Les châteaux Renaissance abondent en France alors que les églises du même style sont rares. Pourtant, l’influence italienne a bien marqué l’art religieux français.
Vous avez déjà visité un château Renaissance dans la vallée de la Loire, n’est-ce pas ? Mais avez-vous déjà mis les pieds dans une église Renaissance en France ?
Pour ma part, je vivais ce jour historique en 2005. Je pénétrais dans la chapelle d’Anet, un bijou commandé par Diane de Poitiers, la célèbre maîtresse royale. Ce que j’ignorais encore, c’est que je mettrais douze ans avant de revivre la même expérience.
Visiter une église Renaissance est aussi rare que voir une éclipse solaire complète. Confrontées à la vigueur de l’art gothique, les innovations artistiques italiennes ont peiné à s’imposer. Pourtant, après la guerre de Cent Ans, le royaume de France vivait une effervescence architecturale. La Renaissance trouva un chemin pour infiltrer subtilement l’art religieux français.
Les Italiens maudissent les Goths
Aujourd’hui peu d’entre nous connaissent les œuvres de l’écrivain et artiste italien Giorgio Vasari (1511-1574). Il est entré dans l’histoire de l’art moins pour son talent que pour avoir mis un nom sur la période bouillonnante qu’il vivait : « Rinascita », la Renaissance. Il définissait ainsi pour la postérité un mouvement artistique et culturel majeur de l’Europe. Mais qu’est-ce qui renaît au juste ?
Les Italiens, fascinés par l’Antiquité, veulent ressusciter la grandeur de Rome. Et qui blâment-ils pour sa chute ? Les Goths, ces « barbares » accusés d’avoir ravagé ses glorieux monuments et d’avoir plongé l’art dans les ténèbres du Moyen Âge. L’architecture classique aurait dégénéré en architecture « gothique ».
Bien sûr, l’histoire est un peu plus nuancée que ça. En vérité, les Goths ne sont pas les seuls bourreaux de l’Empire romain et l’art gothique éclot en France plus d’un demi-millénaire après la disparition des Goths. Mais qu’importe ces erreurs historiques, l’objectif des artistes italiens est désormais clair : faire renaître l’art antique dans l’architecture contemporaine en s’inspirant des ruines romaines.
- Lire aussi : Qui a vraiment inventé l’architecture gothique ?
La rébellion de Brunelleschi : la chapelle des Pazzi
Florence est un des berceaux de ce bouleversement.
Dans les années 1440-1450, Filippo Brunelleschi fait un pied de nez à l’architecture gothique en construisant la chapelle des Pazzi. Imaginez une colonnade en façade, un espace lumineux plus large que long, des arcs ronds et une coupole majestueuse.
L’architecture retrouve simplicité, clarté, harmonie et noblesse. Brunelleschi produit un véritable manifeste architectural dont la France tarde à appliquer le texte.
La Renaissance arrive en France
Contrairement à ce que l’on répète, ce ne sont pas les guerres d’Italie qui ont introduit l’art italien en France. Certes les rois de France, à partir de Charles VIII (1483-1498), se battent en Italie pour conquérir le Milanais ou le royaume de Naples, mais ils étaient déjà fascinés par la culture italienne avant de partir en guerre.
De nombreux clercs français se rendaient à la cour pontificale à Rome et en revenaient bouleversés par les chefs-d’œuvre locaux ; des gravures circulaient en France grâce à l’imprimerie et les cadeaux diplomatiques, par exemple entre le pape Léon X et François 1er, introduisaient subtilement les nouveautés italiennes dans les cours françaises.
La mayonnaise prend. L’architecture des châteaux se transforme à la sauce italienne. Pensez à Chambord ou à Chenonceaux. Mais pourquoi les églises Renaissance restent-elles rares en France alors même que les chantiers se multiplient ?
Invincible gothique
L’historien Marc Venard constate bien une grande activité de construction religieuse en France au XVIe siècle : « on refait les toitures, on répare le gros œuvre, on agrandit les nefs, on les double pour répondre à la poussée démographique, on couronne les tours ». Bref, on restaure, on embellit les églises anciennes. Le problème, c’est qu’on en bâtit peu de nouvelles. Saint-Eustache-de-Paris est la seule grande exception française. Le royaume est déjà largement saturé d’édifices religieux.
Une autre raison explique le succès limité de la Renaissance : le gothique, ce vieux loup de mer de l’architecture, n’est pas prêt à céder sa place. Les architectes le maîtrisent parfaitement et les commanditaires l’apprécient toujours autant. Vers 1500, les transformations de cathédrales à Sens, Senlis, Troyes et Beauvais, par exemple, restent façonnées dans le moule gothique. Pas question de renoncer aux grandes roses et aux voûtes sur croisée d’ogives !
Le XVIe siècle ne signifie donc pas la décadence de l’art gothique en France. Les innovations italiennes, bien que séduisantes, peinent à trouver leur place. Elles laissent leur empreinte sur de nombreuses églises, mais de manière plus subtile et moins ostentatoire.
La Renaissance en France : une entrée discrète
Si vous avez déjà visité une église Renaissance sans même vous en rendre compte, vous n’êtes pas le seul. La Renaissance à la française, c’est un peu comme cet invité à un mariage : avec son costume-cravate, il se fond dans la masse, mais vous n’aviez pas remarqué ses chaussures jaunes.
Parfois, c’est juste une partie de l’église qui se met à la page. Les architectes retravaillent la façade ou ajoutent une chapelle latérale dans le nouveau style. Les églises Saint-Etienne-du-Mont à Paris, Saint-Pierre à Dreux, les cathédrales d’Évreux et de Châlons-en-Champagne, affiche une façade Renaissance qui cache souvent une nef gothique.
Ailleurs, la Renaissance s’infiltre dans les détails. La structure, les plans, les élévations et les voûtes restent fidèles aux conceptions médiévales, mais le décor des tombeaux, des portes ou des stalles fait peau neuve. S’inscrivent des motifs nouveaux : arabesques, dauphins, médaillons et coquilles au-dessus des niches.
Dans les églises Renaissance, vous remarquerez des arcs en plein cintre plutôt que brisés. Ne les confondez pas avec ceux des églises romanes.
Même les vitraux s’offrent un relooking. Finis les remplages tourmentés du gothique flamboyant, place à des sujets aussi grandioses que les fresques de Michel-Ange.
La Renaissance n’a pas donc pris d’assaut nos églises comme elle l’a fait avec nos châteaux. Les architectes ont essayé de marier la tradition gothique et les innovations italiennes. Parfois, c’est une harmonie. Parfois, ça peut surprendre. À Rodez, les chanoines de la cathédrale ont couronné vers 1554 la façade gothique d’un temple miniature à la romaine.
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