Visite insolite en Massif central

moi

Laurent Ridel

Mots-clés :

En 2024, je suis parti en Limousin et dans le Cantal. Mon but était de visiter des régions moins connues pour me laisser surprendre par des églises ou des châteaux.

Sur ma route, j’ai rencontré notamment trois cathédrales (Limoges, Tulle, Saint-Flour), une abbatiale (Solignac) et un château fort (Châlucet). Inventaire en images que ce qui m’a étonné.

La cathédrale bancale de Limoges

Une étape s’imposait dans la capitale du Limousin, moi qui suis lancé depuis 2018 dans un tour de France des cathédrales.

Celle de Limoges interpelle immédiatement par son architecture bancale.

cathédrale de Limoges
La façade de la cathédrale de Limoges, occupée par une tour-porche

Le clocher paraît décalé par rapport à l’axe de l’église. L’entrée, modeste, n’est pas à la mesure du reste du monument. Ces irrégularités peuvent arriver quand on évalue mal l’impact financier d’un chantier de cathédrale.

Au XIIIe siècle, l’évêque de Limoges s’est lancé dans la reconstruction de son église sans en avoir totalement les moyens. 600 ans plus tard, le monument n’était toujours pas achevé. Le vieux clocher, à base romane, a finalement été conservé et on s’est efforcé au XIXe siècle de le relier le moins maladroitement possible à la nef gothique de l’église.

cathédrale de Limoges
En changeant d’angle, on se rend compte du raccordement entre la nef et la tour porche par une travée basse.

Autre curiosité de cette cathédrale : depuis 2021, un bénitier automatique est installé à l’entrée de la nef ! Passez votre main et quelques gouttes d’eau coulent. Il faut se rappeler que les bénitiers étaient vidés lors de l’épidémie de COVID pour empêcher les contagions. Face aux besoins des fidèles, la paroisse a mis en place ce distributeur hygiénique et l’a maintenu.

Le double château fort de Châlucet

Ruines du château de Châlucet
Vestiges du château de Châlucet (Haute-Vienne).

Cette ruine surgissant de la forêt a réussi à me dérouter de mon chemin vers l’abbaye de Solignac.

Consolidées par le conseil départemental de la Haute-Vienne, les ruines de Châlucet sont accessibles librement. Il vous en coûtera une marche pour d’abord rejoindre le « château bas », un groupe de maisons de chevaliers et d’écuyers. Pour un touriste du « Nord » comme moi, ce type castral est déconcertant. Le « château » formait une agglomération gérée en coseigneurie. Je devrais plus être surpris, car j’en avais déjà croisé dans cet article sur les châteaux insolites de France.

Le château-bas ou castrum de Châlucet
Le château-bas ou castrum de Châlucet, fouillé dans les années 2000.

La partie la plus impressionnante du site se trouve plus loin. La pente augmente pour atteindre le château haut, construit par Géraud de Maulmont, un conseiller du roi de France, vers 1270-1280.

Façade du château haut de Châlucet (XIIIe siècle)
Façade du château haut de Châlucet (XIIIe siècle)

Surmontée de créneaux, la haute façade confirme l’importance de ce château, mais attention aux artifices. Passé la porte, on se rend compte de l’envers du décor.

château de Châlucet
Faux créneaux du château.

Les créneaux ne servent à rien. Aucun chemin de ronde ne permet de se retrancher derrière. Ces « dents » n’offrent donc aucun intérêt défensif. Ils contribuent seulement à rendre le château plus impressionnant.

Château de Châlucet
Le revers de la porte du château

L’envers du décor, c’est aussi cette publicité peinte au premier étage. Une irruption de la modernité dans un cadre médiéval. Voyons ça de plus près.

château de Châlucet
Enseigne peinte au revers de la façade du château

Je devine une date « 1896 » et le mot « boucher ».

Je m’enquiers de cette bizarrerie auprès de la guide. Elle m’explique qu’aux XIXe-XXe siècles, le château était en mains privées. Le propriétaire laissait néanmoins entrer les visiteurs. Visiteurs que le boucher du village voisin espérait probablement convertir en clients. Il a peint sa publicité sur l’envers de la façade, bien visible, quand vous quittez le lieu et commencez à avoir faim.

Vous pensez que je photographie n’importe quoi. Vous avez raison 🙂

Solignac et le moine judoka

La terre de Châlucet dépendait de l’abbaye de Solignac, au sud de Limoges. Justement, c’est notre étape suivante. En 2021, des bénédictins ont repris possession du monastère, fermé depuis la Révolution.

Les chants des moines résonnent à nouveau sous les coupoles. L’église se distingue en effet par ses voûtes semi-sphériques.

L'abbatiale romane de Solignac
L’abbatiale romane de Solignac (Haute-Vienne). Preuve que je peux photographier des sujets normaux.

Encore une fois l’homme du « nord » que je suis est dépaysé par ce mode de couvrement assez rare. Cependant, les coupoles sont plus fréquentes dans le grand quart sud-ouest du pays, région à laquelle appartient Solignac.

En visitant l’église, mon attention s’est rapidement portée vers les stalles aux sculptures moqueuses.

Appuie-main de stalle
Personnage facétieux sur les stalles de Solignac, XVe siècle

Non, mais qu’est-ce que c’est que cette tenue ? Et ça continue.

miséricorde des stalles de Solignac
Monstre à grandes oreilles et longue langue. Miséricorde des stalles de Solignac

Je vais finir par prendre personnellement ces insolences. Même le dragon semble s’en réjouir.

miséricorde des stalles de Solignac
Dragon sur une miséricorde des stalles de Solignac

Plus loin, un moine s’essaie à une prise de judo face au diable.

miséricorde des stalles de Solignac
Autre miséricorde des stalles de Solignac

Aucun doute : les sculpteurs se sont bien amusés. Bien que dévolus au clergé, les stalles offrent souvent un espace de liberté aux artisans qui ne paraissent pas être tenus à y représenter des scènes religieuses. Ces sculptures insolites confirment donc ce commandement que je répète régulièrement : regardez toujours attentivement les stalles dans les églises.

À Solignac, l’eau bénite n’est pas (encore) offerte par un distributeur, mais en bouteille.

Abbaye de Solignac
Je retourne dans mes travers photographiques.

Quittons le Limousin pour nous rendre dans le Cantal.

La cathédrale oubliée de Tulle

Chef-lieu de la Corrèze, Tulle est peut-être aujourd’hui plus connu pour son ancien maire, François Hollande.

Je ne comptais pas m’y arrêter jusqu’au moment où une intuition me vint au volant. Et si Tulle, modeste ville de 20 000 habitants, avait une cathédrale ? J’ai vérifié l’information sur mon téléphone. Oui, je devais m’arrêter à Tulle.

La cathédrale Saint-Martin de Tulle est réduite. Il s’agit d’une ancienne abbatiale soudainement promue cathédrale par la volonté du pape en 1317. Modestie accentuée par l’effondrement du chœur et du transept pendant la Révolution. L’édifice ne mesure plus qu’une cinquantaine de mètres de long.

Lire aussi : La plus petite cathédrale de France est…

La visite de l’édifice ne me laissera pas un souvenir impérissable, mais le cloître, bâti contre le flanc sud, est un beau complément.

Cloître de la cathédrale de Tulle.
Cloître de la cathédrale de Tulle.

Je retiens plutôt de cette ville son relief accidenté. On a l’impression de rouler sur un grand 8. Comment a-t-on pu bâtir une ville sur un tel terrain ?

Dans l’un des plus beaux villages de France

Basculons dans le Cantal. Un magnifique département dont les paysages ont réussi à me détourner (un temps) du monde des églises et des châteaux.

Monts du Cantal
Monts du Cantal

Je pensais tomber sur un département isolé, mais le secret de sa beauté était largement éventé : les touristes y étaient assez nombreux.

Ils se concentrent dans les monts du Cantal, reliefs parmi les plus élevés du Massif central. Au pied de ces montagnes est planté Salers, indéniablement l’un des plus beaux villages de France.

À l’intérieur de l’église, on trouve un lutrin (support pour les livres) à forme humaine (plus exactement d’ange).

Lutrin humain de l'église de Salers
Lutrin humain de l’église de Salers (XVIIe siècle). Ses mains supportent le pupitre.

Je ne pense jamais avoir vu cela. Habituellement, ce mobilier adopte la forme d’un aigle, comme dans la cathédrale de Saint-Flour.

Lutrin dans la cathédrale Saint-Flour
Lutrin plus classique dans la cathédrale Saint-Flour (XVIIIe siècle)

La noire cathédrale de Saint-Flour

Chef-lieu d’arrondissement, Saint-Flour m’offrait l’occasion de visiter une 77e cathédrale en France. Comme celle de Tulle, elle a bénéficié de la promotion papale de 1317. L’abbaye est devenue siège d’évêché.

La cathédrale Saint-Flour
La cathédrale Saint-Flour est construite en lave d’où sa couleur sombre.

Pendant la Révolution, les deux tours de façade furent arasées. Car, à cette époque, on ne décapitait pas que les nobles et les prêtres. On raccourcissait tous les monuments rappelant les anciens pouvoirs religieux et aristocratiques.

La cathédrale a heureusement retrouvé ses deux tours au XIXe siècle.

Je glisse dans cette visite de l’église un défi du patrimoine. Ce vitrail du XXe siècle met en valeur des mères vertueuses et leur enfant. Qui a financé ces verrières ?

Vitrail réalisé en 1932 représentant sainte Adeltrude et son fils saint Géraud, Blanche de Castille et son fils saint Louis

Ne cherchez pas à décoder les inscriptions au bas du vitrail. La réponse n’y est pas. Ne cherchez pas non plus une célébrité. La commanditaire n’est connue que très localement.

Je vous livre la réponse, car elle est impossible à trouver sauf à lire comme moi les panneaux informatifs jusqu’au bout. Ce vitrail donne le nom de la donatrice en rébus. Au bas de vitrail prospèrent des fleurs de marguerite et des feuilles d’olivier. Ce ne sont pas de simples décors végétaux. Ils font référence à la commanditaire : Marguerite Olivier.

Vous comprenez pourquoi je vous livre d’emblée la réponse.

La cathédrale de Saint-Flour propose d’autres intérêts et beaucoup d’autres églises et châteaux sont à voir dans le Cantal et, plus généralement, dans le Massif central. Mais je vous en parlerais dans de prochaines infolettres. Donc, pensez à vous abonner.

Si vous connaissez la région, proposez en commentaires les monuments que vous recommandez.

Partager l'article

L’AUTEUR

Laurent Ridel

Ancien guide et historien, je vous aide à travers ce blog à décoder les églises, les châteaux forts et le Moyen Âge.

Ma recette : de la pédagogie, beaucoup d’illustrations et un brin d’humour.

Laurent Ridel

11 réponses à “Visite insolite en Massif central”

  1. Avatar de Cayrouse Estelle
    Cayrouse Estelle

    Je vous conseille l’église de Cheylade sont entièrement peintes. Et représente le bestiaire médiéval.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Je ne connaissais pas même si je suis passé très proche. Cette voûte à caissons est en effet très originale. Merci.

  2. Avatar de BARAZER
    BARAZER

    Magnifique cette balade en Massif central. Merci !

  3. Avatar de Hughes J. Brivet

    Bonjour tout d’abord merci pour vos posts. Je confirme pour Cheylade ; à voir également BREDONS peinte par Utrillo près de Murat (région à laquelle j’ai consacré un ouvrage Murat et ses environs vus par les peintres ; mais aussi en Corrèze l’abbatiale de Beaulieu, la Mise au Tombeau du XV à Reygade, les vitraux de Chagall à Saillant avec une sculpture dite Notre Dame de Lorette. J’ai quelques photos sur mon Drive que je peux vous partager si vous le souhaitez. Artistiquement votre

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Oui Bredons, je l’ai vue. Malheureusement en travaux dont inaccessible. L’abbatiale de Beaulieu est un haut-lieu de l’art roman en effet.

      1. Avatar de Jacques Cubaynes-Thibault
        Jacques Cubaynes-Thibault

        Bredons (XIème) fait l’objet d’un programme complet de restauration, grâce à une association très dynamique et une forte implication de la Fondation du Patrimoine.
        À Salers vous ne mentionnez pas la remarquable mise au tombeau. Les églises de Saint Chamant et Fontanges sont très intéressantes aussi….merci pour vos commentaires de balades !

        1. Avatar de Laurent Ridel
          Laurent Ridel

          Je vous rassure, Jacques, avoir bien vu la mise au tombeau à Salers mais cet article adopte l’angle insolite de mes découvertes. L’église de Saint-Chamant à l’air charmante 🙂

          1. Avatar de Jacques Cubaynes-Thibault
            Jacques Cubaynes-Thibault

            A Saint Chamant ce sont surtout les stalles peintes du XVIème,provenant de l’ancienne collégiale détruite à la Révolution. Elles furent commandées par Robert de Balzac d’Entraygues à des artistes Italiens. Celle de Fontanges est très riche, mémoire des  » prêtres filleuls » qui avaient la paroisse en charge.

  4. Avatar de Florence
    Florence

    Bonjour. Je rajoute à la liste, l’église de Châtel-Guyon, entièrement peinte (800 m²) par Nicolas Greschny. Dans la Creuse, il y a aussi l’église d’Auzances, avec des fresques peintes, également, par Greschny; et enfin l’église de Sous-Parsat, entièrement peinte également, de façon très surprenante et très colorée, par Gabriel Chabrat !!!
    Bonnes visites !!!

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Voilà de quoi satisfaire l’amateur de peintures contemporaines. Merci.

  5. Avatar de Gilbert LAMBELET

    ‘Visite’ très intéressante dans une région qui m’est inconnue. Il faudra y songer à l’avenir! Merci!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *