Peu de personnages de la Bible ont été autant malmenés par l’histoire : Marie-Madeleine est souvent décrite comme prostituée, honteuse pénitente ou provençale. Découvrez la véritable identité de cette sainte et les indices pour la reconnaître dans les églises.
Hormis la Vierge, Marie-Madeleine est la femme la plus importante du Nouveau Testament. Elle est présente à certains des moments les plus dramatiques de la vie de Jésus. Elle est au pied de la croix pendant la Crucifixion (Jean 19:25), et c’est à elle que Jésus apparaît en premier après sa Résurrection (Jean 20:1-18). Pas étonnant de la retrouver souvent dans les images ornant les églises.
Mais qui était vraiment cette sainte ? Pour le déterminer, il faut gratter les différentes couches historiques et légendaires qui ont recouvert sa véritable identité. Comme chez Cléopâtre ou Jeanne d’Arc, l’histoire de Marie-Madeleine a été déformée et réinventée au fil du temps. Préparez-vous ! On rembobine tout ça.
À la recherche de la véritable Marie-Madeleine
La figure de Marie-Madeleine est plus complexe qu’il y paraît, car elle est le fruit d’un amalgame entre trois femmes.
Il y a d’abord la véritable Marie Madeleine. Celle qui, dans la Bible, s’appelle précisément Marie de Magdala. Magdala, c’est le nom de la localité au bord du lac de Tibériade où elle vivait. D’où le nom de Madeleine.
D’après l’Évangile de Luc, Jésus la délivre de 7 démons. Après cet exorcisme, Marie de Magdalena se joint à la troupe de Jésus et de ses apôtres, parcourant la Judée et Jérusalem.
Grâce à l’Évangile de saint Marc, on apprend aussi sa présence lors de la Crucifixion et de la mise au tombeau du Christ. Mais le moment le plus important, c’est lorsque Jésus ressuscite et choisit Marie-Madeleine comme première témoin de ce miracle, avant même ses propres apôtres. Cette primeur suggère l’importance du personnage. Malheureusement, la Bible reste muette sur son compte après cet épisode.
Trois femmes en une
Dans cette histoire assez simple, un homme en robe rouge sème la confusion : le pape Grégoire le Grand. On se situe près de 6 siècles après la mort de la sainte. Selon les paroles pontificales, Marie-Madeleine se cacherait derrière d’autres femmes mentionnées dans les Évangiles. L’une d’entre elles est Marie de Béthanie, citée par les évangélistes Jean et Luc. Elle est la sœur de Marthe et de Lazare que Jésus ressuscite et sort de son tombeau. Marie de Béthanie, Marie-Madeleine : les deux femmes partagent le même prénom mais est-ce suffisant pour assimiler l’une à l’autre ?
Il y a aussi cette « femme pécheresse » décrite dans l’Évangile de Luc. Elle assiste au repas de Jésus chez un certain Simon (désolé pour l’accumulation de prénoms). À genoux devant le Messie, cette mystérieuse femme pleure. Ses larmes tombent sur les pieds de l’invité d’honneur. Elle les essuie avec sa chevelure puis les parfume. Judas est scandalisé d’un tel gâchis mais Jésus défend le geste généreux de l’inconnue.
Pour saint Jean, cette femme anonyme est en fait Marie de Béthanie, que j’ai évoquée plus tôt. Le pape Grégoire le Grand en conclut donc que Marie-Madeleine est Marie de Béthanie qui est aussi la femme qui essuya les pieds de Jésus avec ses cheveux. Aucun théologien catholique n’émettra de doutes sur ce rapprochement. On ne dément pas un pape aussi prestigieux que Grégoire le Grand !
Pourtant, dans l’Église grecque puis orthodoxe, on ne s’est pas livré à un amalgame aussi tiré par les cheveux (c’est le cas de le dire). D’ailleurs, en 1969, l’Église catholique a finalement rejeté l’interprétation téméraire du pape Grégoire. Trop tard : la réinvention de Marie-Madeleine était déjà bien lancée.
Prostituée et femme de Jésus : 2 idées reçues sur Marie-Madeleine
Aujourd’hui, beaucoup considèrent Marie-Madeleine comme une prostituée si bien qu’elle est devenue la patronne des prostituées repenties.
Cependant, les Écritures ne la qualifient jamais ainsi.
Marie de Magdalena est en revanche délivrée de 7 démons par Jésus. Elle serait aussi une pécheresse si on assimile, comme le pape Grégoire, Marie-Madeleine à la femme qui parfuma les pieds du Christ. À partir de ces éléments, il semble que les hommes aient conclu que les démons de Marie-Madeleine étaient ceux de la luxure et ses péchés étaient forcément de chair. Une interprétation un peu hâtive encore une fois.
Autre image tenace, Marie-Madeleine serait la femme cachée de Jésus. Le roman Da Vinci Code a popularisé cette théorie mais elle repose principalement sur l’Évangile de Philippe, un écrit chrétien ancien non reconnu canonique par la plupart des églises chrétiennes. Il y est fait notamment mention de Marie-Madeleine comme « compagne » de Jésus, ce qui a conduit à beaucoup de spéculations sur la nature de leur relation. Cependant, le mot utilisé pour « compagne » peut aussi être traduit par « compagnon » ou « partenaire », et n’indique pas nécessairement une relation romantique ou conjugale.
Et voilà, j’ai l’impression d’avoir brisé un couple.
Mais, au Moyen Âge, une autre légende avait beaucoup plus de succès… Oui, oui, ça continue !
Les aventures françaises de Marie-Madeleine
Au XIe siècle, les moines de l’abbaye de Vézelay, en Bourgogne, font une annonce fracassante : ils possèdent les reliques de Marie-Madeleine !
Eh oui, rien que ça. Mais attendez un peu, pourquoi le corps de Marie-Madeleine se retrouverait-il en France, alors qu’elle vivait en Palestine ?
Les moines avancent leur version des faits. Accrochez-vous bien.
Après la résurrection du Christ, la vie de Marie-Madeleine continue. Comme d’autres disciples du Christ, elle est persécutée. Elle se retrouve à bord d’un bateau sans rames ni voiles, avec sa famille, dans l’intention de les faire périr en mer. Mais, contre toute attente, le bateau échoue miraculeusement sur les côtes près de l’actuelle Marseille, en Provence. Ce lieu est aujourd’hui connu sous le nom des Saintes-Maries-de-la-Mer.
Sur cette terre étrangère, Marie-Madeleine prêche le christianisme et se retire en ermite dans une grotte, la Sainte-Baume. Pendant 30 ans, elle fait pénitence et prie sans relâche jusqu’à sa mort. Son corps est enterré à Saint-Maximin, dans l’actuel département du Var.
Toujours selon les moines français, la Provence est victime de raids sarrasins quelques siècles plus tard. Afin de protéger les précieuses reliques de Marie-Madeleine du vol ou de la destruction, celles-ci sont transportées en lieu sûr. Et devinez où elles atterrissent. À l’abbaye de Vézelay, bien sûr !
À partir du milieu du XIe siècle, Geoffroy l’abbé de ce monastère, promeut cette histoire avec un enthousiasme débordant : Marie-Madeleine a connu le Christ ; elle fut l’une de ses disciples les plus proches et ses reliques insignes sont à Vézelay ! Dès lors, le culte de Marie-Madeleine, jusque là assez confidentiel, explose en popularité en France. Les pèlerins affluent vers l’abbaye renommée La-Madeleine-de-Vézelay.
Une légende française contestée
Cependant, vous l’avez sûrement deviné, il n’y a aucune preuve historique ou archéologique solide pour soutenir cette tradition d’un séjour en France et d’un déplacement de reliques en Bourgogne. La Bible et les autres sources anciennes ne donnent aucune information sur ce qui est arrivé à Marie-Madeleine après sa rencontre avec le Christ ressuscité. Avant le XIe siècle, l’historien et abbé Victor Saxer (1918-2004) ne trouve aucune mention de traces de Marie-Madeleine en France. Il conclut à une affabulation des moines.
D’ailleurs, dès le Moyen Âge, la crédibilité des moines de Vézelay se fissure. À l’abbaye de Saint-Maximin, où Marie-Madeleine aurait été d’abord enterrée, la version bourguignonne est vivement contestée. Pour les moines provencaux, ses reliques n’ont jamais pu parvenir à Vézelay pour une bonne raison : leur monastère conserve encore le sarcophage de Marie-Madeleine et son corps y repose toujours ! En d’autres termes, Vézelay et Saint-Maximin se disputent la propriété des reliques. Le pape est requis pour arbitrer entre les deux monastères. Finalement, il authentifie les reliques de Saint-Maximin.
Dans les deux cas, il semble que la légende ait été créée pour renforcer la popularité de ces lieux de pèlerinage. Et il faut avouer que ça a plutôt bien fonctionné, car les églises abbatiales de Vézelay et de Saint-Maximin sont magnifiques et imposantes.
Maintenant que nous avons démystifié l’histoire de Marie-Madeleine avant et après sa mort, passons aux travaux pratiques.
Reconnaître Marie-Madeleine dans l’art religieux
Marie-Madeleine est un personnage biblique fréquemment représenté dans l’art sacré des églises. Je vous donne quelques indices pour la reconnaître dans les vitraux, les sculptures ou les tableaux.
D’après mes observations, Marie-Madeleine apparaît surtout dans deux scènes-clés.
Noli me tangere : Ça sonne latin et vous avez raison. Cette scène, tirée de l’Évangile de Jean, signifie « Ne me touche pas ». Elle représente le moment où Marie-Madeleine rencontre Jésus ressuscité près du tombeau et le reconnaît quand il l’appelle par son nom. Jésus lui dit alors de ne pas le toucher, car il n’est pas encore monté vers le Père.
Marie-Madeleine est un personnage récurrent des Mises aux tombeaux. Le Christ est déposé dans un sarcophage par quelques fidèles.
Plus rarement, vous pouvez l’apercevoir dans les scènes de Crucifixion au pied de la Croix, conformément à l’Évangile de saint Jean.
Enfin, elle fait partie des femmes qui se rendent au tombeau du Christ pour y porter des aromates. Elles découvrent un sarcophage ouvert et vide. Dans les représentations de cette scène, Marie-Madeleine ne se distingue pas toujours de ses compagnes.
Les deux indices à connaître
Lorsque Marie-Madeleine est représentée dans une scène ou hors contexte, soyez attentif à ses attributs habituels.
En premier lieu, regardez les cheveux. Marie-Madeleine est souvent représentée avec les cheveux détachés. Jusqu’à la rédaction de cet article, je pensais que cette caractéristique capillaire trahissait son passé supposé de prostituée. Autrefois une femme de bonnes mœurs cachait ses cheveux sous un voile. Mais maintenant, je crois que ce détail fait écho à l’histoire de la pécheresse qui a versé du parfum sur les pieds de Jésus et les a essuyés avec ses cheveux.
Ensuite, cherchez une urne d’onguent dans la main ou à proximité de la sainte. C’est une référence à un autre épisode biblique quand, avec deux autres femmes (dont je vous épargne les prénoms), Marie-Madeleine se rend au tombeau du Christ pour embaumer le corps du crucifié. L’urne contient le baume à base de myrrhe et d’aloès. Mais arrivées sur le site, les femmes trouvent un tombeau ouvert et vide. Le Christ aurait-il ressuscité ? Je ne vous divulgâcherai pas la fin de l’histoire 🙂
Enfin, observez le décor. Marie-Madeleine est parfois représentée dans un paysage sauvage ou une grotte, faisant référence à la légende de sa vie d’ermite en Provence.
Vous êtes maintenant prêt à repérer Marie-Madeleine la prochaine fois que vous visiterez une église ou un musée. Mais ayez conscience que vous regardez une figure largement inventée.
Laisser un commentaire