Généralement, un château fort possède dans ses murs des archères et autres meurtrières. Des spécialistes mettent en doute leur intérêt militaire.
Imaginez un assaillant, au bord du fossé. Face à lui, un château ou une porte fortifiée. Les tours et les courtines sont garnies d’une série de meurtrières, et ce, sur plusieurs étages. Visé par tant de postes de tir, notre homme risque d’être étrillé. Pas si sûr.
Si vous n’êtes pas au clair avec les définitions de meurtrière, d’archère et d’arbalétrière, je vous explique cela ici.
Des meurtrières pour le bluff
Ce qui devrait rassurer notre téméraire assaillant, c’est déjà de savoir que les places fortes n’abritaient généralement pas des garnisons suffisantes pour poster un archer derrière chaque meurtrière. Comme dans les hôpitaux d’aujourd’hui, le personnel manquait.
Le castellologue (un spécialiste des châteaux forts) Jean Mesqui explique :
« L’un des buts des fentes nombreuses percées dans les ouvrages fut manifestement d’impressionner l’ennemi, nul ne pouvant prédire dans un siège si derrière la ligne noire verticale se trouvait, ou non, un défenseur ».
En résumé, certaines archères font juste illusion. Les enfants diraient : « c’est pour de faux ».
Une réponse grâce à l’expérimentation
Autre problème, les archères ne semblent pas si pratiques. Tout du moins, c’est ce qui ressort d’une expérimentation effectuée à la fin des années 1990. Le castellologue Philippe Durand a invité un archer dans trois châteaux pour étudier sa position, et juger son efficacité. Voici ses résultats étonnants.
Première surprise : la meurtrière n’est pas si protectrice pour le défenseur. De l’extérieur, l’assaillant arrive assez souvent à décocher une flèche et à l’introduire à travers la fente. Le défenseur a donc intérêt à se mettre sur le côté pour éviter une blessure.
Deuxième constat : quand la fente est simple, le tireur à l’intérieur de l’archère ne voit pas grand-chose de son environnement. Les croisillons sont donc bienvenus pour élargir son champ de vision.
Dans ces conditions difficiles, le castellologue Jean Mesqui doute de la capacité des tireurs à viser. Les archers devaient plutôt « tirer dans le tas » lorsqu’un groupe ennemi s’élançait à l’assaut.
En résumé, les meurtrières ne sont pas terriblement meurtrières.
Des archères un peu trop belles
Enfonçons le clou. Des châteaux présentent à l’ennemi des archères en croix pattée. La fente verticale et le croisillon se terminent par des pattes.
Cette finesse d’exécution n’offre pourtant aucun avantage militaire aux tireurs. Alors pourquoi passer du temps à ce travail vain ? Oui, pourquoi ? Pour une simple raison : la beauté ! Les rois, princes, seigneurs du Moyen Âge, qu’on considère habituellement comme des brutes, se préoccupent également de l’apparence esthétique de leur construction. Ils laissent leurs maçons fignoler certaines parties.
Ils aiment aussi jouer sur le symbolisme des formes. La croix des archères/arbalétrières renvoie probablement au christianisme ou à la mort.
Jean Mesqui (encore lui) doute de l’intérêt militaire des croisillons et des étriers. Leur « rôle fonctionnel est aujourd’hui très certainement surestimé », assène-t-il.
Et Philippe Durand de renchérir. Dans un château où a eu lieu son expérience, les étriers étaient inutilisables. Pire, quelques archères se sont révélées très peu commodes. Elles offrent un angle de tir trop faible ou contraignent le tireur à s’avancer dangereusement dans l’archère au risque d’être repéré et de subir une riposte.
D’où la conclusion de Philippe Durand : certaines meurtrières (ou leur extension) n’étaient pas utilisées pour le combat, mais « procède du phénomène de l’ostentation ». Le bâtisseur cherche à impressionner le visiteur par le nombre des ouvertures ou par leur dessin décoratif.
On exagère !
Ce raisonnement ne convainc pas Alain Salamagne.
Selon cet autre castellologue, on se trompe simplement sur le rôle militaire de ces archères. Certes, elles n’étaient probablement pas très efficaces pour battre les abords d’un château fort, à 360°. Leur angle de tir laissait des angles morts et il était difficile de faire mouche sur des cibles lointaines et mouvantes.
Par contre, ces meurtrières trouvaient un intérêt dès que l’ennemi avançait en masse. Par exemple, quand il approchait une machine de siège de la muraille ou de la porte. La cible était suffisamment grosse pour être atteinte des archers. Lorsque l’assaillant tentait de poser une échelle contre le rempart et d’y monter, la situation était aussi favorable pour les défenseurs. La proximité de l’adversaire — quelques mètres parfois — facilitait les tirs fatals. Pas besoin d’être Guillaume Tell.
Il y a donc débat sur le sujet. Comme quoi le petit monde des castellologues diverge sur certains points. Peut-être que de futures expérimentations les mettront tous d’accord. J’en profite pour vous rassurer : les précédents tests sont faits avec des arcs munis d’embouts plastiques. Les cobayes ne risquent pas la mort.
Les prochains articles sur les églises et les châteaux forts vous attendent dans votre boîte aux lettres. À condition d’avoir déjà rempli les deux cases ci-dessous. Grâce à mes emails, vous ne regarderez plus les monuments du Moyen Âge comme avant. Vous saurez les observer et décoder leurs secrets.
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