La Pentecôte semble oubliée dans l’ombre de Noël, de Pâques et de la Toussaint. Pourtant sa signification religieuse est primordiale dans le christianisme. Comment l’art a-t-il su s’en saisir et lui rendre hommage ?
En août 2020, l’IFOP évalua par sondage la culture chrétienne des Français. À la question, pouvez-vous dire ce que l’on célèbre à la Pentecôte, 82 % des répondants déclarèrent ne pas savoir. Et parmi les « sachants », 4 % donnèrent une mauvaise réponse et 3 % se limitèrent à définir la Pentecôte comme une fête chrétienne. Reconnaissez que ces 3 % ne se sont pas trop mouillés. C’est comme décrire simplement le Titanic comme un bateau qui a eu des problèmes de flottaison.
Parmi les grandes fêtes chrétiennes, Noël, Pâques, Toussaint et même l’Ascension sont plus familiers aux Français.
Ma mission de ce jour spécial (quelle coïncidence incroyable, cet article sort le jour de la Pentecôte !) est de vous éclaircir le sens de cette fête beaucoup plus connue des salariés pour son lundi férié. Ce faisant, vous comprendrez beaucoup mieux ses représentations dans les églises. Les artistes ont réussi à diversifier les formes à donner au sujet. Et même parfois à le rendre énigmatique.
La Pentecôte à la source
Commençons par une courte leçon de catéchisme.
Pentecôte (du grec Pentècosta) signifie cinquantième, car elle se déroule exactement 50 jours après Pâques et donc après la Résurrection du Christ. Que se passe-t-il précisément ? Les Actes des Apôtres, partie du Nouveau Testament, nous le racontent :
Ils [les apôtres] étaient tous ensemble dans le même lieu. Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer.
Après ce miracle, peut commencer l’évangélisation des populations et donc l’expansion du christianisme. D’où l’importance de l’événement.
Le christianisme n’a cependant rien inventé. Chez les Juifs, le jour de la Pentecôte était déjà particulier : il correspondait à une sorte de fête des moissons et était associé à la remise des Tables de la Loi à Moïse sur le mont Sinaï.
Des cérémonies religieuses étranges
Figurant parmi les 5 grandes fêtes chrétiennes, la Pentecôte était particulièrement célébrée. Dans certaines églises, le clergé osait mettre en place un spectacle pyrotechnique que n’aurait pas renié Johnny Hallyday. À Perpignan, un sacristain montait sous le toit de la cathédrale le dimanche de Pentecôte, il y enflammait des bouquets de genêts et les lâchait dans l’église à travers un trou dans la clé de voûte. Les végétaux étaient censés symboliser les langues de feu. On « allumait le feu » aussi dans la cathédrale de Bordeaux, mais en utilisant de l’étoupe (traduction : du grossier fil de chanvre ou de lin).
À Amiens, on était plus prudent : à travers la clé de voûte, on faisait passer un pigeon blanc, censé évoquer l’Esprit saint.
La Pentecôte dans l’art
Vous n’aurez pas de difficulté à reconnaître la scène de la Pentecôte dans les vitraux, dans les sculptures et les peintures des églises. C’est comme une réunion de famille, sauf que des langues de feu tombent sur les invités. Du classique, quoi…
La difficulté pour les artistes était de représenter ces langues. Amusez-vous à observer leur interprétation.
Il y a ceux qui respectent le texte à la lettre. Une flammèche rouge atteint les apôtres.
Aux abonnées de mon infolettre (inscrivez-vous pour voir tout ce que je ne publie pas sur ce blog), j’ai montré il y a quelques mois une curieuse représentation de la scène dans le cloître d’Arles. On dirait un groupe de fêtards faisant la chenille, sous des cotillons. Eh non, ce sont les apôtres qui reçoivent l’Esprit saint sous la forme d’un fil.
Sur le célèbre portail roman de Vézelay, le Christ dispense des rayons de lumière à partir de ses mains. C’est une représentation de la Pentecôte.
Mais il y a aussi des images qui posent problème.
Un vitrail avec des anomalies
Il y a quelques moins, un abonné, Thierry, m’a soumis cette photo prise dans la collégiale Saint-Émilion.
Dans ce vitrail, on reconnaît aisément la Pentecôte grâce aux langues de feu. Thierry attirait cependant mon attention sur plusieurs anomalies. Il compte 11 apôtres seulement et des femmes (Marie et Marie-Madeleine ?). Deux personnages ne reçoivent pas de langues de feu. Parmi eux, un homme en bas à droite qui pourrait être alors saint Émilion ou l’évêque du lieu. Qu’ont-ils fait de mal pour être privés d’Esprit saint ?
Essayons de résoudre ces énigmes. Marie est bien là, vêtue de son manteau bleu. Quand bien même les Actes des Apôtres ne mentionnent pas explicitement sa présence au moment de la Pentecôte. Mais dès le Moyen Âge, les artistes la représentent au milieu des apôtres.
Qui est la deuxième femme à ses côtés ? Marie Madeleine ? Mon dernier article lui était justement dédié. Si vous l’avez bien lu, on ne reconnaît dans ce vitrail aucun attribut propre à Marie-Madeleine, ni l’urne à onguent, ni les cheveux visibles.
Toutefois, n’écartons pas cette identification. Sur ce vitrail, les apôtres n’ont pas plus d’attributs distinctifs. Par exemple, les clés de saint Pierre ne figurent pas.
La présence féminine ne doit pas nous surprendre. Quelques peintures de l’époque baroque et classique en montrent.
Au minimum il faut reconnaître à travers elles Marie et Marie-Madeleine. La tradition répétait qu’elles logeaient les apôtres.
Le dernier intrus
Dans le vitrail de la collégiale de Saint-Émilion, la deuxième anomalie m’interroge davantage. Qui est cet homme sans langue de feu au-dessus de sa tête ? On ne peut pas l’interpréter comme un donateur, à cause de son auréole.
Sinon, est-ce un évêque ou saint Émilion ? Je n’imagine pas l’artiste inclure dans cette scène biblique de tels intrus.
En dépit de l’absence de langue, j’identifie un apôtre. Il est nécessaire pour arriver à 12 apôtres. Avec lui, le compte est bon. Mon hypothèse est incertaine. N’hésitez pas à proposer les vôtres.
En tout cas, mes félicitations : vous faites partie des 18 % de Français qui connaissent le sens de la Pentecôte. C’est aussi rare que ceux qui savent manger avec des baguettes (compétence que j’envie).
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