« Je visite des églises, mais je ne m’en souviens plus après »

moi

Laurent Ridel

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C’est la phrase que m’a répondue Marie quand je lui ai parlé de mon blog. Autrement dit, elle avait l’habitude d’entrer dans des églises, mais rien ne retenait son attention au point de se le rappeler plus tard. Vous vous sentez comme elle ? Voyons comment rendre vos visites plus intéressantes et donc plus mémorables.

Eglise Saint-Pierre de Caen
L’église Saint-Pierre de Caen (Calvados) qui va nous servir d’exemple

Visiter une église comme on déguste un verre de vin

Le sentiment de Marie me rappelle cette situation délicate que vous avez peut-être connue. Des amis vous invitent à dîner. Vous mangez, videz votre verre de vin quand soudain votre hôte vous interroge : « alors, t’en penses quoi de mon petit côtes-du-rhône ». Et là vous vous sentez bête ; vous écoutiez la discussion, vous aviez soif, et vous avez bu mécaniquement votre verre sans prêter attention au goût. Pris au dépourvu, vous répondez, avec un faux enthousiasme : « ah ! très bon ! ».

Or visiter une église c’est un peu consommer du vin. On peut soit le boire soit le déguster. Dans le deuxième cas, vous sentez d’abord son arôme en faisant tourner le liquide dans votre verre. Puis, vous avalez une gorgée ; vous distinguez alors les tanins ou les fruits, vous notez l’évolution du goût en bouche…

Afin d’y prendre plus de plaisir, une visite d’église peut se déguster. Dès lors qu’on a appris à regarder, à observer. Ça tombe bien : c’est l’objectif de ce blog.

Aperçu extérieur

Marie m’a parlé d’avoir visité l’église Saint-Pierre de Caen en étant incapable de m’en dire quelque chose. J’y suis donc allé. Suivez mes pas. J’anticipe la conclusion : le monument est plutôt inoubliable.

Chevet de l'église Saint-Pierre de Caen
Récemment dégagé de sa crasse, le chevet de l’église Saint-Pierre de Caen resplendit.

Au premier abord, vous pouvez évaluer l’importance de l’église. Saint-Pierre de Caen n’a pas le titre de cathédrale, mais elle a tout d’une grande (pour paraphraser une publicité). Le commanditaire de ce monument a mis les moyens au vu de ces caractéristiques :

  • un bel appareil (si cette expression vous est obscur, regardez ceci),
  • la longueur de l’édifice. N’hésitez pas à compter votre nombre de pas d’un bout à l’autre,
  • un clocher haut, ouvragé et élégant,
  • une profusion décorative sur le chevet (l’extrémité extérieure d’une église).

Je prête attention à ce décor. La pierre est très ornée (on aime ou on n’aime pas) ; les sculptures utilisent un répertoire inhabituel pour une église. En effet, les motifs sont Renaissance et non gothique ou roman comme dans la plupart des églises. En bas de cet article, se trouve un guide pour vous aider à faire la différence entre les styles.

Chevet de l'église Saint-Pierre de Caen.
Détail du chevet. Les balustrades à vases, les cornes d’abondance, les médaillons illustrent le vocabulaire ornemental de la Renaissance. Assez peu d’églises s’inscrivent dans ce style en France.

Ces motifs sont d’autant plus étonnants qu’ils entretiennent un rapport peu évident avec la religion. Je ne reconnais en effet aucune figuration de saints ou de symboles chrétiens. Le roi François 1er n’aurait pas dédaigné une telle décoration dans son palais. Bref, les sculpteurs se sont fait plaisir.

À l’intérieur de l’église

Je pourrais écrire un article complet sur l’extérieur, mais je vous raccourcis la visite pour que nous nous réfugiions à l’intérieur. Encore une originalité : la porte se trouve sur le côté et non au bas de la façade principale.

Visiter une église, c’est justement identifier tous ces détails qui clochent. Ils rendent l’édifice unique et donc intéressant. Un plan à l’encontre des traditionnels rectangle ou croix latine, une église orientée vers le sud plutôt que vers l’orient… ces caractéristiques doivent vous interpeller. À Saint-Pierre de Caen, vous allez voir que nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Je me tiens dans la nef. C’est le moment de s’arrêter un instant pour capter l’ambiance du lieu. Certaines églises vous semblent mystérieuses, d’autres lumineuses. Certaines dégagent une impression de puissance et de richesse ; d’autres recherchent l’intimité avec le croyant ou le visiteur. Saint-Pierre de Caen affiche des tonalités jaune, apportées par les vitraux et le soleil triomphant de cette journée. La lumière est comme vaporeuse.

J’étudie ensuite l’architecture du monument. La photo ci-dessous montre ce que je découvre. Qu’est-ce qui vous interpelle ?

Nef et choeur de l'église paroissiale Saint-Pierre de Caen
Nef et choeur de l’église paroissiale Saint-Pierre de Caen

Je suppose que l’orgue moderne a attiré votre attention. Moi aussi. Mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Mon regard s’est arrêté sur une autre partie : les voûtes. Ce ne sont pas de simples croisées d’ogives (le croisement de deux arcs), elles sont habillées de multiples branches. Elles défient même la gravité puisque des pierres sculptées en pointe retombent, comme suspendues dans le vide. Ce sont des clés pendantes. Comment tiennent-elles ? Seuls ces virtuoses de tailleurs et de maçons pourraient l’expliquer.

Comme les sculptures du chevet y invitaient, je devine que cette partie de l’église date sûrement du XVIe siècle. C’est à cette époque que les édifices religieux se couvrent de voûtes complexes et de clés pendantes.

On pourrait s’arrêter à remarquer cette série de voûtes exubérantes, mais j’aime bien chercher dans les formes régulières, les notes discordantes. Et là, ça ne manque pas. Regardez la dernière clef pendante, tout au fond. Voici de plus près.

Clé pendante
Extraordinaire clé pendante ornée d’une statue de saint Pierre

Cette clef pendante est énorme. Une sorte d’épée de Damoclès qui menace tout visiteur s’aventurant dans le chœur. Je répète ma question : comment cela tient-il ? Qu’on se rassure : c’est là depuis environ 500 ans.

Se concentrer sur les sculptures

Voici ma méthode quand je visite une église :

  • je fais un premier tour pour comprendre l’architecture du monument. Je dessine dans ma tête le plan, compte le nombre d’étages, identifie le type de voûtes, devine comment le bâtiment s’articule…
  • Dans le 2e tour, je me concentre sur la décoration : les vitraux, les sculptures et le mobilier. Il y a toujours à voir pour peu qu’on soit attentif.

Dans une église, analysez systématiquement les chapiteaux au-dessus des colonnes ou des piliers, car ce sont des zones privilégiées où les sculpteurs s’expriment. Ces artisans les habillent souvent de motifs végétaux ou géométriques. Parfois, vous pouvez tomber sur des scènes historiées : elles racontent une histoire.

Au premier abord, Saint-Pierre de Caen semble présenter au visiteur des chapiteaux végétaux. Petite déception. Mais à force de les passer un par un, je distingue un cas bizarre : non seulement il est figuré, mais je reconnais un chevalier volant sur une épée !!! J’ai besoin d’explication. Help !

Chapiteau représentant Lancelot
Une visite réserve toujours quelques surprises comme ce chapiteau.

Un héros de roman dans une église

Pour comprendre une telle étrangeté,

  • soit vous essayez de chercher la solution en tapotant sur votre téléphone connecté à Internet. Peu d’espoir : à la requête « chevalier volant sur épée », Google pourrait vous emmener vers des livres d’heroic fantasy.
  • Soit vous essayez de trouver une explication écrite quelque part dans l’église.

Justement, je parviens à repérer, près du chapiteau en question, un discret encart qui me renseigne. En fait, nous voyons une représentation de Lancelot, un des chevaliers de la Table Ronde. Contrairement à mon impression, le personnage ne vole pas comme une sorcière sur son balai.

Dans le roman médiéval Lancelot ou le chevalier à la charrette, il est dit que, pour atteindre le château de Méléagant, le héros doit franchir un pont qui surplombe une eau noire et glacée. Épreuve dangereuse, car le pont est fait d’une gigantesque épée tranchante et des lions gardent la rive opposée. Le chapiteau montre Lancelot traverser l’obstacle dans une fâcheuse position. Mais rassurez-vous : dans le livre, le héros réussit à passer.

Les sculpteurs de Saint-Pierre de Caen ont donc inséré un personnage de roman de chevalerie dans cette église ! Allez comprendre. C’est comme si l’architecte de la pyramide du Louvre plaçait des scènes d’Astérix et Obélix sur son œuvre.

Derniers conseils de visite

Alors Marie ? Toujours sans attrait, cette église ?

Les voûtes abondamment nervurées de l’église Saint-Pierre de Caen. Les spécialistes reconnaîtront des liernes et des tiercerons.

Je conclus de ma (brève) visite que Saint-Pierre de Caen est un monument tape-à-l’œil. Les motifs sculptés sur le chevet ou sur le chapiteau de Lancelot ne dispensent aucun enseignement religieux. Les arcs multiples des voûtes n’ont aucun intérêt structural. Les bâtisseurs auraient pu s’en passer sans que le bâtiment s’effondre. Mais ils voulaient épater. En termes plus diplomatiques, ils cherchaient à élever le plus beau des monuments à la hauteur de la gloire de Dieu.

Maintenant, vous en savez suffisamment pour que cette église vous reste en mémoire. Et j’ai espoir que Marie retournera la visiter à la lumière de ces explications.

Certains d’entre vous me répliqueront : pour repérer tous ces détails, encore faut-il s’y connaître. Je pense vous avoir démontré que tout commence par une observation attentive. Ça peut même se transformer un jeu. C’est à celui qui trouvera l’élément le plus insolite dans l’église. Ensuite, si vous visitez régulièrement ce blog (et vous l’êtes de plus en plus, merci), vous êtes dans une démarche d’apprentissage. Au fil de la lecture des différents articles, votre regard s’affine.

Je suis sûr par exemple qu’à l’avenir vous examinerez avec plus d’attention les voûtes ou les chapiteaux. N’est-ce pas ?

Commencez du bon pied en téléchargeant le guide ci-dessous. Il ne vous aurait pas échappé que le chevet de Saint-Pierre de Caen appartenait au style Renaissance…

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L’AUTEUR

Laurent Ridel

Ancien guide et historien, je vous aide à travers ce blog à décoder les églises, les châteaux forts et le Moyen Âge.

Ma recette : de la pédagogie, beaucoup d’illustrations et un brin d’humour.

Laurent Ridel

2 réponses à “« Je visite des églises, mais je ne m’en souviens plus après »”

  1. Avatar de Françoise

    Combien de temps faut-il passer dans une église que l’on visite pour en avoir vu les éléments principaux ? J’avoue que pour moi, c’est un p’tit tour et puis s’en va !

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Peut-on fixer un temps uniforme pour une visite selon qu’on se trouve face à la cathédrale d’Amiens ou devant une chapelle perdue dans la campagne ? Qu’importe le nombre de minutes que vous passez. L’essentiel est de retirer quelque chose de votre visite : un détail, une émotion…

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