Les vitraux vous émerveillent ? Découvrez leur technique de fabrication, suivez leur histoire depuis le Moyen Âge et apprenez à les déchiffrer.
On trouve des vitraux dans toutes les églises d’Europe, sauf dans les régions orthodoxes (Balkans, Russie). Même les édifices modestes, qui n’avaient pas le budget de la cathédrale de Chartres, ont tenté d’embellir au moins une fenêtre avec des verres colorés. Le secret de leur fascination réside dans leur méthode de fabrication, une recette qui remonte au-delà de l’âge gothique.
Quel est le symbolisme des vitraux ? Pourquoi peut-on les qualifier de miraculés ? Comment les lire ? Préparez-vous à des explications hautes en couleur.
La fabrication des vitraux : une magie qui opère en 5 étapes.
Un vitrail consiste en une cloison composée de verres souvent colorés et peints. Traditionnellement, une armature de plomb sert à les agencer. Vers 1100, le moine Théophile nous expliquait déjà la recette dans son traité De Diversis Artibus.
1. la création du modèle
La première étape consiste à composer le dessin du vitrail, un carton ou gabarit, aux dimensions exactes de la fenêtre. Le peintre-verrier, parfois simple exécutant, réalise ce modèle selon les instructions du commanditaire ou en utilisant un modèle fourni par un peintre. Il divise ensuite son dessin pour correspondre aux différents morceaux de verre.
2. la fabrication du verre
Faire du verre, c’est un peu comme cuisiner, mais à des températures… assez chaudes. La silice (du sable) se transforme en verre quand elle est chauffée à plus de 2000 °C. Mais attendez, au Moyen Âge, ils n’avaient pas nos puissants fours modernes. Alors, ils utilisaient un fondant, souvent des cendres de plantes. Cet ingrédient magique abaissait la température de fusion. Le verrier obtient une matière visqueuse comme du miel.
3. la coloration du verre
La cuisine continue. C’est le moment d’ajouter dans la marmite du sel. Pas n’importe lequel. Des sels ou oxydes métalliques : du cuivre pour le turquoise, du fer pour le jaune, du manganèse pour le violet… Les souffleurs de verre arrivent à transformer le miel visqueux en plaques qu’on laisse refroidir. Miracle : le verre est teinté.
- Voir aussi : Les vitraux sont-ils peints ou colorés ?
4. la découpe du verre
Le peintre-verrier fabrique un puzzle : à partir du gabarit (étape 1), il découpe les différents morceaux du vitrail dans les plaques de verre teintées. Cette étape exige une grande précision pour assurer que chaque morceau s’intègre parfaitement dans le dessin global. L’armature est soudée.
5. la peinture et la fixation
L’artisan donne maintenant du caractère à son œuvre. Des motifs, des ombres et des détails délicats sont peints sur le verre pour mieux représenter les personnages, les architectures ou les objets. La peinture, principalement à base de grisaille puis de sels d’argent, nécessite une cuisson au four pour être fixée au verre.
6. le sertissage et l’installation
Enfin, chaque pièce de notre puzzle est sertie dans des baguettes de plomb. Pourquoi ce métal en particulier ? Souple et malléable, il réduit le risque de casse sous le poids du verre ou sous la pression du vent. Le vitrail est ensuite installé dans sa baie. Pour des raisons de commodité, il est rarement d’un seul tenant, mais divisé en panneaux.
Exposé à la lumière, le vitrail prend vie quand on se trouve à l’intérieur de l’édifice.
Pourquoi des vitraux dans les églises ?
Combattons d’abord ce cliché (mieux, vu notre sujet, faisons-le voler en éclat) : les églises n’ont pas le monopole des vitraux. Ils décoraient aussi des châteaux ou des demeures cossues. Autour de 1900, on l’employait pour vitrer les façades ou les toits des grands magasins parisiens et impressionner le chaland par ce luxe. Cependant, l’essentiel des vitraux conservés se trouve dans les églises.
Ils répondent d’abord à une fonction basique : fermer les fenêtres et ainsi protéger l’intérieur du vent, de la pluie et des intrus comme les oiseaux un peu trop curieux. Ce bouclier laisse cependant passer la lumière grâce à sa translucidité.
Deuxièmement, les vitraux participent à l’ambiance de l’église. Les verres teints colorent et modulent la lumière, créant une atmosphère propice au recueillement et au mystère. Suger, le fameux abbé de Saint-Denis, recherchait cet effet dans son abbatiale. À l’intérieur, le fidèle se sentait transporter jusqu’au Ciel grâce aux cloisons de verres. Bref, une église équipée de vitraux offrait un avant-goût du paradis, un au-delà qu’on imaginait resplendissant de couleurs.
Pour ces raisons pratiques, esthétiques et symboliques, les vitraux sont appréciés dans les églises. Mais, attendez, n’aurais-je pas oublié le principal ?
Une supposée bible des illettrés
Les vitraux ne servent-ils pas d’abord à raconter des histoires ? Ils portent en effet des épopées bibliques ou des légendes de saints. À une époque où savoir lire était une compétence réservée à une minorité, ces images colorées seraient un support éducatif adapté.
Cette fonction de « Bible pour les illettrés », je l’ai nuancée dans un autre article. Plus qu’un cours, les vitraux dispensaient un discours qui proclamait les dogmes de l’Église et mettait en valeur les autorités du christianisme. Les images s’adressaient au peuple, lettré ou non, et aux clercs.
Enfin, ces vitraux sont aussi des ex-voto, des offrandes faites à Dieu. Les donateurs, dans un élan de générosité, offraient ces merveilles de lumière et de couleur dans l’espoir d’un retour sur investissement spirituel : une place au paradis après leur mort. Là encore, la cible n’est pas l’analphabète, mais, au contraire, une élite suffisamment riche pour les financer.
L’histoire du vitrail à grandes foulées
Invention et épanouissement
Ciblons une autre idée reçue : le vitrail serait une invention de l’art gothique. Les archéologues, toujours à fouiller la terre et à faire des découvertes incroyables, ont déniché des fragments de vitraux qui datent d’au moins 400 à 500 ans avant que les premières cathédrales gothiques ne pointent le bout de leur clocher. Le problème, c’est qu’ils ne sont plus en place. Les églises qui les intégraient ont disparu. On conserve cependant quelques vitraux romans in situ, par exemple dans les cathédrales de Chartres, du Mans ou de Poitiers.
Avançons dans le Moyen Âge. À l’époque gothique, dès le milieu du XIIe siècle, le vitrail entre dans son âge d’or ; il est la parure indispensable des cathédrales. Grâce aux innovations de l’architecture, les fenêtres s’agrandissent et deviennent audacieuses. Certaines atteignent près de 20 m de haut ! Au lieu de murs, se déploient des bandes dessinées en couleur racontant les épisodes bibliques ou glorifiant les saints.
Un art qui n’est pas mort
On produit encore de beaux et immenses vitraux à la Renaissance, puis, à partir de la fin du XVIe siècle, cet art décline. La mode évolue. On reproche aux vitraux de trop assombrir l’intérieur des églises. Le clergé fait souvent démonter les vitraux médiévaux au bénéfice d’insipides vitraux « blancs ». Adieu les couleurs intenses ! Peu à peu le savoir-faire se perd et les artisans, sans commande, disparaissent. Le chant du cygne ?
Non, car au XIXe siècle, les vitraux font un retour spectaculaire. Merci à l’Arts and Crafts et au néogothique ! Valorisant les techniques médiévales, ces mouvements artistiques essaient de les retrouver et de les appliquer. Justement, à cette époque, on construit de nombreuses églises, notamment dans les villes et banlieues en expansion. Ces chantiers stimulent la demande de vitraux. Le choix des fabriques — les conseils de paroisse — se porte notamment sur des vitraux dits archéologiques au sens où ils essaient de reproduire le style du XIIIe siècle ou du XVIe siècle. Ils imitent si bien l’ancien qu’on peut se laisser piéger sur leur datation réelle.
Et aujourd’hui ? Le renouveau ne se dément pas. Des artistes reçoivent toujours des commandes, notamment pour remplacer ces fades vitreries blanches. Le style s’est modernisé, les méthodes de fabrication aussi. Après, on aime ou pas le résultat…
Lecture d’un vitrail : quelques conseils
Quel casse-tête ! Les verrières, surtout les œuvres les plus anciennes, peuvent nous laisser perplexes. Pour parvenir à les décoder, il faut se munir de sa longue-vue et d’un bon bagage en matière religieuse. Les scènes ou les personnages du christianisme sont souvent minuscules et parfois peu connus. Sans légende, c’est comme essayer de regarder un film sans avoir activé le son.
Pour ajouter à la confusion, s’immiscent parfois des scènes inattendues. Dans les cathédrales de Chartres ou de Bourges, au bas des vitraux, on peut observer des artisans au travail. Clins d’œil aux corporations qui ont financé les œuvres. Et que dire de cette procession funéraire de singes dans cathédrale de York (Angleterre) ?
Si l’iconographie vous semble du chinois, déportez votre attention sur la composition :
- La scène. Que voit-on ? Quels personnages, quelle architecture ? Quels objets ?
- Le fond. Jusqu’au XVe siècle, oubliez les paysages à perte de vue. Les peintres-verriers préfèrent des fonds unis ou à motifs.
- Les bordures. Là aussi, observez le type de motifs : végétal, héraldique, géométrique…
Au XIIIe siècle, les verrières françaises se composent souvent d’une multitude de médaillons sur fond bleu ou rouge. En général, ces médaillons se lisent du bas vers le haut, surtout lorsqu’ils racontent la vie de Jésus ou d’un saint. Leur histoire est en effet ascendante : leurs actions vertueuses et l’âge les rapprochent progressivement du ciel. À leur mort, représenté au sommet du vitrail, un ange emporte souvent leur âme.
Cette règle souffre d’exceptions (lecture du haut vers le bas) ou se complexifie au point de vous donner le tournis.
Au XIVe siècle, les baies s’élargissent encore, renchérissant le coût de la vitrerie. Par économie et par souci de luminosité, les commanditaires demandent au maître verrier d’intégrer davantage de parties incolores. Ces zones sont appelées grisailles, car seulement décorées de grisailles (je vous renvoie à l’étape 5 de la fabrication du vitrail).
Au XVIe siècle, pendant la Renaissance, les scènes deviennent plus lisibles, car elles font souvent toute la largeur du vitrail. Chaque verrière devient un gigantesque tableau. Autre nouveauté : la perspective est maîtrisée.
Dans la lecture d’un vitrail, n’oubliez pas son cadre architectural : le remplage
Un jeu d’assemblage : le remplage
Sur les façades de certaines églises, les baies sont si grandes qu’un squelette de pierre est nécessaire pour les maintenir. En architecture, ce squelette s’appelle un remplage. Amusez-vous à observer ces armatures, car ce sont des compositions souvent très élaborées et d’assez bons indices pour dater la fenêtre.
Prenons l’exemple de cette baie de style gothique rayonnant.
Au niveau inférieur, le remplage est assez simple. Il s’agit ici de 4 lancettes, c’est-à-dire de baies assez étirées. Le problème se complique à hauteur du couronnement de la baie principale, directement sous l’arc brisé. Dans cette zone appelée tympan, les formes sont plus denses et variées.
Tout un vocabulaire est nécessaire pour le décoder : la rose (forme circulaire) est constituée de multiples carrés curvilignes (aux bords courbes). À l’intérieur de chacun, s’insère un quadrilobe (pour faire simple : un trèfle à quatre feuilles). Nous avons la chance d’en voir beaucoup.
La rose est flanquée de trilobes, soit de trèfles normaux. Si vous croisez un arc et un trilobe, vous obtenez un arc trilobé. Nos lancettes de départ sont donc surmontées d’arcs trilobés.
Quel assemblage complexe ! Les tailleurs de pierre ont emboîté les formes comme dans un jeu de Tetris. Ne culpabilisez pas si vous ne retenez pas tout ce vocabulaire. Lors de votre prochaine visite, essayez surtout de comprendre la logique géométrique de ces remplages.
Les vitraux médiévaux sont des miraculés
Extrêmement fragiles, les vitraux sont paradoxalement durables. Bien que le verre se brise facilement, des centaines de verrières d’églises ont plus de 500 ans. La doyenne de France fête ses 900 ans ! À voir dans la cathédrale du Mans.
Comment les vitraux ont-ils survécu à tant de tempêtes, au sens propre comme au figuré ? Les intempéries, telles que la grêle ou le vent, n’ont été que des péripéties mineures comparées aux turbulences de l’histoire. Lorsque les guerres de Religion embrasèrent le royaume de France à partir de 1562, les protestants ravagèrent les églises et, hostiles aux images, s’acharnèrent sur les vitraux. Ils les brisèrent à coups de bâtons ou en visant à l’arquebuse les têtes des personnages.
Après la paix, le clergé ne les remplaça pas toujours. Pire, il en démonta, les jugeant passés de mode. Puis, il y eut les guerres mondiales. Les bombardements firent voler en éclats les verrières. Heureusement, l’État réussit à obtenir en certains lieux leur démontage et leur mise à l’abri le temps du conflit.
Les vitraux survivants n’ont pas toujours bonne mine. Les verres se décomposent naturellement en silicate, ils s’encrassent, brunissent au contact de l’air. Les scènes deviennent illisibles et la lumière ne passe plus. Au même titre que les pierres de l’église ou les peintures, le vitrail nécessite l’intervention de restaurateurs. C’est une grande partie du travail des peintres-verriers aujourd’hui.
Où voir des vitraux ?
On trouve des vitraux anciens dans toute l’Europe, mais la France possède la plus grande surface vitrée au monde (près de 100 000 m²). En affinant la carte, on constate que la moitié nord du pays concentre les plus belles réalisations.
- Cathédrale Notre-Dame de Chartres : C’est le meilleur site pour plonger dans l’atmosphère d’une église médiévale. Le monument conserve environ 75 % de ses vitraux anciens, datant principalement des XIIe et XIIIe siècles. Équipez-vous de jumelles pour les admirer. Sinon regardez les photos commentées de cet article sur les rosaces.
- Sainte-Chapelle de Paris : Située sur l’île de la Cité, la Sainte-Chapelle est un chef-d’œuvre de l’architecture gothique rayonnante. Ses murs semblent être faits plus de verre que de pierre, avec de magnifiques vitraux racontant la Bible et l’histoire des reliques qu’elle abritait : la Couronne d’épines et des morceaux de la Vraie Croix.
- Cathédrale de Bourges : Dirigez-vous en priorité dans le déambulatoire, où au matin, les vitraux du XIIIe siècle scintillent. Au passage, regardez la verrière de l’Annonciation dans une chapelle latérale. Offert par Jacques Cœur, l’argentier du roi Charles VII, il était estimé par l’historien de l’art Émile Mâle comme « chef-d’œuvre des verriers français du XVe siècle ».
- Cathédrale Saint-Étienne de Metz : Surnommée la « Lanterne du Bon Dieu », cette cathédrale est célèbre pour avoir l’une des plus grandes surfaces de vitraux d’Europe (plus d’un demi-hectare !). Les œuvres couvrent une vaste période, du gothique au XXIe siècle, y compris des créations de Marc Chagall.
- Cathédrale de Strasbourg : Lors de ma visite, j’ai beaucoup aimé les vitraux de la nef, allant du XIIe au XIVe siècle.
Plus généralement, visitez deux régions qui ont porté l’art du vitrail à l’excellence : la Normandie (Rouen, Évreux…) et la Champagne (Troyes notamment).
Art du nord plutôt que du sud, le vitrail s’épanouit davantage à l’échelle européenne en Angleterre, en Allemagne, qu’en Espagne ou en Italie. Je vous conseille :
- La cathédrale d’York ou York Minster (Angleterre)
- La cathédrale de Canterbury (Angleterre)
- La cathédrale de Cologne
- La cathédrale de Milan (Duomo)
- La cathédrale de Léon
La prochaine fois que vous verrez des vitraux du Moyen Âge, pensez aux aléas qu’ils ont traversés pour arriver jusqu’à nous. Puis, au lieu de les balayer du regard, arrêtez-vous un instant pour les observer. Je vous ai donné quelques clés de lecture : la ou les couleurs dominantes, la composition, le remplage… Qu’importe si vous n’identifiez pas tout de suite la scène. En lisant régulièrement les articles de ce site ou mon infolettre du dimanche, ce sera de moins en moins un problème.
Laisser un commentaire