Comment passer pour un expert des vitraux quand on n’y connait rien ?

Vitrail de la région de Soissons (1er quart XIIIe siècle), conservé au musée du Louvre. Vie de saint Nicaise.
Le vitrail : jeu du verre avec la lumière
Une fois le groupe entré dans l’église, commencez par expliquer le rôle des vitraux. Quel que soit le monument, ces informations conserveront leur pertinence. « Comme toute fenêtre, le vitrail est un compromis entre protection et éclairage. Du froid et des intempéries, il protège l’intérieur de l’édifice et les fidèles. En même temps, sa transparence assure un minimum d’éclairage. Mais si le vitrail ne servait qu’à ça, les bâtisseurs auraient pu se contenter d’installer de grands panneaux de verres incolores. Ce qu’ils n’ont généralement pas fait ». Posez alors un silence afin de créer un soupçon de suspense, puis enchaînez : « Les verriers ont préféré s’embêter à assembler une mosaïque de morceaux de verres colorés. La recherche esthétique saute aux yeux. L’ensemble forme des motifs géométriques, des végétaux, des personnages et mieux des saynètes animées ». Pour peu que la journée soit belle, emmenez vos amis jusqu’à une fenêtre où les rayons de lumière percent la paroi vitrée. Moment de grâce : le soleil irradie les pièces de verres. « Chaque morceau a sa couleur. Cette teinte est obtenue par l’ajout de sels métalliques lors de la fusion du verre. Soit à 1200-1500 °C. Par exemple, l’oxyde de cobalt produit du bleu. Le verre est donc teinté dans la masse et non peint, sauf pour dessiner les visages, les plis d’une robe… » Alors que vos invités s’émerveillent, laissez votre discours verser dans le lyrisme : « Les commanditaires des églises cherchent à donner à leur édifice l’image d’une Jérusalem céleste ». La Jérusalem céleste ? « Oui, c’est la cité de Dieu. Elle est décrite dans la Bible comme peuplée d’anges et de saints, et ornée de pierres précieuses. Grâce aux vitraux, l’église imite et préfigure cette ville divine ».La soi-disant bible des illettrés
Alors que vous sentez votre public de plus en plus captif à vos paroles, un de vos amis ose vous interrompre : « Oui, mais il ne faut pas négliger le rôle didactique des vitraux pour le peuple. Les images enseignent la parole de Dieu, rappellent les épisodes de la vie du Christ, montrent des exemples de vie sainte… Bref, c’est une sorte de bible pour les illettrés ». Zut, vous aviez oublié que dans votre groupe figurait un « monsieur Je-sais-tout ». Vite, reprenez en main la situation avant que cet « ami » vous supplante dans le rôle de guide. Tel un joueur de tennis, utilisez votre revers : « Oui, tu as raison. Mais n’exagère pas cette fonction. Regarde cette rosace. Elle se trouve à 20 m au-dessus de nous. Arrives-tu vraiment à déchiffrer les petits personnages figurés dessus ? Ils sont bien trop loin et bien trop petits pour donner un quelconque enseignement. Le peuple du Moyen Âge ne voyait pas mieux que nous. J’en reviens donc à mes explications initiales : les vitraux ont d’abord un rôle pratique — ils clôturent les baies — esthétique et symbolique — ils préfigurent la Jérusalem céleste ».
Rose du croisillon nord de la cathédrale de Reims. Il faut des jumelles pour comprendre que les vitraux sont consacrés à la Création. Les médaillons montrent en effet Adam et Eve (XIIIe siècle).
Dater les vitraux : l’art de ne pas se mouiller
« Aucun des vitraux de cette église n’est antérieur au XIIe siècle », annoncez-vous à vos amis. C’est le genre de phrase qui vous fait passer pour un expert sans prendre le risque de vous tromper. En effet, aucune église de France ne possède de vitraux plus vieux que l’an 1100 environ. Non pas qu’on n’en montait pas avant. Pas du tout puisqu’à l’occasion de fouilles d’églises, les archéologues ont réussi à retrouver des morceaux de verres teintés du VIIe siècle. Simplement, nulle part, ces pièces anciennes ne sont restées en place. Peu au fait de ces subtilités, vos amis commencent à être convaincus par votre savoir. Il faut alors enfoncer le clou. Par exemple, en datant les vitraux qui se présentent au fur et à mesure de votre parcours dans l’église. Là, ça se corse. D’abord, rassurez-vous : vous avez peu de chances de tomber sur des vitraux du XIIe siècle. Sauf à visiter Saint-Denis, les cathédrales de Châlons-en-Champagne, d’Angers ou de Chartres, l’église abbatiale de Saint-Rémi de Reims…
Vitraux XIIe siècle de l’abbatiale Saint-Rémi de Reims. Etant donné que ces œuvres se trouvent en hauteur, leur sujet sont simplement de grands personnages. Assis sur des trônes, ces saints adoptent une attitude hiératique
À chaque époque, son style
Bon, maintenant, il faut vous lancer : datez les vitraux de l’église, sans filet. Heureusement vous devriez rencontrer un des cas d’école suivants. Le vitrail ci-dessous affiche une palette dominée par les bleus et les rouges. L’ensemble est assez sombre. Les scènes fourmillent de personnages. Notez les fonds à motifs géométriques et les bordures à entrelacs végétaux. Conclusion : un vitrail de la première moitié du XIIIe siècle.
Vitrail de Lazare et du mauvais Riche dans la cathédrale de Bourges. XIIIe siècle

Verrière du Jugement Dernier (détail) dans la cathédrale de Coutances. Saints Simon, Jean l’Evangéliste et Jacques le Mineur

Vitrail de la vie de Saint-Romain dans la cathédrale de Rouen (XVIe siècle)

Vitrail de la cathédrale de Bayeux. Vie de saint Exupère. L’iconographie et les tonalités rappellent le Moyen Âge mais ce sont des créations du XIXe siècle, des vitraux archéologiques. Au passage, admirez l’habileté du sculpteur qui frappe à l’aveugle.
Identifier une scène religieuse
Durant la visite, arrivera fatalement ce moment difficile. Vous êtes plantés devant un grand vitrail peuplé d’une myriade de personnages. Qu’est-ce que ça représente ? Il y a des saynètes dans tous les sens et en prime, vues d’en bas, les figures sont bien trop minuscules pour être identifiées. Vous constatez dans le regard de vos amis le même sentiment de perdition. Cachez votre propre trouble, prenez une inspiration et remettez de l’ordre dans les yeux de vos visiteurs. « Ces vitraux se lisent du bas vers le haut », prévenez-vous. Logique : ils racontent généralement la vie d’un saint personnage ; à chaque étape de son histoire, ils se rapprochent du ciel jusqu’à être accueilli par Dieu dans la scène la plus élevée du vitrail. Reste à identifier le personnage principal représenté. Si c’est un barbu d’âge moyen, il s’agit probablement du Christ ; si c’est une femme couronnée, sûrement la Vierge. Enfin, si c’est une personne auréolée, c’est sans doute un saint. Mais lequel ? Dans ce domaine, il y a pléthore de possibilités, car l’Église catholique a canonisé plusieurs milliers d’hommes ou de femmes.
Vitrail de saint Charlemagne. Cathédrale de Chartres. Si vous avez lu l’article, vous reconnaissez un vitrail du XIIIe siècle : dominante bleue et rouge, fonds en écaille, bordure de feuilles. Au centre, le mot latin « Carolus » (Charles) peut vous aider à trouver le saint représenté.

Bonjour Laurent,
Super article et toujours très instructif
Cela sent le vécu 😉
Nul doute que je vais user de tes stratagèmes
Merci André. Faire compter le nombre de morceaux de verre dans un vitrail, ça marche très bien avec les enfants 🙂
L’angle choisi pour cet article est très amusant, je me suis imaginée avec mes amis ! 😉
Merci pour ce bon moment! 🙂
On a tous les mêmes amis 🙂
Bonjour, j’ai un vitrail avec le crist dessus. Il est tres ancien. J’aimerai savoir ou je peux m’informer pour le vendre et avoir le juste prix
Bonjour, je ne connais pas ce sujet. Rapprochez-vous d’une salle des ventes. Il y a en a même dans les petites villes.
Merci beau coup de vos explications. Je suis guide de Riga et je fais DES visites pour les groupes francophones dans les temples gothiques .
Je suis toujours surpris par l’audience internationale de ce site. Vous êtes la première Estonienne. Bienvenue.
Bonjour Laurent, je voudrais préciser ma nationalité,je suis letonne. Je vous remercie de vos articles. Vos explications m aident beaucoup dans mon boulot.
Honte à moi. Je croyais être très bon sur les capitales européennes. Vous êtes néanmoins la première lettonne.
Bounjour Laurent,
Une fois de plus mille mercis pour vos excellents articles. Je me délecte toujours de sa lecture. Avec ce dernier article en plus, je me suis amusée en pensant aux visages de mes amis quand ils viendront sur Marseille et je ferai de guide ☺ !!! Bien entendu, j’utiliserai vos stratagèmes 😊 Merci encore
« D’abord, rassurez-vous : vous avez peu de chances de tomber sur des vitraux du XIIe siècle. Sauf à visiter Saint-Denis, les cathédrales de Châlons-en-Champagne, d’Angers ou de Chartres, l’église abbatiale de Saint-Rémi de Reims… »
Désolée : à Clermont, nous avons 15 médaillons du XIIe!
D’où mes points de suspension…
culture in vitro …
🙂
Et comme vous le savez, in Vitro veritas.
Rhôôô 😉