Il en fallut de l’argent, beaucoup même, pour construire les cathédrales du Moyen Âge. Chacune rivalisaient de beauté, de richesse et de gigantisme. Qui, de l’évêque, du roi ou du peuple, a mis la main à la poche ?
À la différence de la plupart des chantiers d’aujourd’hui, le financement des cathédrales était aléatoire. L’évêque imaginait un projet (trop) ambitieux puis ébauchait le montage financier sur les premières années. Puis advienne que pourra : le commanditaire savait qu’il ne verrait probablement pas la fin étant donné la longueur de ce type de chantier. Comptez plusieurs dizaines ou plusieurs centaines d’années. Le successeur sur le siège épiscopal se chargerait du problème.
Qu’on ne s’étonne pas que les chantiers calent parfois. Ce n’est pourtant pas faute d’imagination chez les commanditaires pour multiplier les sources de revenus.
Les dépenses à prévoir
Dans l’édification d’une cathédrale, le budget inclut 4 grands types de dépenses :
- les salaires des artisans et des manœuvres
- les honoraires de l’architecte
- les matériaux de construction. Ne vous arrêtez pas à la pierre. Pensez au bois des charpentes et des échafaudages, au verre des vitraux, aux tuiles ou plomb des couvertures… Dernière précaution : intégrez le coût d’acheminement, le transport pouvant multiplier le prix d’achat des pierres
- Les éventuels achats de terrain. Eh oui ! Implantées en plein cœur du tissu urbain, les cathédrales sont quelque peu encombrantes.
Au final, à combien s’élève la facture ? On ne le sait pas. Nous ne possédons pas de livres de compte portant sur toute la durée d’édification d’une cathédrale.
Le mécénat des évêques et des chanoines
La cathédrale est par définition l’église de l’évêque. Étant le premier intéressé par la construction, l’évêque est naturellement le principal financeur du chantier. Dans ce but, ils s’appuient sur les ressources de son diocèse. Ici ou là, des fermes, des dîmes, des taxes…
Dans le financement, n’oublions pas le rôle des chanoines, ces membres du clergé qui occupent quotidiennement la cathédrale. Ils sont très puissants dans la moitié nord de la France. Eux aussi possèdent dans le diocèse des revenus qu’ils mettent temporairement à disposition du chantier.
Dès les premières années du XIIIe siècle, la longueur des chantiers et l’importance des sommes en jeu exigent une certaine rationalisation et continuité du financement. Évêques et chanoines mettent en place une institution, appelée fabrique ou œuvre. Dotée d’une personnalité juridique, la fabrique reçoit dons et legs, gère le patrimoine et surveille la bonne marche des travaux. Justement, d’où viennent les dons ?
La part des fidèles
Au bas de 45 verrières de la cathédrale de Chartres figurent différents corps de métiers : bouchers, maréchaux ferrants, boulangers, vignerons… Rappel que ces artisans ont financé les vitraux. Les fidèles contribuent donc à la construction et à l’embellissement des églises.
Il ne s’agit pas toujours de donner de l’argent. Un seigneur peut par exemple permettre l’accès à sa forêt ou à sa carrière aux bûcherons et aux tailleurs de pierre du chantier. Les dons en nature sont les bienvenus : volailles, vin ou bière nourriront les bâtisseurs tandis que le cheval ou le bœuf, plutôt qu’être mangés, pourront être mobilisés pour les charrois.
Les dons d’argent ou en nature affluent d’autant plus que l’époque des cathédrales gothiques correspond à un enrichissement de la population. Dans les villes, se développe une bourgeoisie qui a fait fortune dans le commerce ou le textile. Derrière leur générosité, se cachent peut-être quelques soupçons de culpabilité. En effet, la soif de profit et le prêt à usure ne sont pas bien vus par l’Église. Pour les nouveaux riches, le financement des cathédrales offre « un moyen de blanchir son âme… et son argent », comme l’écrit joliment l’historien Patrick Demouy.
Les fidèles prennent le chantier en main
Dans certaines régions d’Europe, les laïcs ne se contentent pas d’un rôle accessoire. C’est le cas dans les pays germaniques (dont faisaient partie Metz ou Strasbourg). Là-bas, les gouvernements urbains évincent les évêques et les chanoines de la direction de la fabrique. De même dans les cités-États d’Italie comme à Bologne ou Florence. La construction ou l’embellissement d’une cathédrale sont considérés comme une affaire municipale. Il en va du prestige de la ville. Sur la cathédrale San-Petronio de Bologne, la répétition du blason municipal — rouge et blanc — rappelle aux passants qui a financé l’édifice.
Et le roi dans tout ça ? Il se mêle peu de la construction. Le rôle des Capétiens se limite principalement à des dons d’argent : le roi Louis VII, le père de Philippe Auguste, offre 200 livres au chantier de Notre-Dame de Paris tandis que saint Louis et sa mère Blanche de Castille financent une rose de Notre-Dame de Chartres. Mais le mécénat royal n’est pas décisif dans le mouvement d’érection des cathédrales gothiques. Du moins en France. Les Capétiens s’intéressent davantage à la fondation de châteaux, de collégiales et d’abbayes.
Trouver de l’argent : tous les moyens sont bons
En 1112, la cathédrale de Laon brûle, après une émeute. Pour financer la reconstruction, les chanoines rassemblent leurs reliques, puis partent sur les routes. À chaque étape, ils racontent aux habitants les malheurs de leur église, dévoilent leurs reliquaires et récoltent ainsi des dons. Leur tournée les emmène jusqu’en Angleterre. Six mois plus tard, ils sont de retour dans leur cité, dotés de fortes sommes d’argent et même de tapisseries destinées à orner leur nouvelle église. Cet exemple illustre le rôle des quêtes itinérantes.
Ailleurs, le clergé a souvent moins le goût du voyage. Il se contente d’installer des troncs dans les églises de la ville, sur les marchés et dans certains commerces. Dans les paroisses, les curés sont invités à exhorter leurs ouailles aux aumônes. Est-ce suffisant ?
Mieux qu’un discours, l’Église sait trouver, à partir du XIIIe siècle, la carotte pour stimuler la générosité des fidèles. La solution s’appelle les indulgences. Sur certains chantiers, le pape accorde des remises de peine temporelles à tous les pêcheurs en échange d’une participation financière. Vers 1276, un prédicateur d’Amiens déclare à la foule octroyer 140 jours de pardon, si bien que « vous pouviez approcher plus près du paradis que vous n’étiez ce matin », ajoute-t-il. Le religieux lance même des propositions moralement contestables. Aux fidèles coupables de la détention abusive d’un bien, il promet l’effacement de la faute à condition de rendre ce bien non pas à son légitime propriétaire, mais à « vostre mère eglise ». Le sens de l’opportunisme…
L’échec du financement
Malgré ces multiples sources de revenus, les rentrées sont irrégulières et l’avancée du chantier est généralement chaotique. D’autant plus qu’évêque, chanoines et ville ne s’entendent pas toujours sur la conduite des travaux.
Il ne faut donc pas s’étonner d’interruptions pendant plusieurs dizaines d’années. Parfois plus. À la fin du XIIIe siècle, le retournement de la conjoncture dans la France du nord calme l’enthousiasme des bâtisseurs avant que les premiers combats de la guerre de Cent Ans vers 1340 ne stoppent définitivement beaucoup de chantiers. Rares sont aujourd’hui les cathédrales achevées. Même les impressionnants monuments gothiques de Chartres ou Reims ont dû rabattre leur prétention par rapport au projet initial. La foi ne suffit pas à monter des pierres.
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