Alors que les tours des églises sont carrées ou rectangulaires, les châteaux forts se distinguent souvent par des tours circulaires. Ce plan présentait quelques avantages défensifs qui méritent néanmoins d’être nuancés.
Imaginez un château fort dans votre tête. Je parie qu’il arborera des tours rondes. Oui, je suis capable maintenant de lire dans vos pensées 🙂
Plus sérieusement, un château fort doté de tours cylindriques fait partie de nos images d’Épinal. Elle n’est pas totalement fausse, car les bâtisseurs les ont souvent préférées aux tours carrés et rectangulaires en raison du soit-disant avantage militaire qu’elles procuraient.
Cependant n’exagérons pas ces qualités. Dans la France du sud, les tours quadrangulaires sont plus nombreuses. Là bas, on avait compris qu’elles n’étaient pas si mauvaises.
La diffusion des tours rondes
À l’origine, les tours rectangulaires ou carrés dominaient le paysage européen.
Puis, au XIIe siècle, le plan circulaire gagna du terrain comme le montre l’édification des donjons de Châteaudun, de Château-sur-Epte, de Laval… Au tournant de l’an 1200, le château se perfectionna sous l’influence des modèles capétiens. L’architecture philippienne (dont le nom renvoie au roi Philippe Auguste et non à Philippe de Villiers) ne jurait que par les tours cylindriques, aussi bien pour le donjon que pour les tours de flanquement.
Le plan circulaire offre en effet deux avantages défensifs :
Au niveau de ses archères, il génère moins d’angles morts. Le défenseur couvre mieux les abords du château de son regard et de ses tirs.
Deuxièmement, la tour ronde résiste davantage aux coups de bélier et aux projectiles. Car sous le choc, les blocs, taillés en biseau dans le sens de la profondeur, s’épaulent. Or, depuis 1200, les engins de jet, notamment les trébuchets, sont de plus en plus couramment employés lors des sièges. Les murs doivent absorber leurs violents impacts.
Malgré ces avantages, les tours cylindriques ne l’ont pas emporté dans toute l’Europe. La moitié sud de la France les a rarement adoptées. Preuve qu’elles ne donnaient pas entière satisfaction.
Les tours rondes sont-elles meilleures ?
Si les livres sur les châteaux jugent comme un progrès militaire la diffusion de tours rondes, ils oublient parfois leur faiblesse structurelle et leur coût.
D’abord ce type de construction demande un peu plus de technicité. Il faut tailler les faces des pierres légèrement courbes. Les maçons doivent en plus s’assurer que leur assemblage compose un cercle parfait. C’est beaucoup plus facile de bâtir un mur droit. Comme les artisans y passent moins de temps, il coûte en prime moins cher. La solution quadrangulaire apparaît donc comme un choix raisonnable dès lors que le commanditaire manque d’argent et de temps. Alors qu’une guerre est imminente, ces arguments acquièrent plus de poids.
En outre, l’avantage procuré par la rondeur des tours n’est pas si évident. L’historien Alain Kersuzan l’explique :
« Du point de vue militaire, les tours quadrangulaires sont sans doute moins résistantes aux bombardements des engins, mais leur base est plus solide et plus stable surtout pour celles qui sont élevées en bordure de ravin. La forme carrée ou rectangulaire donne une meilleure stabilité, car les angles sont comme des pieds qui accrochent la tour au terrain […] Les constructions circulaires ont moins d’accroche au sol et ont tendance à riper plus facilement sur leur socle si elles sont élevées dans une pente ».
Alain Kersuzan, Défendre la Bresse et le Bugey : Les châteaux savoyards dans la guerre contre le Dauphiné (1282-1355), Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2005
Ce défaut de stabilité se vérifie aujourd’hui : les tours circulaires, fissurées ou effondrées, ont moins bien résisté au temps que les tours quadrangulaires.
Quant au problème des angles morts, attribué aux tours quadrangulaires, il mérite d’être relativisé. L’ajout de hourds et autres structures en bois élargissait les angles de tir. On ne s’en rend pas compte, car ces compléments défensifs ont généralement disparu.
Autrement dit, les gens du sud n’étaient si bêtes et archaïques à s’entêter à construire des tours au plan droit.
En résumé, les architectes militaires avaient autant de bonnes raisons d’élever des tours rectangulaires que circulaires. Chez certains, ce dilemme les tracassa au point d’être incapable de choisir. D’où l’adoption de compromis : ils construisirent des tours polygonales, en fer à cheval ou annulaires !
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