La visite d’une église commence par la connaissance de son plan. En la matière, les concepteurs ne se sont pas cantonnés à la traditionnelle forme en croix. Ils ont tout osé, même dessiner les contours de l’église selon le dessin d’un instrument de musique.
Quand vous faites le tour d’une église, vous en admirez sûrement l’architecture, vous en observez les sculptures ou les peintures. Vous en oubliez peut-être la base : son plan. De lui découlent pourtant les élévations de l’édifice. L’intérieur d’une église change selon le recours à un plan basilical ou à un plan centré (je vous explique les différences plus bas).
Le plan est aussi un moyen d’entrer dans la pensée de l’architecte ou du commanditaire ; on peut supposer ses objectifs, ses contraintes et ses ambitions. Enfin, vous pourriez tomber sur quelques surprises. Je vous en livre quelques unes en France et à l’étranger.
Face à la représentation d’un plan, on peut cependant se sentir aussi bête que moi devant un schéma électrique. Comment le lire ? Est-il banal ou curieux ? À quoi servent les différentes parties ? Je vous donne ici quelques clés de lecture et un peu de vocabulaire.
L’Église Minimum Viable (EMV)
Aucune règle ne détermine le plan d’une église à condition de respecter un principe : tout édifice de culte chrétien doit au minimum comprendre deux espaces distincts.
- la nef, destinée à accueillir les fidèles
- le chœur dans lequel est placé l’autel. Généralement tourné vers l’est, c’est la zone sacrée de l’église. Au mot « chœur » jugé ambigu, certains historiens de l’art préfèrent les notions de « chevet » ou « sanctuaire ». Je vous explique en images les subtilités de ce vocabulaire dans cet article.
Avec ces deux parties, on tient notre Église Minimum Viable (EMV). Ne cherchez pas cette expression dans les livres. Je l’invente à cette occasion. Tenez, je vais même la déposer : EMV®.
Une fois qu’on a assimilé ces fondamentaux, il devient plus facile de comprendre les deux principaux schémas des églises : le plan allongé et le plan centré.
Le plan allongé
Malgré leur diversité, les plans des églises se ramènent tous soit au plan allongé, soit au plan centré. Dans la première configuration, l’édifice se déploie en longueur ; la nef et le chœur occupent chacun une extrémité.
Si on affine, ces églises longitudinales se répartissent en deux groupes :
- l’église-salle. Minimaliste, elle forme un rectangle dénué de colonnes ou de piliers à l’intérieur. C’est probablement le plan d’église le plus courant, surtout dans les campagnes.
- La basilique. Ici des piliers divisent l’espace intérieur, généralement en 3 parties longitudinales appelées vaisseaux.
- Au milieu, le vaisseau central
- Sur les côtés, des collatéraux, moins larges et moins élevés.
Je n’en dis pas plus, car un article sur ce site vous attend à ce sujet : les basiliques, des églises mal comprises.
Dans la réalité, les plans ne sont pas si simples. Mais ils sont les fondements de toutes églises longitudinales, comme on va le voir tout de suite.
- Lire aussi : Chœur, chevet et abside : quelle différence ?
Les variantes plus complètes du plan allongé
Les grandes églises allongées adoptent un plan plus compliqué. Des espaces s’ajoutent au rectangle de base afin de répondre à différents objectifs.
– Par exemple, un transept barre l’axe longitudinal de l’église. Le plan évolue ainsi en une croix, forme ô combien symbolique dans le christianisme. Je le répète, ce plan ne semble pas si courant comme je le démontrais dans cette enquête vidéo.
– Dans le prolongement des bas-côtés, un déambulatoire enveloppe parfois le chœur afin de canaliser plus efficacement le flux des fidèles et des pèlerins. Ce dispositif concerne les églises fréquentées. Il fonctionne encore très bien dans les cathédrales envahies de visiteurs et de touristes.
– Au plan de base, on peut aussi greffer des chapelles, chacune équipée d’un autel. Cette multiplication des chapelles au Moyen Âge répond aux besoins de célébrer davantage de messes privées. L’autel principal dans le chœur ne suffit plus pour faire face aux nombreuses demandes des fidèles et des clercs. On construit donc des chapelles sur les flancs de la nef (chapelles latérales) et autour du chœur (chapelles rayonnantes).
Ainsi s’expliquent les plans particulièrement développés de certaines églises.
Le plan centré
Aux plans allongés s’opposent les plans centrés. Beaucoup plus rares en France, ils déstabilisent les visiteurs habitués aux églises en longueur.
Concrètement, à quoi ressemble une église à plan centré ? Il faut qu’elle s’ordonne autour d’un centre. On pense d’abord au cercle. Oui, il existe des églises rondes, ou à peu près (c’est-à-dire polygonale, à 8, 10, 12 et même 14 côtés). On les qualifie de rotondes. Le sanctuaire et son autel se retrouvent placés au centre et non à l’est. Ce plan original concerne surtout des églises modestes : la chapelle du Liget près de Loches, la chapelle funéraire de Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme), le chœur de l’église Saint-Étienne de Neuvy-Saint-Sépulchre (Indre), Saint-Pierre-et-Saint-Paul d’Ottmarsheim près de Mulhouse, Sainte-Croix-de Quimperlé, Lanleff en Bretagne, Rieux-Minervois (Aude). À l’étranger, j’ai noté la rotonde San-Lorenzo de Mantoue et l’église Saint-Sépulcre de Cambridge. Même la très récente cathédrale d’Évry adopte la rondeur… Complétez cette liste en commentaire.
Comment comprendre la faveur de ce plan ? Si vous deviez construire une maison, ce n’est pas une rotonde qui vous viendrait à l’esprit. Je m’attends bien sûr à ce que certains lecteurs mettent les Templiers dans le coup. Malheureusement, aucune des églises citées plus haut n’appartenait à l’ordre du Temple.
Dans leur architecture, les églises médiévales aiment parfois faire des clins d’œil à des monuments plus prestigieux. C’est dans cette direction qu’il faut chercher. Vraisemblablement, les plans ronds ou polygonaux prennent pour modèle, soit la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle construite par Charlemagne, soit le Saint-Sépulcre, l’église de Jérusalem bâtie sur le tombeau du Christ.
Quelques plans originaux
Les églises à plan centré ne se limitent pas aux églises plus ou moins rondes. Pensez aussi aux églises en croix grecque (à la différence de la croix latine, les deux branches sont d’égale longueur). En France, la chapelle du château d’Anet, construite pour Diane de Poitiers, reprend ce modèle.
Pensez aussi aux églises tétraconques, c’est-à-dire à quatre-feuilles. Sans jeu de mots, c’est un coup de chance si vous tombez dessus. Pour ne pas errer indéfiniment, dirigez-vous vers la chapelle de Montmajour (Bouches-du-Rhône) ou l’église Saint-Ulrich d’Avolsheim (Bas-Rhin), dont la forme initiale a été altérée.
À Planès (Pyrénées-Orientales), la minuscule église Notre-Dame-de-la-Merci forme au sol un triangle équilatéral sur lequel se greffent des petites absides.
Et je passe d’autres monuments curieux.
La raison de ces plans originaux nous échappe. Quel dessein se cachait derrière ces formes régulières ? Ont-elles un symbole ? Sur ce sujet, les chercheurs calent.
Globalement, une église à plan centré est plus ramassée qu’une basilique. Sa symétrie ne saute pas toujours aux yeux, car l’adjonction d’absides, de chapelles ou de portails complexifie la lecture de son plan et brise sa régularité.
Les plans apparemment ratés
Enfin, il y a ces plans qui ne ressemblent à rien. On croirait une œuvre d’art expérimentale au cours de laquelle l’architecte traçait les contours avec une craie coincée entre les orteils. À moins qu’il fût tout simplement fâché avec la géométrie du carré ou du rectangle. Les murs sont de biais, le résultat est informe. Dans cette catégorie entrent l’église Saint-Aspais de Melun (ci-dessous), les collégiales Notre-Dame-du-Fort d’Étampes et Saint-Médard de Creil.
Dans ces trois cas, disculpons l’architecte et sa supposée incompétence. Accusons plutôt les contraintes du site. La construction ou l’extension de l’église était probablement gênée par un rempart, des maisons ou une rue. L’architecte a dû composer avec la parcelle irrégulière dont il disposait. Le monument ne pouvait pas empiéter ou barrer une rue au risque de déchaîner les protestations des habitants et d’entraîner des problèmes de circulation.
Pour une fois, terminons cet article en musique. L’église baroque d’Asfeld dans les Ardennes nous y invite. D’extérieur, son plan interroge. Les murs de brique sont tous courbes, soit convexes, soit concaves. Vue du ciel, « cette fantaisie architecturale » (selon l’expression de Louis Serbat) s’éclaire : elle a la forme d’une viole de gambe, un vieil instrument à cordes, proche du violon ! Son commanditaire, le comte d’Avaux, s’en justifia : d’une telle forme musicale, on pouvait espérer porter vers le ciel les chants et les prières.
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