Meurtrière, archère, arbalétrière et canonnière : quelle différence ?

moi

Laurent Ridel

Mots-clés :

Au Moyen Âge, les châteaux forts et les enceintes des villes se percent d’ouvertures de tirs afin de menacer l’approche des assiégeants. Ces meurtrières prennent le nom d’archères, d’archères-canonnières ou de canonnières selon l’arme utilisée par la défense. Comment les distinguer ?

Une archère-canonnière
Qu’est-ce que c’est ? Une meurtrière ? Une canonnière ? Une arbalétrière ? Réponse ci-dessous.

À partir du XIIe siècle, la garnison d’un château ne se contente plus d’attendre que l’ennemi s’épuise dans des assauts répétés ou se lasse. Les forteresses passent en mode « défense active ». Archers, arbalétriers, puis artilleurs visent l’adversaire à travers des trous ménagés dans les tours ou les remparts.

Les formes de ces trous sont très diverses : archère simple, archère à étrier, archère en croix, archère-canonnière, canonnière à la française… La liste est plus longue que celle à envoyer au père Noël. Pour vous aider à reconnaître ces meurtrières, appuyez-vous sur les dessins et les photos qui suivent.

Aucun doute : les hommes sont inventifs quand il s’agit de tuer leur prochain.

Meurtrière, un mot désuet

Les meurtrières sont des ouvertures pratiquées dans les murs pour permettre aux défenseurs cachés derrière, de tirer flèches, carreaux et boulets sur l’assaillant. Les spécialistes des châteaux forts (les castellologues) n’emploient presque plus ce mot. Il fait « vieille école ».

archères du château de Fougères
Cette tour du château de Fougères essaie d’éliminer tout angle mort par ses meurtrières étagées sur 3 niveaux.

Que lui reproche-t-on ? Son imprécision. Il peut aussi bien désigner des archères (utilisés par des archers ou des arbalétriers), des canonnières (utilisées par les artilleurs à poudre) que des archères-canonnières. Je les détaille plus bas.

Cependant, à titre personnel, ce terme me convient très bien. Déjà parce que les gens de la fin du Moyen Âge l’employaient. Un texte de 1417 évoque les « murdriers » de l’enceinte d’Harfleur en Normandie. Aussi parce que le mot regroupe commodément cette famille de fentes et d’orifices à l’abri desquels les soldats menaçaient l’assiégeant d’un château fort ou d’une ville. Pourquoi condamner aux oubliettes un mot aussi pratique ?

Les archères : la meurtrière la plus répandue

Les archères sont des fentes verticales ouvertes dans un mur afin que des archers tirent discrètement sur l’ennemi.

Des archères, vous en verrez sur la plupart des châteaux forts à tel point qu’elles font partie de leur image d’Épinal. Mais avez-vous remarqué leur variété, parfois leur degré de raffinement ?

Loin de se limiter à un trait vertical, la base de la fente peut s’évaser en un étrier ou en une bêche. Une disposition censée faciliter les tirs plongeants en direction des assiégeants qui s’aventurent au pied des murailles. Les bêches permettraient de glisser vers l’assaillant des projectiles incendiaires voire des fusées explosives. C’est en tout cas l’hypothèse du castellologue Alain Salamagne.

Les différentes types d'archères
7 exemples d’archères. Le cas le plus courant est le 1, une simple fente verticale. Mais dans certains châteaux, elle peut être complétée d’un étrier triangulaire (2) ou semi-circulaire (3), ou d’une bêche (4). Un ou plusieurs croisillons peuvent barrer l’archère, lui donnant une forme symbolique (la croix chrétienne) mais offrant surtout au tireur plus de vision. Le cas 7 est une belle archère à croix pattée.

Des archères prennent même la forme d’une croix. À la fente verticale, s’ajoute donc une traverse. Son rôle ? Élargir le champ de vision du tireur et faciliter la visée. L’archer déclenche son tir quand la cible humaine passe dans l’intersection de la croix.

Les bâtisseurs ont même réussi à créer de belles archères. Regardez celles en croix pattée. Leur terminaison ressemble aux empâtements des caractères d’imprimerie. 

Osez passer derrière le mur ; visitez une archère de l’intérieur. Là encore, vous constaterez des différences. Des archères se limitent à un ébrasement. D’autres sont précédées d’une niche.

Archère simple et archère à niche
Archère simple et archère à niche

Certaines archères présentent enfin un seuil descendant afin de viser l’ennemi dans le fossé. Bref, ces meurtrières méritent une observation attentive en façade comme en coulisses. Mais ces aménagements semblent peu efficaces.

archère à seuil droit et plongeant
Ces archères sont dessinées en coupe

Les arbalétrières, une identification controversée

Les arbalétrières sont des fentes… à l’usage de l’arbalète. Facile, non ?

Au regard des comptes, des inventaires, des règlements et des rapports de fouilles, l’arbalète était au Moyen Âge une arme plus couramment utilisée dans les forteresses que l’arc. Probablement par sa puissance supérieure.

Parce que rien ne vous protège contre son carreau (on ne parle pas de flèche pour les arbalètes, mais de carreau). Il peut transpercer une armure ou un bouclier. « Celui qui est atteint par l’un de ces coups est bien malheureux, car il meurt subitement sans même sentir le coup, tant il est violent », prévient la princesse byzantine Anne Commène au XIIe siècle.

En revanche, un arbalétrier, en raison du mécanisme de recharge de son arme, tire trois fois moins vite qu’un archer. Un défaut à prendre en compte.

À quoi ressemble une arbalétrière ? La réponse ne fait pas l’unanimité. Le castellologue Jean Mesqui affirme : « il n’y a aucune différence avec une archère ! » Même si les textes parlent tantôt d’archères, tantôt d’arbalétrières, les deux termes se vaudraient. Autrement dit, derrière une archère ou arbalétrière, le tireur pouvait manipuler indifféremment un arc ou une arbalète.

Un autre spécialiste Alain Salamagne, déjà mentionné, n’est pas d’accord. L’arbalétrière se caractériserait, à l’intérieur, par un muret, une allège. Dessus, l’arbalétrier posait sa lourde arme lors du tir. Qui a raison ? Je ne sais pas.

archère à allège
Dans l’archère à allège, un mur prend place dans l’embrasure de l’archère

Là où ce petit groupe d’experts se rassemble, c’est pour contredire l’idée répandue que l’arbalétrière se reconnaîtrait par la fente en forme de croix. L’erreur est tentante. À l’arc, arme verticale, se rapporteraient les archères verticales. À l’arbalète, arme horizontale, correspondraient les archères en croix. Non, je le répète, le croisillon ne servait pas à loger l’arbalète ! C’était une aide à l’observation et à la visée. Les tireurs ne passaient pas leurs armes à travers les fentes. Ils se postaient en retrait.

Les archères-canonnières : au choix des armes

Les archères-canonnières sont des ouvertures de tir mixte : une fente permet de tirer à l’arc ou à l’arbalète (les armes à cordes) tandis qu’un orifice autorise l’emploi d’armes à feu.

Différents types d'archère-canonnière
Les archères-canonnières s’adaptent aux armes de la fin du Moyen Âge : une fente pour le tir à l’arbalète ou à l’arc et un orifice rond pour le tir de petits canons. Ce trou peut être indépendant de l’archère, se situer à différentes hauteurs ou être double voire triple.

En effet, à partir du XIVe siècle, la poudre fait son entrée sur les champs de bataille d’Occident. Face aux canons, les châteaux s’adaptent. D’anciennes archères sont percées d’un trou rond pour projeter des boulets tandis que les nouveaux châteaux renoncent aux archères en faveur des archères-canonnières. Selon Alain Salamagne, cette transformation se situe vers 1400 en France et dans les anciens Pays-Bas.

N’imaginez pas de gros calibres derrière ces orifices. Vous oubliez que l’arsenal de l’époque comprend des canons semi-portatifs comme les bâtons à feu, les veuglaires, les bombardes. Un homme peut les transporter à la main et les poser sur un chevalet ou un dispositif en bois fixe. Un diamètre de 10 à 20 cm suffit à faire passer la gueule du canon.

Les canonnières, la poudre pour répondre à la poudre

À la différence de l’archère-canonnière, la canonnière est uniquement destinée au tir des armes à feu. On les reconnaît à leur forme ronde, ovale ou rectangulaire.

Canonnière
Différents orifices de tir pour canonnières. Ces orifices peuvent être ronds ou carrés pour faire passer la gueule du canon. Les cas 4 et 5 se caractérisent par des ébrasements externes alors les cas 1, 2 et 3 n’en ont pas. Le cas 2 dispose d’une mire pour faciliter la visée.

Pour les châteaux, l’aménagement des canonnières est une question de survie, car, en face, l’adversaire fait cracher ses propres canons dont les boulets font ébouler murailles, mâchicoulis et merlons. Pour éliminer ces armes si dévastatrices, le château ou la ville fortifiée doivent riposter avec les mêmes moyens. Les sièges tendent à se transformer en duel d’artillerie, remisant aux placards les bonnes vieilles arbalètes et les échelles d’assaut. Beaucoup de forteresses deviennent obsolètes faute de s’adapter à cette nouvelle forme de guerre.

Malgré les ravages qu’elles provoquent, les canonnières posent trois problèmes :

  • On leur donne parfois un large ébrasement pour faire pivoter le canon et balayer ainsi davantage de terrain alentour. Or, cette disposition fragilise les murs. Sous les coups de l’ennemi, la muraille risque l’effondrement.
  • Ce large ébrasement menace les artilleurs du coup d’embrasure. Si vous avez déjà joué au flipper, vous comprendrez facilement ce danger mortel. L’assiégeant tire un boulet vers la canonnière, le projectile ricoche à l’intérieur de l’embrasure jusqu’à pénétrer dans le trou et frapper les défenseurs qui se croyaient un peu à l’abri. 
  • Les fumées et le gaz, provoqués par l’explosion de la poudre, envahissent la niche, menaçant les servants d’asphyxie.

Les ingénieurs réfléchissent à des parades.

Les canonnières à la française

Devant ces dangers, les bâtisseurs de châteaux et d’enceintes urbaines répandent, à partir du dernier quart du XVe siècle, une solution made in France : la canonnière en X. Voici son portrait : un ébrasement à l’intérieur comme à l’extérieur, l’orifice de tir se situant à l’intersection de la croix. Le mur gagne en solidité et les coups d’embrasure, sans disparaître, deviennent moins mortels.

ébrasement
L’ébrasement (en bleu clair) est l’élargissement en ligne biaise des murs encadrant une baie, ou, dans notre cas, d’une meurtrière. En plan, il est triangulaire : l’ouverture se réduit progressivement jusqu’à la fente de tir.
Canonnière à la française
Une canonnière à la française ou en X s’identifie à son ébrasement interne et externe.

Dans le même souci de protéger les artilleurs, les niches de tir s’accompagnent d’abri sur le côté. Les hommes s’y réfugient au moment de la mise à feu au cas où la pièce d’artillerie exploserait. En cette fin du Moyen Âge, il ne faut pas accorder une totale confiance en la solidarité des éléments composant le canon.

Enfin, pour faciliter l’évacuation des fumées, on perce le plafond des embrasures d’une sorte de conduit de cheminée, les évents. L’archéologue Maxime Messner que j’ai interrogé a néanmoins constaté la rareté de ces dispositifs. 

Voilà pour ce tour d’horizon des meurtrières. Récapitulons.

En résumé

  • À partir du XIIe siècle, les meurtrières apparaissent dans les murs des châteaux et des enceintes. Elles permettent de tirer à l’arbalète et à l’arc tout en protégeant relativement le tireur.
  • La distinction arbalétrière/archères fait débat. Pour certains spécialistes, les deux termes désignent la même chose.
  • Dans les châteaux, les défenseurs privilégient l’arbalète par rapport à l’arc.
  • Pour faciliter les tirs, le dessin des ouvertures des archères/arbalétrières se complique : à la fente verticale, s’ajoute un étrier ou une bêche à la base, un croisillon au milieu…
  • Avec la diffusion du canon, les meurtrières se transforment en archères-canonnières (pour un tir mixte) ou en canonnière (pour le tir exclusivement d’armes à poudre). On les reconnaît à leur orifice rond, rectangulaire ou ovale.
  • L’intérieur de ces meurtrières mérite un coup d’œil. Au-delà de l’ébrasement, elles peuvent intégrer une allège, une niche, voire une grande niche (une chambre de tir) quand il s’agit de canon
Canonnières du Mont-Saint-Michel
Au pied du Mont-Saint-Michel, les tours et les remparts sont percés d’ouvertures qui correspondent, d’après leur forme rectangulaire, à des canonnières.

Après la lecture de cet article, vous aurez donc fort à faire lorsque vous visiterez un château. Observez les ouvertures de tir, notez leur variété et devinez l’arme utilisée. N’oubliez pas de regarder l’intérieur de ces archères, archères-canonnières et canonnières. Imaginez comment les soldats s’y tenaient et ce qu’ils voyaient.

Partager l'article

L’AUTEUR

Laurent Ridel

Ancien guide et historien, je vous aide à travers ce blog à décoder les églises, les châteaux forts et le Moyen Âge.

Ma recette : de la pédagogie, beaucoup d’illustrations et un brin d’humour.

Laurent Ridel

19 réponses à “Meurtrière, archère, arbalétrière et canonnière : quelle différence ?”

  1. Avatar de ramnoux vincent
    ramnoux vincent

    très bonne publication, vraiment agréable à lire. merci
    Vincent

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Je suis soulagé que ce long article technique reste quand même agréable à lire. Merci.

  2. Avatar de Yves JANNY.
    Yves JANNY.

    Bonsoir Laurent,

    Merci pour ce travail méthodique et tes explications agrémentées de croquis très bien faits.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Article événement : j’ai introduit mon premier dessin 3D 🙂 Merci Yves.

  3. Avatar de Savinel
    Savinel

    Toujours aussi interessant !!! Merci

  4. Avatar de Lidya
    Lidya

    J aime beaucoup vos articles, j attends avec impatience suivants. Merci.

  5. Avatar de marcel gaucheron
    marcel gaucheron

    super, je transfert ton site à tous mes amis. C’est la première fois que je lis des phrases simples à comprendre pour un non initié. Usuellement la littérature de spécialiste est abscon. Continue comme cela , tu iras très loin
    Amicalement

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      La première politesse d’un auteur, c’est d’être clair. Merci.

  6. Avatar de Reitmayer
    Reitmayer

    A Guedelon un tir d’essai avec un arc et une championne de France, ces tirs ont été plus que satifaisants puisque la cible a été touchée en sont centre dans les 2 tirs, de face et de biais à 50 mètres, voir la vidéo sur le site de Guedelon.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Dans un contexte pacifique et avec une championne à la manœuvre, sûr qu’il est plus facile de faire mouche.

      1. Avatar de Reitmayer
        Reitmayer

        D’accord avec vous, mais la championne a été étonnée du résultat, elle n’y croyait pas trop, surtout pour le tir de biais dans une archère simple.
        En cas d’attaque avec le stress et notre expérience nulle des combats médiévaux (hors reconstitution amiable avec blunt et tir parabolique) le résultat aurait certainement été différent.

  7. Avatar de YS
    YS

    Je viens de découvrir votre blog et je n’en crois pas mes yeux, c’est tellement clair, intéressant, accessible et surtout on sent que vous êtes un réel passionné ! Merci du fond du coeur de partager vos connaissances et de le faire aussi bien, tout le monde n’en est pas capable !

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Merci. Ça fait plaisir de commencer son dimanche avec un tel commentaire.

  8. Avatar de Nicolas
    Nicolas

    Bonjour,
    Merci pour ce blog.
    Je m’intéresse à un chateau du 11 éme siècle à Preny 54, et essai de le modéliser en 3d, difficile car c’est une ruine, le connaissez vous ?
    Merci et félicitation pour votre travail

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Non, mais il semble impressionnant. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_de_Pr%C3%A9ny N’hésitez pas à m’envoyer le résultat 3D. C’est le genre d’information que je peux relayer sur ma page Facebook.

  9. Avatar de Sophie
    Sophie

    Bonjour Laurent,
    Bravo pour ces explications très claires. Vous pouvez peut-être m’aider ! Je travaille sur la chronologie de construction d’un château médiéval élevé fin XIVe, quadrilatère ouvert en U au XVIIe. Il a conservé deux hautes tours de pierre en fer à cheval flanquées de tourelles circulaires. On distingue encore la trace de deux archères au ras du sol, et de curieuses niches (l = 42 cm, H = 185 cm, P = 200 cm) sont aménagées dans l’épaisseur des murailles des tours, formant comme un couloir mais s’il y a eu des ouvertures elles ne sont plus lisibles aujourd’hui. Une idée de ce à quoi elles pouvaient servir ?
    Merci pour votre aide,

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Rien de mieux qu’une photo pour le déterminer. Je vous contacterai pour que vous puissiez m’envoyer l’image.

  10. Avatar de Christiane Ehrwein
    Christiane Ehrwein

    bonjour Laurent
    merci infiniment pour toutes ces explications précises et bien expliquées!
    C’est avec plaisir que l’on apprend ………..MERCI

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Vous n’avez plus qu’à repérer ces archères, arbalétrières et canonnière « en vrai ». Après l’apprentissage, l’application. Sinon ça ne sert à rien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *