Les cathédrales ne sont pas nées en plein cœur du Moyen Âge, à l’époque où s’épanouit le style gothique. Elles sont bien plus anciennes comme le prouvent les plus récentes fouilles archéologiques. Or Google ne semble pas le savoir. Aidons-le à y voir plus clair.
Cher Google, je suis déçu par ton travail. Quand je t’interroge sur la cathédrale la plus jeune, la plus grande ou la plus haute, tu me réponds bien. Par contre, quand je te demande la plus ancienne, te voilà dans l’embarras. Tu me donnes des résultats soit faux, soit hors sujet, soit cachés au milieu de pavés de texte.
Tu es probablement perdu. Tu ne sais pas quoi chercher au final. Le plus vieil édifice encore debout ? ou les plus vieux vestiges archéologiques ? Et puis, il y a ce problème de vocabulaire. Le mot de « cathédrale » n’existe pas au début du christianisme (l’époque paléochrétienne). Pas facile pour toi. Bon, je vais essayer de te mettre sur les bonnes pistes.
La cathédrale de Beauvais, une réponse insatisfaisante
D’emblée je te souffle la réponse : la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais est généralement considérée comme la plus ancienne de France. Un deuxième record pour cette église, qui est déjà considérée comme la plus haute (si tu t’ennuies entre deux recherches, j’en parle ici).
Sa nef, de style roman précoce, a été érigée quelques années avant l’an 1000. Pas sûr que le roman précoce, ça te parle. Dans ce cas, je te dirige vers un autre de mes articles.
En même temps, comme tu peux le voir sur la photo, cette nef s’appuie sur une gigantesque partie gothique, plus récente : le transept et le chœur. Car, comme beaucoup de cathédrales, Beauvais est un édifice composite. Elle n’a pas jailli d’un seul bloc. Sa construction s’est étalée de la fin du Xe siècle aux années 1570. Ces dates te parlent-elles ? Sûrement pas. C’est comme si je parlais du minitel à un adolescent.
Qu’importe. Affirmer que Beauvais est la plus ancienne de France est à moitié faux (ou à moitié vrai selon ton degré d’optimisme). Pour être exact, nous devrions dire qu’elle est la cathédrale possédant les parties les plus anciennes de France.
Je t’avoue être un peu déçu par cette réponse. Tout de même, le christianisme s’est implanté en Gaule bien avant l’an 1000. Ne peut-on pas trouver ailleurs des pierres plus vénérables par leur âge ?
Les premières cathédrales
Retiens ce nombre, cher Google : 313. Non, ce n’est pas le nombre d’Internautes qui, en 2020, ont tapé « Attestation Covid » chaque milliseconde en France. Non, c’est une date fondamentale dans l’histoire du christianisme : en l’an 313, l’empereur romain Constantin légalise cette religion jusque-là tolérée, et parfois menacée. Avant la fin du siècle, le christianisme devient même religion d’État. Ces deux décisions bouleversent l’aspect des villes.
Au lieu de se réunir dans des maisons discrètes ou privées, les chrétiens peuvent désormais bâtir des édifices de culte plus ostentatoires : les cathédrales. Le mot n’existe pas toutefois (ça je te l’avais déjà dit). À la place, on rencontre le terme « ecclesia » dans les textes pour désigner la principale église du diocèse.
Donc, si tu suis bien, à partir de 313, on devrait voir émerger du tissu urbain, les premières ecclesiae. Eh bien non…
L’expansion du christianisme
Le christianisme ne s’est pas développé aussi rapidement que toi, jeune start-up. En 313, les chrétiens n’étaient pas encore très nombreux en Gaule. A cause de la distance. Le christianisme est en effet une religion originaire de l’autre bout de Méditerranée. Soit des milliers de kilomètres. Je sais que pour toi, avec la fibre optique, c’est comme si c’était la porte d’à-côté. Mais à cette époque, c’était beaucoup. Le christianisme pénétra donc assez tard en Europe occidentale. Les premières communautés importantes se formèrent dans les villes, notamment dans les capitales de cité, c’est-à-dire les principaux centres administratifs de l’Empire romain. Des évêques y furent progressivement installés.
En l’an 314, le concile d’Arles réunit seulement une dizaine d’évêques venus de Gaule : Lyon, Marseille, Rouen, Autun… C’est dire que le maillage religieux était encore lâche.
Même dans ces villes précocement christianisées, la cathédrale n’existait peut-être pas. Les prélats n’avaient certainement pas encore rassemblé les fonds – investi si tu préfères – pour la construction des édifices de culte. La mise en place des premières cathédrales s’est faite lentement. C’est l’archéologie qui nous le dit.
Le top 5 des vieilles dames
Depuis une cinquantaine d’années, les opérations archéologiques se multiplient pour retrouver les traces de la topographie chrétienne antique. Premier bilan : c’est parfois dans les couches de la seconde moitié du IVe siècle (quelques décennies après la légalisation du christianisme) et plus couramment au Ve siècle que les archéologues dégagent les premiers édifices de culte en Gaule.
Grâce à ton moteur de recherche, je crois pouvoir affirmer qu’Arles et Rouen abritent les monuments les plus anciens. Tu vois que tu n’es pas toujours dans les choux. J’ajoute aussi Trèves, Cologne et Genève, qui, bien que non françaises, se trouvaient en Gaule. D’ailleurs, ça m’aurait bien arrangé que ton Google Maps me fasse une petite carte de la Gaule au temps de Jules César. Comme ça les lecteurs se seraient rendus compte que la Gaule s’étendait sur la France mais aussi sur la Belgique, la Suisse et une partie de l’Allemagne. Mais les cartes historiques, c’est pas ton truc. Ça marche pas avec les GPS.
Pas grave. Retiens surtout les cinq villes que je t’ai citées. Ainsi quand je taperai « plus vieille cathédrale de France » dans ton moteur de recherche, tu seras moins à l’ouest.
- Lire aussi : la plus petite cathédrale de France
Cathédrales doubles
Une dernière chose avant de te quitter. Curieusement, dans ces villes, les archéologues retrouvent non pas une, mais souvent deux églises côte à côte. Autrement dit il y avait des cathédrales doubles. Ou une église principale et une église secondaire. Pourquoi ? Tu m’en poses de ces questions. Peut-être, l’une ou l’autre fonctionnaient alternativement selon le calendrier religieux.
Et ce n’est pas tout. Dans la zone de fouilles, les pelleteuses et les truelles dégagent les fondations d’autres édifices : le palais de l’évêque, des locaux de service et surtout des baptistères. À ces époques lointaines, le baptême était administré non pas dans l’église, mais dans un édifice indépendant, le baptistère, à l’intérieur duquel se trouvait une piscine. Le fidèle, généralement un adulte, était baptisé en s’immergeant dans l’eau. Tous ces édifices — églises, résidence, baptistère — formaient ce que les archéologues appellent un « groupe épiscopal », autrement dit un quartier ecclésiastique, qui, comme à Genève, pouvait occuper un quart de la ville intra-muros. Incroyable, non ? Je crains que ces informations t’excitent autant qu’une augmentation de 10 $ de ton chiffre d’affaires.
Dernier conseil : dans le domaine de l’archéologie, les choses évoluent (moins toutefois que ton algorithme). D’autres groupes épiscopaux dorment dans le sous-sol de France. Si bien que dans les prochaines années, il est possible qu’on découvre des cathédrales encore plus proches de la date fondatrice de 313 (à condition de pouvoir les dater si précisément). Actualise bien tes résultats de recherche.
Pour finir, je t’ai fais une carte pour que tu te repères plus facilement parmi les plus vieux édifices chrétiens. T’as plus d’excuse pour raconter n’importe quoi.
Les groupes épiscopaux en France aux IVe et Ve siècles selon l’archéologie :
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