ce sont généralement des femmes chrétiennes qui ont refusé de renier leur foi et ont été torturées puis tué pour cela. Les images montrent les bourreaux s’acharner sur leurs corps nus.

Le martyre de sainte Foy
Le martyr de sainte Foy, vitrail de l’église Sainte-Foy de Conches (XVIe siècle)

Chez les hommes

Est-ce que les artistes chrétiens osent les dénuder ? Oui, mais, là encore, la liste s’épuise rapidement.

En dehors d’Adam, le cas le plus fréquent, étant Jésus. Vous le voyez lors de son baptême par saint Jean-Baptiste. Mais vous le voyez surtout dans les crucifixions. Seul un perizonium — un linge noué autour de ses reins — cache son corps. Il est très important pour les artistes d’afficher ce corps nu : il montre que Dieu s’est fait homme et qu’il a souffert jusque dans sa chair. Ce n’est pas un être éthéré qui a subi la crucifixion.

Un autre personnage sacré qui a souffert dans sa chair, c’est saint Sébastien. Il est toujours montré dans une semi-nudité, le corps criblé de flèches. Comme les jeunes vierges martyres, les bourreaux lui firent payer sa conversion au christianisme.

statue de saint Sébastien
Saint Sébastien, statue réalisée vers 1510-1520, en provenance de l’ancienne chapelle de l’hospice à Obernai, musée de l’Oeuvre-Notre-Dame, à Strasbourg

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir »

La nudité mettait-elle mal à l’aise l’Église ? En bon Normand, je répondrai : « oui et non ». Il est vrai que dans la Bible, être nu est vécu comme une honte. Dès qu’Adam et Ève prennent conscience de leur état, ils s’emparent de feuilles de figuiers. Les fils de Noé se cachent les yeux lorsqu’ils voient leur père dans le plus simple appareil. Dans les images religieuses, le christianisme préféra recouvrir de vêtements Dieu et ses saints. Une attitude en opposition aux anciens cultes païens où les représentations d’Apollon, Jupiter ou Vénus dévoilaient leur plastique superbe. Pour les fidèles de ces dieux antiques, la nudité symbolisait la santé et la beauté.

Parallèlement, l’art chrétien propose parmi les plus grandes scènes de nu dans l’histoire de l’art ! Vous ne me croyez pas ? Regardez cela :

Jugement dernier
Jugement dernier, portail principal de la cathédrale de Bourges (XIIIe siècle). Les morts renaissent avec leur chair et sortent des tombes avant d’être jugés par le Christ

Les scènes du Jugement dernier sont en effet une occasion de déshabiller des foules entières. Elles ne sont pas cachées dans le coin sombre d’une église. Bien au contraire, elles se trouvent souvent placées au-dessus de la porte !

Œuvres acceptées, œuvres rejetées

Peut-être pensez-vous que l’Église, frigide au départ, est devenue de plus en plus tolérante au fil des siècles ? C’est un peu plus compliqué que ça.

Au Moyen Âge, on sculpte le Jugement dernier de la cathédrale de Bourges, sans cacher pudiquement fesses et sexes (rappelez-vous : c’est la photo au-dessus). Un magazine grand public d’aujourd’hui oserait-il publier une image remplie de personnages aussi dévêtus ?

Deux cents ans plus tard, Michel-Ange croit pouvoir être aussi cru dans la peinture de la chapelle Sixtine. C’est sans compter sur une partie du clergé qui trouve l’œuvre scandaleuse. A l’image de Biagio da Cesena, un officier pontifical pour qui il est « extrêmement déshonnête d’avoir peint dans un lieu si honoré tant de nus montrant si indécemment leurs parties honteuses et que ce n’est pas une œuvre digne de la chapelle du Pape, mais de sudatoires [sorte de thermes] et de tavernes » !

Dans le contexte de la contre-réforme catholique, la polémique enfle si fort que le pape Paul IV loue les services d’un peintre pour couvrir de drapés les parties les plus osées. Ajouts qui sont enlevés — partiellement — lors de la grande restauration de 1994. Jean-Paul II tolère de voir des fesses et des organes génitaux, mais pas trop.

Jugement Dernier
Détail du Jugement Dernier de Michel-Ange (1536-1541), chapelle Sixtine (Wikimedia commons). Dans cette zone, la restauration semble avoir conservé les ajouts pudiques postérieurs à Michel-Ange. Un drapé surgi de nulle part couvre opportunément les parties intimes du personnage central. En dessous, un homme est affublé d’un caleçon, cachant un derrière qui aurait pu être considéré vulgaire.

Il y a donc des époques plus ou moins puritaines. Il y a aussi des commanditaires plus ou moins tolérants. Enluminé vers 1500, ce superbe livre de prières comporte des scènes à faire rougir des enfants en âge de croire au père Noël :

nu tourmenté par les démons
Personnage tourmenté par les démons, livre d’heures, manuscrit Latin 1771, Gallica/Bibliothèque nationale de France
sainte-marie-madeleine
Sainte Marie-Madeleine. A la fin de sa vie, cette proche du Christ se serait retirée en Gaule et aurait vécu pauvrement dans une grotte. Sa chevelure lui servit alors de vêtement. Livre d’heures, manuscrit Latin 1771, Gallica/Bibliothèque nationale de France
Bethsabée
Bethsabée prenant son bain. De cette juive, le roi David tomba amoureux. A l’arrière-plan, il l’observe pour la première fois. Livre d’heures, manuscrit Latin 1771, vers 1500, Gallica/Bibliothèque nationale de France

Or, à peu près à la même époque, un autre enlumineur choisit de peindre une Bethsabée beaucoup plus pudique.

Bethsabée
Bethsabée fait un bain de pied. Encore ce voyeur de David à l’arrière-plan ! Enluminure de Jean Colombe, Livre d’heures, à destination de Louis de Laval, fin XVe siècle, manuscrit Latin 920, Gallica/Bibliothèque nationale de France

Reconnaissons tout de même la part d’audace chez l’artiste. Car, dans la vie quotidienne, dévoiler autant ses jambes aurait mérité à sa belle propriétaire une amende. Et ce, il y a encore moins d’un siècle. L’art s’autorise des choses que les mœurs condamnent.

Conseils d’observation

Dès que vous trouverez un nu dans un église, je vous engage à l’étudier de la manière suivante :

  1. D’abord éteignez ce regard lubrique. Honte à vous 🙂
  2. Essayez d’identifier le ou les individus. C’est d’autant plus facile que la nudité concerne un nombre assez bien limité de figures chrétiennes. Les plus nombreux sont Adam, Ève et les morts du Jugement dernier. Nous avons vu, chez les hommes, que les corps de Jésus, de saint Sébastien sont souvent exposés. Chez les femmes, pensez aux vierges martyres (Agathe, Catherine…). Ajoutez-y les femmes luxurieuses, les sirènes et les créatures tentant saint Antoine…
  3. Troisième étape, jugez le degré de nudité. Généralement, les parties basses sont camouflées. Amusez-vous alors de l’artifice utilisé par l’artiste pour masquer le sexe ou les fesses. À ce jeu, des peintres et des sculpteurs sont particulièrement inventifs.
  4. Enfin, jugez le degré de sensualité du personnage. À la fin du Moyen Âge, des artistes osent représenter des hommes et des femmes désirables en vertu du principe qu’un beau corps doit naturellement refléter une belle âme. 
Luxure
Une femme nue avec un bouc, voici une des formes allégoriques de la luxure. Moulage de la Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris. La sculpture originale se trouve dans la cathédrale d’Auxerre.

Maintenant, grâce à cette méthode, vous ne pourrez plus vous contenter de dire : « Oh ! un nu ».

Si le sujet vous a intéressé, vous êtes gâtés puisque j’y reviens en vidéo. Vous découvrirez des nus troublants par leur séduction.

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L’AUTEUR

Laurent Ridel

Ancien guide et historien, je vous aide à travers ce blog à décoder les églises, les châteaux forts et le Moyen Âge.

Ma recette : de la pédagogie, beaucoup d’illustrations et un brin d’humour.

Laurent Ridel

7 réponses à “La nudité dans l’art chrétien : entre acceptation et scandale”

  1. Avatar de Christine LeMaur
    Christine LeMaur

    Bonjour Laurent et merci pour cet article ! En effet il eut été dommage de ne pas nous le livrer. Bon dimanche et dans l’attente…

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Merci Christine. Vous faites partie des chanceuses qui ont reçu mon mail. Les serveurs de messagerie ont bloqué ce message.

  2. Avatar de Bruno de BAROCHEZ
    Bruno de BAROCHEZ

    Bonjour Laurent, et merci pour vos articles.
    Voir également dans les mosaïques de Ravenne, le baptême du Christ.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Bonsoir Bruno. Je pense que vous faites allusion à la mosaïque du baptistère des Ariens et du baptistère néonien. Je ne connaissais pas. Le Christ est en effet totalement nu. Merci.
      baptistère des ariens

  3. Avatar de PESTRE Chantal
    PESTRE Chantal

    Bonjour Laurent, que de bon moments passés en votre compagnie avec vos articles « fouillés et affûtés » et très souvent pleins d’humour qui nous amène,t de la fantaisie dans la monotonie quotidienne depuis MARS 2020 !! Vous nous aidez à « garder le moral » et à vivre cette période de « frustration » puisque tout est fermé avec un univers « culturel » qui pour le moment nous est défendu…Un grand MERCI à vous je vous souhaite un bon DIMANCHE et à très bientôt le plaisir de vous lire. Amicalement Chantal PESTRE de LYON.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Bonjour Chantal. Vous me faites autant plaisir par votre message enthousiaste.

  4. Avatar de martine kieffer

    Je vous remerci car je ne les avais jamais vue mais elle est splendites merci

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