Parfois, pendant une visite d’église, un vitrail vous interpelle. Et pourtant ce n’est assurément pas un chef-d’œuvre. Votre guide papier n’en parle pas. Aucun panneau d’information ne le met en avant. Et si vous perciez vous-même ses secrets ?
Depuis plusieurs mois, je m’amuse à visiter les petites églises autour de chez moi. Ces promenades touristiques s’apparentent souvent à un rendez-vous en terre inconnue. Je voyage sans disposer d’informations sur ces monuments trop modestes pour mériter quelques lignes de présentation.
Quand je me suis retrouvé devant l’église de Livarot, bourg normand, les chances de tomber sur une merveille étaient minces : l’architecture, largement marquée par les transformations du XIXe siècle, ferait bailler un éléphant.
Les vitraux appartenaient à la même époque. Sauf un qui était encore plus récent. Bref, circulez, y’a rien à voir. Mais voilà, j’ai trouvé belle cette verrière moderne. Alors, j’ai commencé à mieux la regarder. Le vitrail s’est révélé.
Ne pas mépriser les vitraux contemporains
Je devine un certain désappointement chez vous, lecteur. C’est donc ça le vitrail qui m’a scotché. Je suis moi-même déçu. La taille de mon image ne permet pas d’en apprécier les détails ; le rendu photographique ne correspond pas exactement à ma vision des couleurs.
Reconnaissez néanmoins que cette verrière se distingue des autres, montées au XIXe siècle. Jugez la différence :
Les scènes sont luxuriantes jusqu’à la nausée. La composition m’ennuie. Le temps n’a pas arrangé les choses : traits et peinture se sont affadis. Bref, comme le Christ à l’égard des marchands du temple, j’ai envie de crier « oust ! ».
Je reviens sur le vitrail qui m’a séduit. Est-ce à cause de son dessin plus franc ? Est-ce par ses couleurs plus douces ? Notez l’utilisation, rare, d’une gamme de verts clairs. Il me tape dans l’œil. Je vais donc le regarder plus attentivement.
Une sainte populaire du XXe siècle
D’abord, identifions le personnage honoré. Facile. Jouons-la comme Julien Lepers. Je suis une femme habituellement représentée en armure ; je termine ma jeune vie sur un bûcher. Je suis, je suis… Jeanne d’Arc !
Les deux scènes principales montrent une composition statique. Au contraire du soufflet, la partie sommitale du vitrail.
On y voit Jeanne d’Arc se tordre sur son poteau. Les flammes ondulent, le corps se convulse, les cheveux s’envolent. Les multiples courbes font de cet élément une réussite artistique à mes yeux.
Au-delà de l’esthétisme, je me rends compte que ce vitrail de sainte Jeanne d’Arc présente d’autres intérêts : je repère sa date de création et quelques maladresses de l’artiste. Voyons tout ça.
L’année figure dans la discrète signature en bas à gauche.
L’œuvre date donc de 1924. Horreur ! Une réalisation du XXe siècle ! Les amateurs de vitrail, les guides touristiques papier dédaignent généralement cette époque. À moins qu’un artiste de renom comme Chagall, Ingrand ou Braque les aient dessinés.
Cinq ans auparavant, peu de maîtres-verriers auraient créé, pour une église, un vitrail en l’honneur de la Pucelle d’Orléans. Et pour cause, la jeune femme n’était pas encore canonisée. En 1920, le pape Benoît XV l’admet enfin au rang des saintes alors qu’elle est morte depuis près d’un demi-millénaire. Aussitôt, la célébration de Jeanne d’Arc bat son plein dans les églises. Les paroisses s’empressent de commander des vitraux ou des statues représentant ce personnage populaire. Livarot suit le mouvement.
La prochaine fois que vous tomberez sur une image de Jeanne d’Arc dans une église, soyez donc presque assuré qu’elle est postérieure à 1920, date de sa canonisation. Vous pourrez ainsi impressionner vos amis par votre culture lors d’une visite. Pour d’autres conseils, lisez comment passer pour un expert des vitraux qu’on n’y connaît rien ?
Des détails bizarres
Vous connaissez les grandes lignes de l’histoire de Jeanne d’Arc. À plusieurs reprises pendant son adolescence, des apparitions ou des voix exhortent Jeanne à sauver le royaume de France et à partir rencontrer le roi Charles VII. La scène inférieure condense ces épisodes.
À gauche, Jeanne est représentée dans les activités d’une paysanne : elle file (elle tient un fuseau de laine) et elle garde les moutons.
À droite, trois personnages, montés sur une nuée, s’adressent à la jeune femme. Ce sont les fameuses « voix ». Je les identifie progressivement. Celle du milieu s’appuie sur une roue. C’est assurément sainte Catherine, en référence à son supplice. L’empereur romain Maximien la condamna à être déchirée par une roue garnie de pointes.
- Lire aussi : identifier 10 saints célèbres dans les églises
La femme du fond tient une fleur blanche : je reconnais sainte Marguerite. Quant au personnage au premier plan… Ses grandes ailes rouges nous indiquent un ange, mais pas n’importe lequel. Son épée en fait un guerrier. C’est donc plus précisément l’archange saint Michel.
Ce dernier personnage présente deux petites bizarreries. Les avez-vous repérées ? Premièrement, l’archange prend l’épée par le tranchant. À main nue en prime. Ne craint-il pas de se blesser ? (Nathalie, une lectrice du blog, m’a proposé une interprétation : saint Michel tient l’épée ainsi car il s’apprête à la remettre à Jeanne. Depuis je pense aussi que la garde de l’épée, présentée ainsi, forme symboliquement une croix). Regardez ensuite la poitrine de saint Michel. Alors que les anges n’ont pas de sexe, l’artiste a cru bon de parer l’armure d’improbables protège-seins.
Erreur historique
La scène supérieure réserve aussi son lot de surprises et de maladresses. Elle représente le sacre de Charles VII le 17 juillet 1429. Jeanne d’Arc se tient immédiatement derrière le roi à genoux. Elle serre sa bannière blanche sur laquelle on reconnaît Dieu, des anges et un morceau de l’inscription « Jhesu Maria » (Jésus Marie). Autant de détails attestés par les sources. Le verrier (Ch. Champigneulle) ou plus vraisemblablement le dessinateur de son atelier s’est donc bien renseigné.
Mais ne le complimentons pas trop vite. La partie gauche est plus critiquable. Sous l’œil des aristocrates et des plus hauts dignitaires d’Église, l’archevêque de Reims dépose une couronne sur la tête du roi. Or, en ce 17 juillet 1429, les protagonistes n’ont pas le précieux ornement. Et pour cause : tous les insignes royaux sont conservés dans l’abbaye de Saint-Denis, alors en territoire anglais. On n’a pu les ramener à Reims pour la cérémonie improvisée. Mais l’artiste n’est pas le premier à commettre cette erreur historique. Je lui pardonne volontiers.
Par contre, je regrette qu’il n’ait pas dessiné un Charles VII plus ressemblant. Le peintre Jean Fouquet nous a pourtant laissé un portrait connu et maintes fois reproduit.
À la place, le verrier nous montre un roi d’âge mûr alors que le prince n’a que 26 ans au moment du sacre.
Une perle dans chaque église
Finalement, il y a beaucoup de choses à dire sur ce vitrail banal de la première moitié du XXe siècle. La plupart des visiteurs l’auraient délaissé, faute de ne pas appartenir à l’âge d’or médiéval. Vous ne serez peut-être pas convaincu de l’intérêt de ma description ou par la qualité artistique de l’œuvre. Qu’importe ; à vous de trouver la sculpture, le vitrail ou la peinture qui vous parle, qui vous émeut.
Au fil de mes visites d’églises, je suis renforcé dans l’idée que chaque édifice, même le plus insignifiant, abrite une petite perle. Dénichez la vôtre !
Laisser un commentaire