Découvrir la vie au monastère médiéval, ça vous tente ? Attendez de voir ce que ça implique : adieu sexe, argent, viande et parole ! Heureusement, il y a quelques bons côtés. Alors, prêt à échanger votre vie trépidante contre celle des moines du Moyen Âge ?
Dans Les Pilliers de la Terre, le romancier Ken Follet résume la vie quotidienne des moines au XIIe siècle à travers les yeux étonnés d’un novice appelé Jack :
« La vie des moines était la plus étrange et la moins naturelle qu’on put imaginer. Les moines passaient la moitié de leur vie à s’imposer des souffrances et un inconfort qu’ils auraient pu facilement éviter, et l’autre moitié à marmonner à toutes les heures du jour et de la nuit des prières dans des églises vides. Ils renonçaient délibérément à tout ce qui était agréable : les filles, le sport, les fêtes et la vie de famille ».
Détaillons ces souffrances et inconforts. Vous conclurez au fait que la vie monacale était encore plus difficile que vous ne le pensiez. Mais elle était parfois enviable selon les normes de l’époque.
Vivre avec une routine, mais en communauté
À la différence aux ermites (des moines solitaires), les moines cénobites vivent en communauté et suivent la règle et les coutumes de leur monastère. Leur vie est donc aussi bien réglementée que l’emploi du temps d’un collégien. Selon la règle la plus courante, la fameuse règle bénédictine, sa journée se partage entre les moments de prière en commun (les offices), le travail et la méditation personnelle des textes religieux. Les cloches du monastère rythment le passage d’un état à l’autre.
La notion de loisirs ou de temps libre échappe donc complètement aux moines. Au contraire, la règle repousse les temps de divagatio (rêverie) selon l’historien Philippe Racinet. L’esprit doit être constamment tourné vers Dieu.
La vie communautaire implique de côtoyer et de collaborer quotidiennement avec des personnes que vous n’avez pas choisies. La communauté devient en effet la nouvelle famille du moine ou de la moniale. Au dortoir, vous devrez donc supporter les ronflements de vos voisins ; au réfectoire, vous devrez faire avec la mauvaise odeur de votre camarade. « L’enfer, c’est les autres », écrivait Sartre.
Si l’incompatibilité devient insupportable, il est peut-être préférable de rejoindre les chartreux, l’un des nombreux ordres religieux nés au Moyen Âge. Dans une chartreuse (leur monastère), chacun vit dans sa propre cellule et y reste cloîtré une grande partie de sa vie. Entre quatre murs, il prie, se nourrit et dort. Les contacts avec les autres sont très limités. Vous pourriez finir par regretter la compagnie de vos compagnons malodorants !
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Les 3 défis de la vie monastique : les vœux
Qu’il soit chartreux, bénédictin ou autre, le novice devient vraiment moine, une fois avoir embrassé les trois vœux monastiques qui sont comme autant de barrières à l’entrée :
- La pauvreté
- La chasteté
- L’obéissance
Ce dernier vœu signifie notamment que le moine se soumet entièrement à l’autorité de l’abbé ou de l’abbesse qui devient son tuteur (abbas signifie père en latin). C’est lui ou elle qui attribue les tâches de la journée à chacun, qui autorise les rares sorties en dehors du monastère et qui sanctionne les manquements à la règle.
Cette obéissance est considérée comme une vertu essentielle dans la vie monastique, car elle permet de maintenir l’ordre et l’harmonie au sein de la communauté. Le moine doit accepter les tâches qui lui sont assignées sans se plaindre, même si elles sont difficiles ou pénibles. Par l’obéissance, il cultive l’humilité, une vertu très appréciée dans la religion chrétienne.
L’autorité de l’abbé s’avère parfois insupportable. Les archives judiciaires nous révèlent quelques vengeances. Au sein des monastères, le supérieur est en effet la cible principale des homicides ou tentatives de ses « fils » ou « filles ». L’historienne Nicole Gontier relève en 1399 la condamnation à l’emprisonnement de trois moines de l’abbaye Saint-Clément de Metz, coupables d’avoir tenté « d’enherber » leur abbé. Enherber ? Un verbe qui signifie probablement l’empoisonnement par des herbes. Experts en plantes médicinales, les moines connaissaient sûrement leur utilisation malveillante.
Ce cas extrême de vengeance ne doit pas vous laisser imaginer le monastère comme un Squid Game où les joueurs s’éliminent jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Dans un monde médiéval brutal et guerrier, les monastères sont généralement des îlots de tranquillité.
Des moines chastes et pauvres, en théorie
Cependant, pour rejoindre cette paisible communauté, il faut en accepter le principe de la chasteté, le 2e vœu d’entrée en religion. À l’époque, les mentalités cléricales considèrent la sexualité comme une souillure qui éloigne de la pureté divine. En renonçant au sexe, le moine se rapproche de Dieu et se concentre sur la prière et la méditation.
Malgré cette condamnation, moines et moniales connaissent des moments de faiblesse. Dans les jugements pour fornication, les femmes sont plus condamnées que les hommes. Non pas parce que les juges — tous masculins — sont cruels envers le sexe dit faible. Mais parce que la culpabilité des femmes est plus facile à établir : une grossesse ne trompe personne.
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Enfin, le religieux ou la religieuse doit prononcer le vœu de pauvreté en entrant au monastère. Ils renoncent donc à tous leurs biens, qu’ils s’agissent de terre, d’objet, ou d’argent. Il abandonne jusqu’à ses vêtements laïques. Soyez rassuré : grâce aux nombreux dons reçus, le monastère assure néanmoins l’habit, le gîte et le couvert. La pauvreté des moines et moniales est donc toute relative. Même en période de famine ou de disette, la table monacale est abondamment remplie. Justement puisqu’on parle nourriture…
Manger au monastère
Heureux les végétariens, car ils seront comblés. Chez les cisterciens, la viande est interdite. Chez les autres bénédictins, elle est limitée. On tolère la consommation de volailles, mais beaucoup moins le porc ou le bœuf. Avec les siècles, le régime alimentaire s’assouplit.
À côté de l’incontournable pain, les plats sont souvent à base d’« herbes » et de « racines » ! Deux ingrédients qui ne feront pas saliver la plupart d’entre nous. Cependant, entendez par racines, tous les légumes qui poussent dans la terre (navets, bettes, carottes, oignons…) et par herbes tout ce qui pousse immédiatement au-dessus du sol (poireau, fèves, pois…). Le panier du moine est donc assez varié. Mais pas de pomme de terre. Originaire d’Amérique du Sud, elle n’est implantée en France qu’au XVIIIe siècle. En résumé, oubliez le steak-frites servi à la table monacale.
Pendant les 40 jours du carême, les estomacs doivent se contenter d’un seul repas par jour. La vie monastique est clairement une vie de privations et de renonciation.
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La loi du silence règne chez les moines
Les repas se déroulent sans parler. Seule s’entend la voix du moine lecteur qui, de sa chaire, nourrit les attablés d’extraits d’un livre religieux. Ayez une pensée pour ce lecteur qui voit ses camarades manger pendant qu’il lit. Personne n’aborde ce genre d’injustice ! (edit : un abonné me signale que le chapitre 38 de la règle bénédictine, permet au lecteur de boire avant sa lecture et de manger après le départ des moines. Me voilà soulagé).
Dans les monastères bénédictins, le silence s’étend à d’autres secteurs du monastère. On ne parle pas dans le cloître, dans l’église ou le dortoir. Ailleurs, les échanges se font à voix basse. En cas de nécessité, les moines s’adressent par signes à leurs voisins. Je ne sais pas si cette limitation de la parole les gênait beaucoup. Par contre, l’ambiance au monastère nous reposerait probablement. Du bruit de la circulation au son de la télévision, nous vivons dans un monde cacophonique. C’est pourquoi il y a en partie tant de lieux de retraite spirituelle aujourd’hui.
Sinon, vivre comme des moines du Moyen Âge semble un peu trop dur et austère pour la majorité d’entre nous, à moins d’avoir la vocation. N’oubliez pas, qu’en plus, tout manquement à la règle est sanctionné. Le lendemain, dans la salle du chapitre, vous devrez confesser devant les autres votre faute. Il vous en coûtera d’être fouetté. L’abbé arrêtera les coups après avoir estimé que vous avez reçu votre compte. Qu’on ne s’étonne que des abbés finissent enherbés.
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