Regardez les vitraux ou les peintures religieuses : au Moyen Âge, l’Église semble accorder une place spéciale au rouge. Que symbolise cette couleur ?
« Plus on avance dans le temps, plus le christianisme semble devenir une religion du rouge et du sang », analyse Michel Pastoureau. Depuis une dizaine d’années, cet historien étudie les 6 principales couleurs du Moyen Âge : noir, blanc, bleu, vert, jaune et rouge. Selon l’auteur, chacune a une connotation, un symbolisme particulier. Dans une peinture ou un vitrail, l’utilisation de telle teinte ne serait donc pas innocente. Vérifions-le sur l’une des œuvres les plus marquantes du Moyen Âge finissant.
Le triomphe du rouge
En travaillant sur cet article, l’une des premières images qui m’est venue à l’esprit est ce magnifique tableau d’Enguerrand Quarton, le Couronnement de la Vierge.
Ne vous y trompez pas : ce n’est pas une peinture à l’huile, mais une tempera. Les pigments broyés et mélangés à de l’eau sont liés avec de l’œuf entier ou avec le jaune seulement. Parmi ces pigments, le peintre a employé le vermillon. Cette matière de haute qualité, obtenue à partir de sulfure et de mercure, fait éclater les rouges de ce tableau. Le père Noël en serait presque jaloux.
Si Enguerrand Quarton a employé cette couleur, ce n’est pas seulement pour son éclat et sa longue conservation. C’est aussi parce qu’elle convenait parfaitement aux personnages traités. Ce tableau est en fait un résumé haut en couleur de l’utilisation symbolique du rouge au Moyen Âge.
Couleur du sang et du pouvoir
En haut, Dieu et le Christ, traités en jumeaux, couronnent la Vierge Marie. Ils sont chacun revêtus d’un vaste et magnifique manteau rouge. Un choix qui peut aussi bien renvoyer au sang que le Christ a versé pour le salut du monde qu’à la royauté divine. Le rouge est en effet la couleur par excellence du pouvoir. Imaginez un empereur romain : je suis sûr que votre esprit l’habillera de pourpre. Dans une continuité avec l’Antiquité, les rois et les princes médiévaux portent souvent des vêtements rouges. Un d’entre eux, cependant, joue la carte de la différenciation : le roi de France, qui, à partir de la fin du XIIe siècle, préfère le bleu.
Le rouge est habituellement lié à la royauté et au pouvoir. On en trouve une confirmation dans deux autres secteurs du tableau. Au sein des cortèges encadrant la scène, regarder les rois et les papes : ils sont habillés de rouge.
Toute cette palette semble naturelle. Par contre, derrière le Christ et Dieu se déploie un chœur d’anges rouges, et non blancs comme on s’y attendrait ! Pourquoi Enguerrand Quarton a-t-il fait ce choix insolite ?
Rouge flamboyant
Non, le peintre ne s’est pas dit : « bon, il me reste encore du vermillon sur ma palette, je ne vais pas gaspiller une matière qui m’a coûté si cher, je vais l’appliquer aux anges ». En fait, Enguerrand Quarton raisonne plus qu’en artiste économe : il s’appuie sur sa connaissance pointue de la hiérarchie céleste.
Ces anges sont précisément des séraphins. On les reconnaît à leurs multiples paires d’ailes (si vous avez cru à des tentes d’Indiens dans leur dos, soyez rouge de honte). Chargés d’adorer et de louer Dieu, ils forment le premier cercle angélique. Étymologiquement, « séraphin » signifie « ceux qui brûlent ». Sous-entendu, ceux qui brûlent d’un amour divin.
Après le sang et la royauté, nous en arrivons donc au 3e symbolisme du rouge : le feu. Tous les personnages habités par un feu sont rougeoyants. Le feu de l’amour, mystique ou charnel. Vous noterez au passage la perpétuation de ce symbolisme. Le rouge est encore la couleur de la passion.
Au lieu de faire battre le cœur, le feu peut être celui qui anime l’enfer. Avez-vous d’ailleurs remarqué que l’enfer occupe la partie en bas à droite du tableau de Quarton ? Hommes et femmes sont tourmentés dans un décor de flammes par des démons rouges ou noirs. Les démons renvoient à l’enfer qui renvoie lui-même au feu qui lui-même renvoie au rouge. Cette chaîne d’association explique que les peintres ou les verriers représentent Satan écarlate.
Couleur positive et négative
Cet exemple diabolique montre l’ambivalence de la couleur rouge. Il y a un bon feu et un mauvais feu (comme il y a un bon et un mauvais chasseur, mais c’est une autre histoire). De même, il y a un bon sang (le sang purificateur du Christ) et un mauvais sang, celui que verse le meurtrier. Le rouge a donc sa face sombre.
Je ne vois pas un hasard si, dans ce petit tableau, quelques bourreaux sont habillés en rouge.
De là, cette couleur est associée aux crimes, aux fautes. Ce symbolisme perdure lui aussi. Avec quel stylo, votre instituteur ou votre institutrice raturaient-ils vos (rares) erreurs dans la dictée ?
Variante honnie du rouge : le roux
Judas est le plus célèbre roux de l’histoire. Bien que la Bible n’en donne aucune description physique, les peintres d’enluminure prennent l’habitude, à partir de l’an 1000, de le distinguer en lui faisant pousser une barbe et des cheveux roux. Ce lien tissé entre des poils roux et le mal remonte loin (de tout temps, les gens qui sortent physiquement de la norme sont vus négativement), mais le christianisme médiéval renforce cette association. Un personnage roux désigne forcément un être cruel, faux, menteur, perfide. Tout le portrait du traître Judas.
Et il n’est pas la seule victime de cette correspondance. Rappelez-vous le Roman de Renart. Ses différents auteurs ont donné le rôle du fourbe à un animal roux, le goupil.
Gare à la symbolite aiguë
Le roux est donc associé à la perfidie ; le rouge au sang, au feu et au pouvoir. Mais avant de terminer cet article, je tiens à une mise en garde : ne cherchez pas systématiquement ces symbolismes dans toutes les œuvres du Moyen Âge.
Pour preuve, regardez cette surprenante représentation du Christ.
Oui, le Christ est aussi roux que Judas. À moins de croire que derrière Jésus se cache le plus grand traître de l’humanité, cette chevelure orange n’a pas de raison d’être.
À mon avis, il faut donc reconnaître à l’emploi de l’orange et surtout du rouge des motivations plus basiques. L’orange est très facile à produire grâce à la profusion de terres ocre. Le rouge est aimé tant par les artistes que par le public. L’historien Michel Pastoureau la présente comme la couleur préférée de l’Antiquité et du Moyen Âge avant que le bleu ne l’emporte dans les cœurs. Elle est donc naturellement utilisée dans les peintures ou les vitraux anciens.
Enfin, je pense que les peintres jouent sur sa propriété de focalisation. Habiller de rouge un personnage le met en valeur dans la composition et sert la lecture de l’œuvre.
Dans vos prochaines observations d’œuvres d’art, essayez de distinguer les rouges symboliques des rouges purement esthétiques.
Si le sujet vous passionne, le Musée de Louvre a invité Michel Pastoureau pour une série de conférences sur l’histoire des couleurs.
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