En plus d’être des lieux de prière, de nombreuses églises de campagne, des abbayes voire des cathédrales avaient une fonction militaire. Pourquoi les fortifier ? Leurs défenses étaient-elles efficaces face aux ennemis ?
Même les enfants le savent. Au Moyen Âge, il y a des édifices où prier, les églises, et des édifices où se battre, les châteaux forts. L’expression « églises fortifiées » compose donc un couple de mots apparemment mal assortis. Et pourtant plusieurs centaines d’églises en France intègrent des dispositifs défensifs comme des remparts, des tours ou des meurtrières.
Au même titre que les châteaux forts, les maisons fortes ou les enceintes, ces édifices originaux composent l’armature militaire des campagnes voire des villes. Ils se multiplient pendant la guerre de Cent Ans et les guerres de Religion. Sont-ils néanmoins capables de résister à un siège ?
Les églises ne devraient pas être fortifiées
Aux XIe et XIIe siècles, les évêques le répètent : les églises, ainsi que leur cimetière, sont des refuges inviolables. Qu’est-ce que ça veut dire ? Persécuté ou poursuivi, un homme peut courir jusqu’à l’église, s’y réfugier sans que ses poursuivants ou ennemis puissent y entrer et se saisir de lui.
Cet asile est encore plus précieux en temps de guerre ou d’insécurité. Les armées ou les brigands volent le cheptel ou les vivres, ils incendient les maisons. Au Moyen Âge, il vaut mieux ne pas croiser des soldats ; au choix, l’individu sera molesté, violé ou capturé contre rançon (voire les trois successivement). Pour les habitants terrorisés, l’église est un refuge tout trouvé par sa proximité des habitations, par sa grande capacité d’accueil et par son caractère sacré. Tout assaillant qui viole ce territoire sanctifié encourt l’excommunication.
Les villageois s’y mettent à l’abri, et pas qu’eux. Ils y amènent aussi leurs bêtes, et y déménagent leurs vivres et leurs coffres. En 1105, l’évêque de Sées s’en plaint. Alors qu’il célèbre une messe dans l’église de Carentan (Manche), l’intérieur est si encombré par « un immonde attirail » que « les assistants ne peuvent plier le genou devant l’autel », témoigne le chroniqueur Orderic Vital.
On s’entasse sous les voûtes, mais, au moins, le droit ecclésiastique protège les réfugiés. Dans ces conditions, à quoi bon fortifier une église ?
Des cibles privilégiées en temps de guerre
Dès le début du Moyen Âge, des abbayes sont fortifiées. Il en va de leur survie. Leur trésor et leurs réserves ont toujours fait saliver les pillards. Ils s’imaginent s’emparer des reliquaires et autres pièces d’orfèvrerie. Ils rêvent d’en visiter les caves et les celliers. On ne s’en rend plus compte aujourd’hui, mais des abbatiales importantes comme Cluny, Saint-Germain-des-Prés ou Tournus étaient entourées d’un mur d’enceinte, renforcées de tours.
Dans certains villages, les habitants se résolvent à fortifier l’église paroissiale, car les sanctions du clergé ne font pas toujours peur aux seigneurs, aux brigands et aux armées. En temps de guerre, des édifices sacrés sont brûlés avec leurs réfugiés à l’intérieur. Face à des ennemis sans foi ni loi, les villageois doivent mettre en œuvre leur propre protection. Surtout quand ils manquent d’échappatoires proches : pas de château fort où être accueilli, ni de souterrains ou de forêt où se cacher.
L’église paroissiale apparaît comme une alternative militaire sérieuse. Ses murs solides et épais ont une certaine capacité de résistance aux attaques ; ses ouvertures, souvent rares et étroites, rendent difficiles les prises d’assaut. La clôture du cimetière est envisagée comme une enceinte pour peu qu’on creuse un fossé à ses pieds. Enfin, le clocher est utilisé en tour de guet. À peu de frais, le seigneur ou la communauté villageoise peuvent convertir une église en point de résistance. Mais certains vont plus loin.
Même les cathédrales
Pendant la guerre de Cent Ans ou les guerres de Religion, parfois avant, parfois après, des églises sont complétées d’organes défensifs empruntés aux châteaux forts.
Ici, on ajoute des bretèches au-dessus des points vulnérables que sont les portes et fenêtres. Là-bas, on transforme la tour en un donjon après avoir obstrué les ouvertures, ne laissant que des meurtrières. Ailleurs, on aménage autour de la toiture un chemin de ronde, renforcé de créneaux.
Si le vocabulaire de l’architecture militaire vous est encore obscur, consultez cet article fondamental.
Le résultat met parfois le touriste dans la confusion : a-t-il affaire à un lieu de culte ou à une forteresse ? En Thiérache, certaines églises paroissiales comme Parfondeval sont même conçues dans l’optique de la défense. Les habitants prévoient donc d’y prier et d’y tenir tête à tout envahisseur.
Ce mouvement de fortification n’épargne pas les cathédrales. Albi, Maguelonne, Agde, Béziers et bien d’autres semblent surtout avoir été bâtis pour susciter la crainte chez les ennemis qu’à inviter les fidèles à la prière. Leurs commanditaires ont laissé tomber la grâce de l’architecture pour la guerre. Dans ces anciennes terres cathares, le pouvoir de l’évêque, souvent contesté, doit s’affirmer dans la pierre.
À Rodez, à Dol-de-Bretagne, ou à Entremont, on se trouve devant un autre cas de figure : les cathédrales sont si proches de l’enceinte, qu’elles ont été intégrées dans le dispositif défensif de la ville. À leurs risques et périls…
Attaque sur l’église !
Quand la rumeur annonce des mouvements de troupes, le village se prépare. Les habitants se réfugient, corps et biens, dans l’église, stockent des munitions et y dorment la nuit. Le jour, des enfants jouent le rôle de guetteurs au sommet des clochers. Dès que l’ennemi approche, « ils sonnent avec une corne ou mettent les cloches en branle. En entendant, les paysans qui se trouvent aux champs ou occupés à diverses besognes dans leur maison, cherchent asile à l’église qui est leur refuge, en courant le plus vite possible » (Chronique dite de Jean de Venette, pour l’an 1358).
Un capitaine, parfois élu par les habitants, organise la défense. La porte est verrouillée et barricadée. Lorsque les soldats surgissent devant l’église, les habitants les accueillent par des tirs d’arbalètes ou des jets de fronde. D’autres balancent des pierres du haut du chemin de ronde.
La résistance peut durer longtemps à condition de disposer de victuailles en abondance. Exceptionnellement, des églises bénéficient d’un puits, voire d’un four à pain !
Au bout de quelques jours, si l’église ne tombe pas, les assaillants se lassent et vont chercher un autre village moins défendu.
À Châtres, en 1360, la stratégie défensive tourne au fiasco. Pendant le siège, le capitaine du village, constatant la vulnérabilité des parties basses de l’église, les incendie. Le feu, non maîtrisé, gagne malheureusement la tour où se sont réfugiés le capitaine et les défenseurs. Bref, l’arroseur arrosé. Moqueurs, les assiégeants anglais regardent faire le désastre. 900 réfugiés, hommes, femmes, enfants, brûlent. En s’échappant, les survivants tombent sur les Anglais qui les tuent. Penaud, le capitaine se rend. Grâce à son sang noble, il est épargné.
De l’efficacité militaire des églises fortifiées
Après le récit du siège malheureux de Châtres, on peut se demander si les églises fortifiées étaient de bons asiles. La même année, les habitants d’Orly (plus connu aujourd’hui pour son aéroport) se sont aussi défendus depuis leur église contre les Anglais. Bilan : la moitié des habitants fut tuée, l’église dévastée et les vivres pillés. En 1418, la garnison de l’abbaye du Bec capitule face à une armée anglaise commandée par le sénéchal Thomas de Lancastre, duc de Clarence, après une vingtaine de jours de siège. Les échecs sont donc nombreux. La résistance est-elle vaine ?
Tout dépend de l’ennemi. À Châtres, à Orly ou au Bec, les défenseurs doivent affronter des armées en campagne, parfois pourvues d’engins de guerre (les trébuchets par exemple). Autant dire que le rapport de force est déséquilibré. Par contre, la défense a plus de chances face aux petites bandes de pillards. Or, elles sont courantes à écumer les campagnes, notamment pendant la guerre de Cent Ans. Les trêves démobilisent des soldats qui se retrouvent privés de solde. Leur moyen de survie ? Razzier les bourgs et les villages sans remparts. Face à ces brigands, des églises fortifiées se dressent et peuvent les tenir en échec.
Enfin, les textes ne nous signalent jamais l’effet dissuasif de ces fortifications. Combien de villages anonymes ont été préservés parce qu’à la simple vue de l’église fortifiée, les pillards ont renoncé à l’attaquer ? Les sources n’évoquent jamais ces cas de figure, car ils ne font pas l’événement.
Maintenant que vous êtes sensibilisé à ce sujet, observez mieux les églises que vous visitez. Quel que soit votre région ou votre pays, les édifices de culte, équipés d’attributs militaires, sont plus nombreux que vous ne le pensez. Certains d’entre vous en ont sûrement repérés. Indiquez-les en commentaire.
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