Les récents incendies des cathédrales de Paris et de Nantes rappellent que les grands monuments ne sont pas à l’abri de la destruction. L’histoire est jalonnée d’églises dévorées par le feu. Récit de ces catastrophes à Nantes (déjà), Chartres, Rouen, Reims….
Robustes, choyées et surveillées, les cathédrales semblent destinées à franchir les siècles et tenir aussi longtemps que les pyramides d’Égypte. Le passé démontre malheureusement que les chefs-d’œuvre gothiques ne sont pas invulnérables. Depuis leur construction, le feu est leur meilleur ennemi, qu’il vienne du ciel, de l’imprudence humaine ou de la malveillance.
La faute aux ouvriers
L’incendie, les Nantais connaissent bien. Avant le récent sinistre du 18 juillet 2020, le feu s’était déjà déclenché dans leur cathédrale en plein jour : c’était le 28 janvier 1972. Les pompiers ne maîtrisèrent les flammes qu’après cinq heures de lutte, laissant la toiture totalement détruite. Le soir de la catastrophe, un homme dut se cacher sous les draps : le couvreur qui avait omis d’éteindre son chalumeau. Petite erreur, grande conséquence : les dégâts furent tels que la cathédrale ne rouvrit au culte que 3 ans plus tard.
Ce type d’imprudence n’a rien d’original. Au XVIIe siècle, on en connaît un exemple. Travaillant sur la cathédrale de Bayeux, un ouvrier, nous raconte un chroniqueur, a laissé sur place son réchaud en quittant son chantier. Le lendemain, le toit au-dessus de la nef et de la tour centrale avait disparu.
Le talon d’Achille des cathédrales : les toitures
Même cause à Chartres, le 4 juin 1836. Dans les combles, des ouvriers ont laissé leur réchaud sans surveillance. Le vent a sans doute jeté une étincelle au milieu de la charpente, créant un départ de feu. À la vue des flammes, on sonne immédiatement le tocsin. Le clergé évacue de l’église les reliques, les ornements liturgiques et les tableaux. Les gargouilles crachent du plomb fondu. Les pompiers grimpent sur le toit pour éteindre l’incendie. Ils sauvent l’intérieur du monument, mais pas les combles complètement dévastés.
La toiture est toujours le talon d’Achille d’une église. La charpente constitue une forêt de bois secs prêts à s’enflammer à la moindre étincelle. Or, s’y trouvent souvent des artisans soudants pour réparer les gouttières ou les couvertures métalliques (beaucoup de cathédrales sont couvertes de cuivre ou de plomb). Une source de danger.
Autrement dit, dès qu’une toiture est en travaux, qu’on soit au Moyen Âge ou au XXIe siècle, il y a un risque pour le monument.
Incendies volontaires
Les cathédrales se retrouvent parfois au cœur de guerre et de conflits. Elles n’en ressortent pas indemnes.
En septembre 1914, au début de la Première Guerre mondiale, les Allemands bombardent la ville de Reims. Ils semblent néanmoins faire attention à ne pas viser le plus célèbre monument de la ville : la cathédrale Notre-Dame. Mais, après plusieurs jours, leur intention change ou la précision de leur tir se relâche. Le 19 septembre, un obus frappe un échafaudage qui enveloppe la tour nord. Dans cet assemblage de poutres, le feu se déclenche, s’étend au beffroi qui soutient les cloches puis se communique à la toiture. Le chêne de la charpente alimente le brasier.
L’événement connaît un retentissement mondial : les Allemands ont osé s’attaquer à un chef-d’œuvre de la chrétienté, l’église du sacre. Jugé comme un crime de guerre, l’incendie de Reims servira à la propagande alliée pour démontrer la barbarie de l’ennemi.
En 1112, les habitants de Laon sont en colère contre leur évêque Gaudry qui veut leur faire payer un nouvel impôt. La foule de vignerons, d’artisans et de boutiquiers se dirige vers le palais épiscopal. L’évêque et son archidiacre fuient vers la cathédrale pour se réfugier dans la crypte. Un serviteur les dénonce. Attrapés, les deux dignitaires religieux sont mis à mort. Ces meurtres ne calment pas les Laonnois. Ils finissent par mettre le feu au palais épiscopal, à la maison de l’archidiacre et… à la cathédrale. Le caractère sacré d’un tel édifice ne suffit pas toujours à arrêter les esprits les plus échauffés.
La colère du ciel : la foudre
Cependant, la principale cause des anciens incendies n’est pas à rechercher chez les humains, mais plutôt dans la météo. Combien de chroniques recensent des clochers frappés par la foudre et qui s’embrasent devant la foule impuissante ! La flèche de la cathédrale de Limoges est foudroyée en 1483, reconstruite, puis à nouveau touchée presque cent ans plus tard. Face à cette nouvelle catastrophe, les chanoines ne s’entêtent pas : l’édifice ne sera plus dominé que par un toit plat.
À Rouen, le gouvernement, chargé de la restauration de la cathédrale Notre-Dame, se montre moins défaitiste qu’à Limoges. En 1822, un éclair a raison de la très haute flèche en bois, couverte de plomb. Flèche qui remplaçait une précédente dévorée par un incendie. Devinez la cause : encore des ouvriers plombiers en train de souder. Après tant de malheurs, la nouvelle flèche de Rouen fut créée en fonte sur une idée de l’architecte Alavoine. Une garantie de préservation (et un record à la clé). Depuis, elle domine invincible, le ciel normand. Enfin, presque invincible : en 1999, la grande tempête a fait chuter un des quatre clochetons de ce chef-d’œuvre métallique. À défaut de feu, gare au vent !
De toute façon, les cathédrales ne craignent plus la foudre : depuis l’invention et la mise en place de paratonnerre, elles sont protégées.
Au Moyen Âge, les gens voient l’orage dévastateur comme un châtiment divin. Certaines langues interprètent le foudroiement de la cathédrale Notre-Dame du Puy en 1250-1251 comme une sanction contre l’utilisation détournée de l’édifice : elle sert de discret lieu de rencontre à deux amants adultères.
La faute à pas de chance
Les incendies sont parfois déclenchés par un enchaînement inattendu de circonstances. Le dimanche 6 mai 1877, l’empereur d’Allemagne Guillaume Ier visite Metz. C’est la première fois qu’il se rend en Alsace-Lorraine, province qu’il vient d’arracher à la France à la suite de la guerre de 1870-1871.
Pour fêter le visiteur, un feu d’artifice est tiré par les employés municipaux. Une fusée tombe sur le toit de la cathédrale, provoquant un incendie qui ravage l’ensemble de la charpente. Désolé, l’empereur se fera un devoir de financer les travaux de restauration de ce monument réputé être « la lanterne de Dieu« .
Les cathédrales phœnix
Les incendies font partie de l’histoire tumultueuse des cathédrales. Au même titre que les éboulements engendrés par des défauts de construction ou par des tremblements de terre. Au même titre que les minages d’édifices religieux pendant les guerres de Religion ou le vandalisme à l’égard des statues pendant la Révolution.
Du sinistre qui vient d’affecter la cathédrale de Paris, on peut espérer qu’elle en sorte plus belle malgré les pertes irrémédiables. Après l’incendie de 1972, la cathédrale Saint-Pierre de Nantes a bénéficié d’une restauration complète et d’un nettoyage de ses pierres. Aujourd’hui, le monument resplendit de blancheur.
Pour se consoler, on doit enfin se rappeler que c’est après avoir été ravagées par le feu que les superbes cathédrales gothiques de Reims, d’Amiens et de Chartres ont vu le jour aux XIIe et XIIIe siècles. Comme chez le phœnix, souhaitons que les flammes soit régénératrices.
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