Est-ce un château, un manoir ou une maison forte ?

Dans la hiérarchie des habitats, vous placerez sans hésiter le château au-dessus du manoir. Mais vous serez peut-être moins assurés pour expliquer leur différence. Et puis, la maison forte, à quel rang se place-t-elle ?

Dans les paysages de nos campagnes sont disséminés châteaux, manoirs et maisons fortes. Toute une gamme d’habitats aristocratiques dont la différence reste floue. Oui, le manoir est plus modeste que le château. Mais ensuite… Certains propriétaires contribuent à cette confusion en qualifiant de château ce qui paraît juste une belle demeure champêtre.

Manoir du Vièvre
Manoir ou château ? Manoir du Vièvre à Saint-Etienne-l’Allier (Eure), XVIe siècle

Le problème se situe à la racine : les textes anciens ne précisent pas le sens de ces termes. Les historiens, les archéologues et les castellologues (les spécialistes des châteaux) essaient de les définir, mais ils ne tombent pas forcément d’accord selon le point de vue qu’ils adoptent (juridique ou architectural).

À mes risques et périls et au prix d’inévitables simplifications, je vais tenter d’éclaircir ce débat pour que vous puissiez distinguer dans vos balades les trois principaux types de demeures aristocratiques.

Le château, une définition changeante

Au Moyen Âge, c’est la demeure puissamment fortifiée d’un seigneur. Son accès est rendu difficile par la hauteur du site ou par des obstacles défensifs tels que des fossés, des murailles, des tours, voire un pont-levis.

Château de Suscino
Château de Suscino (Morbihan)

Pour les périodes postérieures au Moyen Âge, cette définition perd de sa vérité. Les nouveaux châteaux se dépouillent de leurs défenses : ils se cantonnent à une fonction résidentielle. Chambord, Chenonceaux, Versailles ne sont pas conçus pour résister à une armée. Pas même à un seul homme, comme l’actualité vient d’en donner la preuve :

Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2020, un homme a réussi à s’introduire dans le château de Versailles, en escaladant le mur d’enceinte puis en cassant une vitre. Habillé d’un drap, il se prenait pour le roi et voulait regagner son palais ! En tout cas, c’est ce qu’il a déclaré aux policiers accourus pour l’arrêter.

Bref, le château de Versailles, comme les demeures aristocratiques contemporaines, n’est pas une forteresse. Au XIXe siècle, il a fallu donner un nom plus précis aux anciens châteaux pour les distinguer de ces châteaux ouverts. Ce fut « château fort » ! Eh oui, cette expression, loin d’être médiévale, est assez récente.

Au XIXe siècle, la définition de château ne cesse de se diluer. Elle s’étend aux grandes propriétés que la bourgeoisie élève à la campagne pour matérialiser sa réussite sociale. Cette construction prestigieuse est un moyen de montrer son intégration à l’élite. Le château n’est plus l’attribut exclusif des princes, de la noblesse ou des seigneurs.

château d'Artigny
Le château d’Artigny (Indre-et-Loire), construit entre 1912 et 1932 pour le parfumeur François Coty (DDupart, Wikimedia Commons)

La maison forte, le retour en grâce

Vous n’en avez pas entendu parler ? C’est normal. Depuis seulement quelques décennies, les historiens et les archéologues réhabilitent l’expression. Ils ne font que reprendre des mots déjà employés au Moyen Âge sous la forme latine « domus fortis » (du latin dans un article, ça fait sérieux 🙂 ).

Les premières maisons fortes naissent dans le dernier tiers du XIIe siècle. À cette époque, les chevaliers, qui vivaient jusque-là dans le château de leur seigneur, commencent à réclamer leur propre demeure. De même les cadets des familles nobles et les écuyers (le rang le plus bas de la noblesse).

Peu à peu s’élèvent à destination de cette petite aristocratie des maisons fortes. Ces résidences ne présentent pas les mêmes capacités défensives que les châteaux. Déjà par manque de moyens, mais aussi parce que les seigneurs dont ces petits nobles dépendent leur interdisent. Pas question que ces maisons fortes deviennent des pôles de résistance ou rivalisent au moins symboliquement avec les châteaux. Elles doivent rester des fortifications secondaires.

La maison forte de Mornay
La maison forte de Mornay (Cher), et son enceinte circulaire, milieu du XIIIe siècle (Chatsam, Wikimedia Commons)

Elles peuvent posséder un fossé (mais pas trop profond) et une enceinte (mais en bois, sinon un mur pas trop épais). La tour laisse parfois place à des tourelles. Un dispositif suffisant pour tenir face à un groupe de brigands, mais pas plus.

Le manoir, une résidence réservée au nord-ouest

Selon l’historienne de l’art Isabelle Lettéron, « ce titre est généralement accordé à des demeures rurales, d’une certaine importance, n’ayant pas de réelle vocation défensive, mais associant l’activité agricole à la fonction résidentielle ». Autrement dit, le manoir n’est pas fortifié ou à peine (à la différence du château et de la maison forte) ; les bâtiments d’exploitation tels que les granges, les écuries ou le colombier voisinent immédiatement le manoir.

Cette définition a le mérite d’être simple à défaut d’être parfaitement exacte. Les historiens pointeront le fait qu’au Moyen Âge, le terme désigne moins un édifice que la terre sur laquelle il est bâti. Certains chercheurs ont même établi que d’une région à l’autre, le sens diffère. Enfin les plus observateurs d’entre vous auront noté que des manoirs se trouvent aussi en ville !

Manoir à Montreuil-en-Auge
Manoir à Montreuil-en-Auge (Calvados). En Normandie, les manoirs sont souvent composites dans leurs matériaux.

Bref, c’est à ne plus rien y comprendre (moi le premier). L’évolution lexicale de ces derniers siècles n’arrange pas les choses. Comme le château, le terme de « manoir » a fini par s’appliquer à des demeures non nobles. Aujourd’hui il peut désigner une belle maison présentant un cachet ancien et pittoresque.

L’expression reste toutefois cantonnée au nord-ouest de la France (Normandie, Bretagne, Maine, vallée de la Loire) et à l’Angleterre. En Provence, on parlera par exemple de bastide.

En résumé

Ne quittez pas cet article, les idées brumeuses. Si je me cantonne à la période médiévale, je pourrais expliquer les choses ainsi :

Le château est une demeure seigneuriale puissamment fortifiée, la maison forte l’est un peu moins et le manoir, peu ou pas du tout. À partir de la Renaissance, je ne réponds plus de rien. Par contre, vous, si vous répondez de quelque chose, dites-le en commentaire.

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15 Responses

  1. jm bezard dit :

    encore de belles explications,je vais m’y retrouver un peu mieux,quoique ne visitant les belles demeures que par hazar beaucoup plus friand
    du patrimoine religieux
    C’est toujours un plaisir le dimanche de commencer la journée à vous lire!

  2. Merci pour ces explications très claires comme toujours. Ce petit moment d’évasion fait du bien en ces temps de confinement

  3. Christine LeMaur dit :

    Voici encore un très bel article ! Merci beaucoup ! Pour aller un peu plus loin, que dire des fermes fortifiées, des logis (surtout en Vendée) ? Voici de quoi vous taquiner un peu Laurent ! Bon dimanche à vous !

  4. Jean-Yves Le Trétollec dit :

    Bonjour Laurent, il y a un sujet lié à ce post qui est l’ouverture pour porte et fenêtre dans la maçonnerie qui n’est pas abordé à moins qu’il en soit un futur sujet, l’impôt sur « l’air et la lumière ». Je ne veux pas dire que toutes les ouvertures que l’on voit murées sont dût à ce fait, mais que selon les époques dites « de guerre ou de paix », certains murs fortifiés se voyaient percées pour y placer des fenêtres et portes . Ces changements de façades ont certainement contribués à la déclassification terminologique de certains ouvrages.
    Merci pour ce travail.

    • Laurent Ridel dit :

      C’est une piste de recherche intéressante que je n’ai pas exploré. Je suppose que des archéologues du bâti connaîtraient mieux le sujet.

  5. montembault yves dit :

    Bonjour et merci pour la pertinence et la qualité de vos articles ! je m’intéresse aux colombiers à travers les ages avez vous d’autres informations que celles que je connais déjà à travers des ouvrages …. bonne journée .Yves.

  6. Bonnefoi Françoise dit :

    Je pense que d’ une manière assez simpliste , dans nos provinces et villages , on appelle château une belle demeure , plus grande et plus haute , en pierres de plus bel appareil que les maisons du village , avec une ou plusieurs tours et une entrée imposante .
    Au Moyen Age , on parle de château-fort , qui a d’ ailleurs succédé à la motte défensive ou motte féodale , en général élevé sur une hauteur d’ où l’ on peut voir venir l’ ennemi . Beaucoup de ces châteaux ont été au 16ème siècle accommodés à la mode Renaissance pour les rendre plus agréables à vivre , en créant de hautes fenêtres et des terrasses . Ils comportent donc des parties moyenâgeuses et d’ autres renaissantes , comme certains châteaux de la Loire ; ainsi sont Blois et Chaumont ; d’ autres comme Chenonceau et Chambord sont de purs produits de la Renaissance .
    A propos de Versailles , je sais que l’ on dit  » château  » , mais moi , pour diverses raisons , je l’ appellerais plutôt  » palais .

    Quant aux manoirs ….ah , c’ est mon rêve de vivre dans un petit manoir !

    PS je suis comme Cyrano , je pourrais bien d’ autres choses encore , en variant le ton ! hihihi
    Merci pour tous ces articles . j’ aimerais bien répondre plus souvent , mais la fatigue m’ en empêche parfois .
    Françoise

  7. Yves dit :

    Un article qui résume bien les différences. Mais la référence aux châteaux forts existe bien à l’époque médiévale sous l’appellation de « fort chastel »
    Bien cordialement
    Yves

    • Laurent Ridel dit :

      Vous avez raison. Au milieu du XIVe siècle apparaît l’expression « fort chastel ». Cependant, « fort » n’y est qu’un simple adjectif. En d’autres termes « fort chastel » désigne un château fort particulièrement redoutable alors que « château fort » est un nom composé pour désigner une catégorie de châteaux.

  8. Henry dit :

    Et vous breton ! Que n’avez-vous pas évoqué les Malouinieres ? Splendides demeures apparentées aux châteaux, et manoirs .
    N’est-ce pas ?
    Bravo pour votre article

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