Joies et peines de la vie des moines au Moyen Âge

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Laurent Ridel

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Découvrir la vie au monastère médiéval, ça vous tente ? Attendez de voir ce que ça implique : adieu sexe, argent, viande et parole ! Heureusement, il y a quelques bons côtés. Alors, prêt à échanger votre vie trépidante contre celle des moines du Moyen Âge ?

Moines en prière devant un autel orné d’une image de la Vierge à l’Enfant. Enluminure du manuscrit Royal 10 E IV, British library

Dans Les Pilliers de la Terre, le romancier Ken Follet résume la vie quotidienne des moines au XIIe siècle à travers les yeux étonnés d’un novice appelé Jack :

« La vie des moines était la plus étrange et la moins naturelle qu’on put imaginer. Les moines passaient la moitié de leur vie à s’imposer des souffrances et un inconfort qu’ils auraient pu facilement éviter, et l’autre moitié à marmonner à toutes les heures du jour et de la nuit des prières dans des églises vides. Ils renonçaient délibérément à tout ce qui était agréable : les filles, le sport, les fêtes et la vie de famille ».

Détaillons ces souffrances et inconforts. Vous conclurez au fait que la vie monacale était encore plus difficile que vous ne le pensiez. Mais elle était parfois enviable selon les normes de l’époque.

Vivre avec une routine, mais en communauté

À la différence aux ermites (des moines solitaires), les moines cénobites vivent en communauté et suivent la règle et les coutumes de leur monastère. Leur vie est donc aussi bien réglementée que l’emploi du temps d’un collégien. Selon la règle la plus courante, la fameuse règle bénédictine, sa journée se partage entre les moments de prière en commun (les offices), le travail et la méditation personnelle des textes religieux. Les cloches du monastère rythment le passage d’un état à l’autre.

La notion de loisirs ou de temps libre échappe donc complètement aux moines. Au contraire, la règle repousse les temps de divagatio (rêverie) selon l’historien Philippe Racinet. L’esprit doit être constamment tourné vers Dieu.

La vie communautaire implique de côtoyer et de collaborer quotidiennement avec des personnes que vous n’avez pas choisies. La communauté devient en effet la nouvelle famille du moine ou de la moniale. Au dortoir, vous devrez donc supporter les ronflements de vos voisins ; au réfectoire, vous devrez faire avec la mauvaise odeur de votre camarade. « L’enfer, c’est les autres », écrivait Sartre.

Si l’incompatibilité devient insupportable, il est peut-être préférable de rejoindre les chartreux, l’un des nombreux ordres religieux nés au Moyen Âge. Dans une chartreuse (leur monastère), chacun vit dans sa propre cellule et y reste cloîtré une grande partie de sa vie. Entre quatre murs, il prie, se nourrit et dort. Les contacts avec les autres sont très limités. Vous pourriez finir par regretter la compagnie de vos compagnons malodorants !

Chartreux au réfectoire
Non, ce n’est pas une réunion du Ku Klux Klan mais des chartreux à table. Peinture de Francisco de Zurbarán (1598–1664, musée des Beaux-Arts de Séville, Wikimedia Commons

Les 3 défis de la vie monastique : les vœux

Qu’il soit chartreux, bénédictin ou autre, le novice devient vraiment moine, une fois avoir embrassé les trois vœux monastiques qui sont comme autant de barrières à l’entrée :

  • La pauvreté
  • La chasteté
  • L’obéissance

Ce dernier vœu signifie notamment que le moine se soumet entièrement à l’autorité de l’abbé ou de l’abbesse qui devient son tuteur (abbas signifie père en latin). C’est lui ou elle qui attribue les tâches de la journée à chacun, qui autorise les rares sorties en dehors du monastère et qui sanctionne les manquements à la règle.

Cette obéissance est considérée comme une vertu essentielle dans la vie monastique, car elle permet de maintenir l’ordre et l’harmonie au sein de la communauté. Le moine doit accepter les tâches qui lui sont assignées sans se plaindre, même si elles sont difficiles ou pénibles. Par l’obéissance, il cultive l’humilité, une vertu très appréciée dans la religion chrétienne.

L’autorité de l’abbé s’avère parfois insupportable. Les archives judiciaires nous révèlent quelques vengeances. Au sein des monastères, le supérieur est en effet la cible principale des homicides ou tentatives de ses « fils » ou « filles ». L’historienne Nicole Gontier relève en 1399 la condamnation à l’emprisonnement de trois moines de l’abbaye Saint-Clément de Metz, coupables d’avoir tenté « d’enherber » leur abbé. Enherber ? Un verbe qui signifie probablement l’empoisonnement par des herbes. Experts en plantes médicinales, les moines connaissaient sûrement leur utilisation malveillante.

abbé et saint Antoine
Identifiable par sa clochette, saint Antoine invite un abbé à ne pas être aussi sévère. Enluminure du manuscrit Jean Mansel, Fleur des histoires, Français 299, Gallica/BNF

Ce cas extrême de vengeance ne doit pas vous laisser imaginer le monastère comme un Squid Game où les joueurs s’éliminent jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Dans un monde médiéval brutal et guerrier, les monastères sont généralement des îlots de tranquillité.

Des moines chastes et pauvres, en théorie

Cependant, pour rejoindre cette paisible communauté, il faut en accepter le principe de la chasteté, le 2e vœu d’entrée en religion. À l’époque, les mentalités cléricales considèrent la sexualité comme une souillure qui éloigne de la pureté divine. En renonçant au sexe, le moine se rapproche de Dieu et se concentre sur la prière et la méditation.

moine tentée par la luxure
Moine tenté par sa parente. Enluminure extraite de Vie des saints Pères, version anonyme, manuscrit Français 24947, XIVe siècle (2e moitié), Gallica/BNF

Malgré cette condamnation, moines et moniales connaissent des moments de faiblesse. Dans les jugements pour fornication, les femmes sont plus condamnées que les hommes. Non pas parce que les juges — tous masculins — sont cruels envers le sexe dit faible. Mais parce que la culpabilité des femmes est plus facile à établir : une grossesse ne trompe personne.

Enfin, le religieux ou la religieuse doit prononcer le vœu de pauvreté en entrant au monastère. Ils renoncent donc à tous leurs biens, qu’ils s’agissent de terre, d’objet, ou d’argent. Il abandonne jusqu’à ses vêtements laïques. Soyez rassuré : grâce aux nombreux dons reçus, le monastère assure néanmoins l’habit, le gîte et le couvert. La pauvreté des moines et moniales est donc toute relative. Même en période de famine ou de disette, la table monacale est abondamment remplie. Justement puisqu’on parle nourriture…

Manger au monastère

Heureux les végétariens, car ils seront comblés. Chez les cisterciens, la viande est interdite. Chez les autres bénédictins, elle est limitée. On tolère la consommation de volailles, mais beaucoup moins le porc ou le bœuf. Avec les siècles, le régime alimentaire s’assouplit.

À côté de l’incontournable pain, les plats sont souvent à base d’« herbes » et de « racines » ! Deux ingrédients qui ne feront pas saliver la plupart d’entre nous. Cependant, entendez par racines, tous les légumes qui poussent dans la terre (navets, bettes, carottes, oignons…) et par herbes tout ce qui pousse immédiatement au-dessus du sol (poireau, fèves, pois…). Le panier du moine est donc assez varié. Mais pas de pomme de terre. Originaire d’Amérique du Sud, elle n’est implantée en France qu’au XVIIIe siècle. En résumé, oubliez le steak-frites servi à la table monacale.

Moines au réfectoire
Moines au réfectoire. La table est garnie de pains et peut-être d’assiettes dans lesquelles les moines semblent prendre des fruits. A gauche, l’abbé de Cluny Odilon. Même le chien a sa ration. Enluminure du XVe siècle, extraite du « Speculum historiale”” (ms. 1196, fol. 141 v.) par Vincent de Beauvais, Musée du château de Chantilly.

Pendant les 40 jours du carême, les estomacs doivent se contenter d’un seul repas par jour. La vie monastique est clairement une vie de privations et de renonciation.

La loi du silence règne chez les moines

Les repas se déroulent sans parler. Seule s’entend la voix du moine lecteur qui, de sa chaire, nourrit les attablés d’extraits d’un livre religieux. Ayez une pensée pour ce lecteur qui voit ses camarades manger pendant qu’il lit. Personne n’aborde ce genre d’injustice ! (edit : un abonné me signale que le chapitre 38 de la règle bénédictine, permet au lecteur de boire avant sa lecture et de manger après le départ des moines. Me voilà soulagé).

Nonnes et moines
Nonnes et moines. Ne pensez pas à mal. Ils semblent partager la communion. Je crois en effet apercevoir un calice et une hostie. Lettrine enluminée, Egerton 945, British Library (XIIIe siècle)

Dans les monastères bénédictins, le silence s’étend à d’autres secteurs du monastère. On ne parle pas dans le cloître, dans l’église ou le dortoir. Ailleurs, les échanges se font à voix basse. En cas de nécessité, les moines s’adressent par signes à leurs voisins. Je ne sais pas si cette limitation de la parole les gênait beaucoup. Par contre, l’ambiance au monastère nous reposerait probablement. Du bruit de la circulation au son de la télévision, nous vivons dans un monde cacophonique. C’est pourquoi il y a en partie tant de lieux de retraite spirituelle aujourd’hui.

Sinon, vivre comme des moines du Moyen Âge semble un peu trop dur et austère pour la majorité d’entre nous, à moins d’avoir la vocation. N’oubliez pas, qu’en plus, tout manquement à la règle est sanctionné. Le lendemain, dans la salle du chapitre, vous devrez confesser devant les autres votre faute. Il vous en coûtera d’être fouetté. L’abbé arrêtera les coups après avoir estimé que vous avez reçu votre compte. Qu’on ne s’étonne que des abbés finissent enherbés.

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L’AUTEUR

Laurent Ridel

Ancien guide et historien, je vous aide à travers ce blog à décoder les églises, les châteaux forts et le Moyen Âge.

Ma recette : de la pédagogie, beaucoup d’illustrations et un brin d’humour.

Laurent Ridel

14 réponses à “Joies et peines de la vie des moines au Moyen Âge”

  1. Avatar de Sylvia

    Passionnant, merci !

  2. Avatar de MICHON
    MICHON

    Beau travail ….. on apprend plein de choses …. MERCI

  3. Avatar de PF
    PF

    Merci pour votre analyse et l’iconographie qui l’accompagne, fort intéressante. Très instructif également (et assez sidérant) sur la vie des moines (en l’espèce, les moniales), même si c’est à une époque beaucoup plus récente, mais certaines règles semblent avoir traversés les époques, le film « Au risque de se perdre » avec Audrey Hepburn.

  4. Avatar de ljjy.Galactus
    ljjy.Galactus

    Finalement, je ne serai pas moine, je préfèrerai presque la prison… enfin, je pense qu’a l’époque ce devait être pire encore !

  5. Avatar de Passard
    Passard

    Merci beaucoup votre document m’arrive juste à propos, je revisite actuellement l’origine du christianisme et cet article abonde d’informations.
    Christiane P.

  6. Avatar de Got Francine
    Got Francine

    Merci Laurent pour votre riche travail

  7. Avatar de YANNICK CANOT
    YANNICK CANOT

    Ken Follet , à travers Jack, parle de sport . Cette notion de plaisir par le sport existait déjà au moyen âge ?

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Même si le romancier emploie un terme anachronique, il y a bien du sport : la soule ou le tournoi par exemple.

  8. Avatar de VILLEBOEUF Renée
    VILLEBOEUF Renée

    Bien Laurent Ridel pour cette étude détaillée; finalement on pourrait penser à un côté sectaire, même les biens de leurs parents sont pris !

  9. Avatar de Grégory
    Grégory

    Très bien réalisé? Merci à vous pour votre travail

  10. Avatar de HENNEBERT
    HENNEBERT

    Beau résumé sur les monastères et les moines, pour moi il manque que les moines étaient partagés en deux « niveaux » ceux se vouaient à Dieu totalement et avaient les tâches spirituelles, et ceux qui oeuvraient pour assurer les tâches quotidiennes, constructeur, jardinier etc.) tout en étant dans une vie de renonciation …

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Les moines bénédictins sont bien partagés en deux niveaux mais pas ceux auxquels vous pensez. Il y a les officiers (prieur, chantre, cellerier…) et les simples moines. La distinction que vous mettez en avant est la différence entre les moines et les serviteurs laïcs (dont le groupe des convers) mais ces derniers, affectés aux travaux domestiques et agricoles, ne sont pas moines.

  11. Avatar de André Singer
    André Singer

    Merci pour ce travail. Une précision peut-être : les moines sont des laïcs (les convers comme les autres) sauf ceux qui sont ordonnés prêtres. Ils sont alors clercs. Certains moines tiennent à rester laïcs. Chez les moines bénédictins, le travail manuel étant très important (cf. la règle de saint Benoit) la majorité des moines étaient laïcs, donc non clercs, non-prêtres.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Votre remarque me permet de donner quelques précisions. Dès le XIIe siècle, à cause de la multiplication des messes privées, les moines, au moins chez les bénédictins clunisiens, sont quasiment tous prêtres, donc ne sont plus laïques. De plus, je trouve votre définition du clerc restreinte. On ne devient pas clerc simplement en devenant prêtre. Des ordres inférieurs (portier, acolyte, chantre, diacre…) donnent le statut de clerc.

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