Dans l’imaginaire, le château fort est perché en haut d’une colline, ou mieux, d’une montagne. Dans la réalité, l’altitude n’est pas un critère déterminant. Pour le comprendre, mettons-nous dans les bottes d’un bâtisseur du Moyen Âge.
Mes félicitations ! Vous êtes promu(e) ingénieur(e) militaire. Votre mission : trouver le site idéal où construire votre château fort. Vous ne vous sentez pas à la hauteur ? Ne craignez rien : je vous souffle quelques conseils. Déjà, comprenez deux choses : parfois, les préoccupations défensives n’entrent pas prioritairement en ligne de compte. Deuxièmement, un site naturel apparemment exposé peut se révéler inexpugnable.
Les défauts d’un site perché
Votre premier réflexe sera probablement d’installer votre forteresse sur une montagne. Un site si élevé que les assiégeants, alourdis par leur armure, s’épuiseront à le grimper. Un site si haut qu’un nuage de poussière provoqué par l’irruption d’une cavalerie ne vous échappera pas à une dizaine de kilomètres à la ronde.
Bref, des nids d’aigle comme les châteaux dits « cathares » dont j’avais parlé en mal dans un précédent article.
Vous n’exercez peut-être pas dans les Alpes, le Massif central ou une autre région montagneuse. Qu’importe. Il est inutile de rechercher des records de hauteur. Il suffit de pentes si abruptes que l’assiégeant et ses machines ne peuvent s’approcher des murs.
Soyez néanmoins conscient(e) des difficultés d’un tel site. Donne-t-il accès à l’eau potable ? Non ? Dans ce cas, les assaillants n’auront même pas à vous attaquer ; ils cerneront la forteresse et attendront patiemment votre mort de soif. Autre problème, le seigneur et sa famille supporteront-ils de vivre à l’année sur ce piton isolé et balayé par les vents ? Surtout quand on n’a pas Netflix.
Les sites favoris
Écoutez la conclusion de l’historien Nicolas Mengus : « le château est fait pour être vu de loin ». Autrement dit, ne vous attachez pas à rendre inaccessible la résidence seigneuriale. L’important est la visibilité. Il s’agit surtout pour votre maître de montrer qu’il est le patron ici. Au-delà de nécessités défensives, le château fort doit marquer dans le paysage et la pierre la domination de cet homme sur la terre et les hommes environnants.
En conséquence, plus qu’un site inhospitalier, choisissez un site immanquable. La géographie en offre partout en Europe : des promontoires, des éperons, des bords de falaise. Devant tant de possibilités, interrogez les paysans. Ils vous indiqueront du doigt un lieu déjà fortifié par les Gaulois ou les hommes préhistoriques. Faites confiance à la sagesse des Anciens.
C’est encore mieux si, de votre éminence, vous contrôlez une route, un gué, ou un pont. Votre maître sera ravi d’y percevoir un péage.
L’historien Gabriel Fournier le souligne : « La présence d’un relief facile à défendre n’a pas toujours été déterminante dans le choix d’un site et d’autres considérations d’ordre militaire, mais également d’ordre politique, économique ou social, ont pu intervenir pour donner la préférence à un emplacement plutôt qu’à un autre ».
Prenez par exemple le château de Caen. Il est bâti sur le rebord d’un plateau calcaire. En creusant les fossés dans la roche, les bâtisseurs ont récupéré le matériau nécessaire à l’édification des remparts. Cet avantage économique se double d’une qualité militaire : le sous-sol est si dur qu’il décourage toutes tentatives de sape. Autrement dit, les assiégeants renonçaient à creuser des galeries sous les murs dans l’espoir de les faire chuter.
Château en plaine : une erreur stratégique ?
Mais vous n’avez pas toujours le choix. Le pouvoir de votre seigneur s’étend peut-être dans une zone désespérément plate ou une vallée. Ne perdez pas espoir. Utilisez l’eau ! L’eau gêne les assauts. Les châteaux de Suscinio (Morbihan) ou de Blanquefort (Gironde) tirent leur avantage d’une situation au sein de marais. Gare aux moustiques cependant. Plus largement, détournez une rivière et noyez les fossés creusés au pied de la forteresse. Elle sera difficile à prendre.
- Lire aussi : les châteaux sont-ils forcément entourés de douves ?
Votre talent d’ingénieur se manifeste enfin par votre capacité à vous affranchir des contraintes topographiques. Si vous bâtissez sur une morne plaine ou un plateau, vous donnerez de la hauteur à votre construction en élevant d’abord un tertre — ce sont les fameux châteaux à motte. Si votre science militaire et vos moyens sont plus élevés, vous multiplierez les grosses tours percées d’archères. Ce type de défense impressionnera peut-être plus votre ennemi qu’une place forte haut perchée. Il y regardera à deux fois avant de tenter un assaut.
Vous venez de chausser quelques minutes les bottes d’un ingénieur militaire du Moyen Âge. Je compte désormais sur votre vigilance : lorsque vous visiterez un château, vous prendrez un peu de temps pour étudier son site. Occupe-t-il un site de hauteur ? De quel type ? Recoure-il à l’eau ? Est-il éloigné du village ou de la ville ? Bonne visite !
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