Les églises de la Renaissance en France : entre tradition et innovations

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Laurent Ridel

Les châteaux Renaissance abondent en France alors que les églises du même style sont rares. Pourtant, l’influence italienne a bien marqué l’art religieux français.

Vous avez déjà visité un château Renaissance dans la vallée de la Loire, n’est-ce pas ? Mais avez-vous déjà mis les pieds dans une église Renaissance en France ?

Pour ma part, je vivais ce jour historique en 2005. Je pénétrais dans la chapelle d’Anet, un bijou commandé par Diane de Poitiers, la célèbre maîtresse royale. Ce que j’ignorais encore, c’est que je mettrais douze ans avant de revivre la même expérience.

la chapelle d'Anet
Construite pour Diane de Poitiers, maîtresse du roi Henri II, cette chapelle est une dépendance du château d’Anet (Eure-et-Loir). Remarquez comment les courbes du dallage répondent aux lignes de la coupole (Bulo78/Wikimedia Commons)

Visiter une église Renaissance est aussi rare que voir une éclipse solaire complète. Confrontées à la vigueur de l’art gothique, les innovations artistiques italiennes ont peiné à s’imposer. Pourtant, après la guerre de Cent Ans, le royaume de France vivait une effervescence architecturale. La Renaissance trouva un chemin pour infiltrer subtilement l’art religieux français.

Les Italiens maudissent les Goths

Aujourd’hui peu d’entre nous connaissent les œuvres de l’écrivain et artiste italien Giorgio Vasari (1511-1574). Il est entré dans l’histoire de l’art moins pour son talent que pour avoir mis un nom sur la période bouillonnante qu’il vivait : « Rinascita », la Renaissance. Il définissait ainsi pour la postérité un mouvement artistique et culturel majeur de l’Europe. Mais qu’est-ce qui renaît au juste ?

Les Italiens, fascinés par l’Antiquité, veulent ressusciter la grandeur de Rome. Et qui blâment-ils pour sa chute ? Les Goths, ces « barbares » accusés d’avoir ravagé ses glorieux monuments et d’avoir plongé l’art dans les ténèbres du Moyen Âge. L’architecture classique aurait dégénéré en architecture « gothique ».

Les Goths
Les Goths participèrent à l’effondrement de l’Empire romaine avec d’autres envahisseurs germaniques : les Francs, les Vandales, les Alamans, les Burgondes… (Wikimedia Commons)

Bien sûr, l’histoire est un peu plus nuancée que ça. En vérité, les Goths ne sont pas les seuls bourreaux de l’Empire romain et l’art gothique éclot en France plus d’un demi-millénaire après la disparition des Goths. Mais qu’importe ces erreurs historiques, l’objectif des artistes italiens est désormais clair : faire renaître l’art antique dans l’architecture contemporaine en s’inspirant des ruines romaines.

La rébellion de Brunelleschi : la chapelle des Pazzi

Florence est un des berceaux de ce bouleversement.

Dans les années 1440-1450, Filippo Brunelleschi fait un pied de nez à l’architecture gothique en construisant la chapelle des Pazzi. Imaginez une colonnade en façade, un espace lumineux plus large que long, des arcs ronds et une coupole majestueuse.

chapelle des Pazzi
A Florence, la chapelle des Pazzi ressemble bien peu à une chapelle gothique. L’intérieur, plus large que long, est dépourvu de pilier. Les murs couverts d’enduit clair sont scandés de pilastres uniquement décoratifs et de médaillons à personnages. Comme dans les églises gothiques, il y a encore des arcs, mais ils sont tous ronds (plein-cintre). Enfin, se dresse au centre une coupole (Gryffindor/Wikimedia Commons).

L’architecture retrouve simplicité, clarté, harmonie et noblesse. Brunelleschi produit un véritable manifeste architectural dont la France tarde à appliquer le texte.

La Renaissance arrive en France                                                                           

Contrairement à ce que l’on répète, ce ne sont pas les guerres d’Italie qui ont introduit l’art italien en France. Certes les rois de France, à partir de Charles VIII (1483-1498), se battent en Italie pour conquérir le Milanais ou le royaume de Naples, mais ils étaient déjà fascinés par la culture italienne avant de partir en guerre.

De nombreux clercs français se rendaient à la cour pontificale à Rome et en revenaient bouleversés par les chefs-d’œuvre locaux ; des gravures circulaient en France grâce à l’imprimerie et les cadeaux diplomatiques, par exemple entre le pape Léon X et François 1er, introduisaient subtilement les nouveautés italiennes dans les cours françaises.

La mayonnaise prend. L’architecture des châteaux se transforme à la sauce italienne. Pensez à Chambord ou à Chenonceaux. Mais pourquoi les églises Renaissance restent-elles rares en France alors même que les chantiers se multiplient ?

Les lucarnes et souches de cheminée du château de Chambord.
Les lucarnes et souches de cheminée du château de Chambord.

Invincible gothique

L’historien Marc Venard constate bien une grande activité de construction religieuse en France au XVIe siècle : « on refait les toitures, on répare le gros œuvre, on agrandit les nefs, on les double pour répondre à la poussée démographique, on couronne les tours ». Bref, on restaure, on embellit les églises anciennes. Le problème, c’est qu’on en bâtit peu de nouvelles. Saint-Eustache-de-Paris est la seule grande exception française. Le royaume est déjà largement saturé d’édifices religieux.

Voûte de l'église Saint-Eustache de Paris
Voûtes de l’église Saint-Eustache de Paris, la plus grande église Renaissance à Paris. Les arcs sont plein-cintre, une corniche file au-dessus des arcades mais les voûtes sont encore gothiques.

Une autre raison explique le succès limité de la Renaissance : le gothique, ce vieux loup de mer de l’architecture, n’est pas prêt à céder sa place. Les architectes le maîtrisent parfaitement et les commanditaires l’apprécient toujours autant. Vers 1500, les transformations de cathédrales à Sens, Senlis, Troyes et Beauvais, par exemple, restent façonnées dans le moule gothique. Pas question de renoncer aux grandes roses et aux voûtes sur croisée d’ogives !

Cathédrale de Sens
La cathédrale de Sens a beau avoir son transept créé au XVIe siècle, en plein épanouissement de la Renaissance, le gothique ne laisse aucune place à la nouveauté. Les arcs sont brisés, une immense rose flamboyante éclaire l’intérieur et des croisées d’ogives recouvre le transept. Tout ça, c’est médiéval.

Le XVIe siècle ne signifie donc pas la décadence de l’art gothique en France. Les innovations italiennes, bien que séduisantes, peinent à trouver leur place. Elles laissent leur empreinte sur de nombreuses églises, mais de manière plus subtile et moins ostentatoire.

La Renaissance en France : une entrée discrète

Si vous avez déjà visité une église Renaissance sans même vous en rendre compte, vous n’êtes pas le seul. La Renaissance à la française, c’est un peu comme cet invité à un mariage : avec son costume-cravate, il se fond dans la masse, mais vous n’aviez pas remarqué ses chaussures jaunes.

Parfois, c’est juste une partie de l’église qui se met à la page. Les architectes retravaillent la façade ou ajoutent une chapelle latérale dans le nouveau style. Les églises Saint-Etienne-du-Mont à Paris, Saint-Pierre à Dreux, les cathédrales d’Évreux et de Châlons-en-Champagne, affiche une façade Renaissance qui cache souvent une nef gothique.

Clôture de chapelle dans la cathédrale de Rodez.
Clôture de chapelle dans la cathédrale de Rodez. La décoration est typiquement Renaissance. Dans la baie gauche, l’armature de pierre (le remplage) est constituée, au milieu, d’un candélabre (sorte de vase allongé), d’où jaillissent de multiples rinceaux (végétations qui s’enroulent). Notez les pilastres (piliers plats) de part et d’autre de la porte. Oui, la Renaissance, c’est tout un vocabulaire !

Ailleurs, la Renaissance s’infiltre dans les détails. La structure, les plans, les élévations et les voûtes restent fidèles aux conceptions médiévales, mais le décor des tombeaux, des portes ou des stalles fait peau neuve. S’inscrivent des motifs nouveaux : arabesques, dauphins, médaillons et coquilles au-dessus des niches.

Porte de la cathédrale d'Aix-en-Provence
Porte de la cathédrale d’Aix-en-Provence (détail). Le personnage se trouve sous une coquille, motif Renaissance, laquelle est sous un arc en accolade typiquement gothique flamboyant. Notre homme, un prophète, est flanqué de pilastres à motifs Renaissance dont des putti (angelots). La tradition gothique se marie aux nouveautés d’outre-Mont.

Dans les églises Renaissance, vous remarquerez des arcs en plein cintre plutôt que brisés. Ne les confondez pas avec ceux des églises romanes.

Même les vitraux s’offrent un relooking. Finis les remplages tourmentés du gothique flamboyant, place à des sujets aussi grandioses que les fresques de Michel-Ange.

Chevet de l'église paroissiale Saint-Pierre de Caen
Chevet Renaissance de l’église paroissiale Saint-Pierre de Caen, commencé en 1518. Les remplages des vitraux sont simplifiés alors que les garde-corps s’enrichissent de rinceaux.

La Renaissance n’a pas donc pris d’assaut nos églises comme elle l’a fait avec nos châteaux. Les architectes ont essayé de marier la tradition gothique et les innovations italiennes. Parfois, c’est une harmonie. Parfois, ça peut surprendre. À Rodez, les chanoines de la cathédrale ont couronné vers 1554 la façade gothique d’un temple miniature à la romaine.

Cathédrale de Rodez
Au dessus de la façade occidentale de la cathédrale de Rodez, trône une petite façade de temple. Une touche de Renaissance inattendue au milieu d’une architecture largement gothique (Krzysztof Golik/Wikimedia Commons)

Pour ceux qui sont perdus dans les différents styles architecturaux, je vous signale mon guide visuel. Je reprends les caractéristiques des églises Renaissance mais aussi gothiques, romanes, classiques… A télécharger gratuitement.

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L’AUTEUR

Laurent Ridel

Ancien guide et historien, je vous aide à travers ce blog à décoder les églises, les châteaux forts et le Moyen Âge.

Ma recette : de la pédagogie, beaucoup d’illustrations et un brin d’humour.

Laurent Ridel

27 réponses à “Les églises de la Renaissance en France : entre tradition et innovations”

  1. Avatar de Robert
    Robert

    Super interessant !
    20/20 !

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Merci M. le professeur 🙂

  2. Avatar de vincent ramnoux
    vincent ramnoux

    Bonjour, et merci pour cet article. Je n’avais jamais entendu parler de l’association église/ renaissance et c’est pourquoi votre document est si intéressant. j’aime beaucoup l’illustration de la façade de la cathédrale de Rodez qui mériterait peut être un article à elle seule!
    Bonne continuation.
    Vincent

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Merci pour votre intervention. Cette façade occidentale est en effet curieuse car elle n’a pas de portes et montrent peu d’ouvertures. Elle constituait autrefois un pan de la muraille de la ville !

  3. Avatar de Mireille FISCHER
    Mireille FISCHER

    grand merci de votre article

    J ai appris en classe, il y a fort longtemps que le style renaissance est venu par les guerres d’Italie.

    Je ne mourrai pas idiote

    Bon dimanche et à la semaine prochaine

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      En classe, les professeurs essaient de simplifier les choses pour qu’elles soient plus comestibles pour les élèves 🙂 Et puis la recherche progresse.

  4. Avatar de Yulia Sorokopud
    Yulia Sorokopud

    Un article très intéressant (comme d’habitude), merci ! Je me suis déjà demandé plusieurs fois, où sont les églises de la Renaissance.
    Je me permets une question relative au sujet.
    Après la Renaissance en France, vient quel style, au XVIIème et par la suite, au XVIIIème siècles? Comment peut-on définir le style des grands palais français, genre Versailles ? Les sources anglophones, étonnement, utilisent souvent le terme « baroque ».

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Merci. Pour répondre à votre question : en France, la Renaissance accouche du classicisme. Le baroque a eu peu de prise en dehors du sud-est et de l’Alsace-Lorraine.

  5. Avatar de jean claude Laleure
    jean claude Laleure

    Encore un excellent numéro de « décoder les églises… Bravo pour les explications toujours aussi claires et les illustrations qui les complètent.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Merci. Avec cet article, je sors timidement du Moyen Âge.

  6. Avatar de Le Bihan Alain
    Le Bihan Alain

    Dans cet article vous citez l’église Saint Eustache à Paris comme la seule grande exception. Pourtant il y a aussi l’église Saint Étienne du Mont qui correspond à la période Renaissance, avec son jubé très caractéristique , le seul de Paris aujourd’hui.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Saint-Etienne du Mont, que j’ai visitée, est une construction plus dilatée dans le temps et donc plus variée dans son style : gothique flamboyant dans le choeur, Renaissance dans le jubé et la nef, et presque classique dans sa façade. Mais je peux tout à fait admettre votre proposition.

  7. Avatar de Veaux Claire
    Veaux Claire

    Très intéressant car églises effectivement peu nombreuses. je connais une chapelle de château ( Montréal commune d’Issac en Dordogne) qui abrite une « relique » de la sainte épine, et qui est totalement Renaissance et qui n’a pas été retouchée. Elle se visite.
    félicitations et remerciements ôur tous vos aricles.
    Claire Périgord

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Et voilà un exemple de plus. Merci.

  8. Avatar de Segers
    Segers

    Merci pour cet article. Je vous signale l’église de Montjavoult ds l’Oise qui a un portail Renaissance , rare aussi ds l’Oise

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      En effet, je viens de voir la photo : le porche et le clocher sont Renaissance. Merci pour votre proposition. Elle confirme que les églises sont rarement totalement Renaissance. https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Saint-Martin_de_Montjavoult#/media/Fichier:Montjavoult_(60),_%C3%A9glise_Saint-Martin,_vue_depuis_le_sud_7.jpg

  9. Avatar de VERLHAC Vincent
    VERLHAC Vincent

    Passionnant Laurent et très bien documenté. Merci et bravo, j’apprends plein de choses.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Ne reste plus qu’à trouver une église Renaissance pour réviser le contenu de cet article.

  10. Avatar de Jeanne du Périgord
    Jeanne du Périgord

    Comme toujours merci pour vos articles!
    Une remarque à propos des conseils pour la visite d’une église: ne pas oublier que ce sont des sanctuaires, comme en témoigne la lumière sur l’autel – croyants ou non-croyants , cette lumière mérite notre respect car c’est pour elle que les chapelles, églises, cathédrales…ont été bâties.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      On peut en effet préciser que cette petite lumière rouge indique la présence d’hosties consacrées dans le tabernacle.

  11. Avatar de Vincent Verlhac
    Vincent Verlhac

    Laurent,
    Je ne sais pas si tu connais, mais il y a une très belle Sainte-Chapelle renaissance à Champigny-sur-Veude au sud de la Touraine. Elle appartenait à un château détruit sur ordre de Richelieu, car en résumé trop près du sien à Richelieu précisément. Les vitraux de cette chapelle sont très réputés. L’édifice est magnifique. Il est malheureusement fermé actuellement.
    Amicalement,
    Vincent

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Oui, je suis passé à côté il y a quelques mois mais, comme tu le dis, elle était en travaux. Donc, je ne me suis pas arrêté.

  12. Avatar de Vincent Verlhac
    Vincent Verlhac

    Bonjour Laurent,
    En regardant la série Arsène Lupin sur Netflix (pardon, ce n’est pas très académique), j’ai vu une scène tournée dans l’église Saint-Étienne-du-Mont à Paris. Pour faire suite à notre échange, c’est un bel exemple d’église Renaissance sur une base gothique. L’histoire de ce lieu représente un sujet à lui tout seul…
    Au plaisir de te lire.
    Vincent

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Comme je le dis dans un autre commentaire, Saint-Etienne du Mont est plus variée. La Renaissance intervient dans la nef et le jubé.

  13. Avatar de Jacques Cubaynes
    Jacques Cubaynes

    Nous avons à Assier (Lot) une superbe église Renaissance, qui abrite le tombeau de son commanditaire Galiot de Genouillac….
    De même la collégiale d’Oiron, édifiée par son compagnon d’armes auprès de François 1er, l’amiral Gouffier.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Merci pour ces références supplémentaires. On constate dans les deux cas le maintien des traditions gothiques (voûte sur croisée d’ogives, remplages parfois flamboyants, rose). Elles sont partiellement Renaissance.

  14. Avatar de Jacques Cubaynes
    Jacques Cubaynes

    Pour Assier, comme pour celle de Lonzac en Charente édifiée par Galiot de Genouillac pour le repos de sa première épouse Catherine d’Archiac, elles sont essentiellement Renaissance, façade, décors, frises et ouvertures. Seules les voûtes sont sur croisées d’ogives. A Assier, la voûte de sa chapelle funéraire est une voûte à arêtes multiples qui ressemble à un parapluie d’une grande finesse, tout à fait exceptionnelle en France.
    Merci en tous cas pour vos publications que je suis avec attention…

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