Dans la hiérarchie des habitats, vous placerez sans hésiter le château au-dessus du manoir. Mais vous serez peut-être moins assurés pour expliquer leur différence. Et puis, la maison forte, à quel rang se place-t-elle ?
Dans les paysages de nos campagnes sont disséminés châteaux, manoirs et maisons fortes. Toute une gamme d’habitats aristocratiques dont la différence reste floue. Oui, le manoir est plus modeste que le château. Mais ensuite… Certains propriétaires contribuent à cette confusion en qualifiant de château ce qui paraît juste une belle demeure champêtre.
Le problème se situe à la racine : les textes anciens ne précisent pas le sens de ces termes. Les historiens, les archéologues et les castellologues (les spécialistes des châteaux) essaient de les définir, mais ils ne tombent pas forcément d’accord selon le point de vue qu’ils adoptent (juridique ou architectural).
À mes risques et périls et au prix d’inévitables simplifications, je vais tenter d’éclaircir ce débat pour que vous puissiez distinguer dans vos balades les trois principaux types de demeures aristocratiques.
Le château, une définition changeante
Au Moyen Âge, c’est la demeure puissamment fortifiée d’un seigneur. Son accès est rendu difficile par la hauteur du site ou par des obstacles défensifs tels que des fossés, des murailles, des tours, voire un pont-levis.
Pour les périodes postérieures au Moyen Âge, cette définition perd de sa vérité. Les nouveaux châteaux se dépouillent de leurs défenses : ils se cantonnent à une fonction résidentielle. Chambord, Chenonceaux, Versailles ne sont pas conçus pour résister à une armée. Pas même à un seul homme, comme l’actualité vient d’en donner la preuve :
Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2020, un homme a réussi à s’introduire dans le château de Versailles, en escaladant le mur d’enceinte puis en cassant une vitre. Habillé d’un drap, il se prenait pour le roi et voulait regagner son palais ! En tout cas, c’est ce qu’il a déclaré aux policiers accourus pour l’arrêter.
- Lire aussi : des châteaux forts aux châteaux d’agrément
Bref, le château de Versailles, comme les demeures aristocratiques contemporaines, n’est pas une forteresse. Au XIXe siècle, il a fallu donner un nom plus précis aux anciens châteaux pour les distinguer de ces châteaux ouverts. Ce fut « château fort » ! Eh oui, cette expression, loin d’être médiévale, est assez récente.
Au XIXe siècle, la définition de château ne cesse de se diluer. Elle s’étend aux grandes propriétés que la bourgeoisie élève à la campagne pour matérialiser sa réussite sociale. Cette construction prestigieuse est un moyen de montrer son intégration à l’élite. Le château n’est plus l’attribut exclusif des princes, de la noblesse ou des seigneurs.
La maison forte, le retour en grâce
Vous n’en avez pas entendu parler ? C’est normal. Depuis seulement quelques décennies, les historiens et les archéologues réhabilitent l’expression. Ils ne font que reprendre des mots déjà employés au Moyen Âge sous la forme latine « domus fortis » (du latin dans un article, ça fait sérieux 🙂 ).
Les premières maisons fortes naissent dans le dernier tiers du XIIe siècle. À cette époque, les chevaliers, qui vivaient jusque-là dans le château de leur seigneur, commencent à réclamer leur propre demeure. De même les cadets des familles nobles et les écuyers (le rang le plus bas de la noblesse).
Peu à peu s’élèvent à destination de cette petite aristocratie des maisons fortes. Ces résidences ne présentent pas les mêmes capacités défensives que les châteaux. Déjà par manque de moyens, mais aussi parce que les seigneurs dont ces petits nobles dépendent leur interdisent. Pas question que ces maisons fortes deviennent des pôles de résistance ou rivalisent au moins symboliquement avec les châteaux. Elles doivent rester des fortifications secondaires.
Elles peuvent posséder un fossé (mais pas trop profond) et une enceinte (mais en bois, sinon un mur pas trop épais). La tour laisse parfois place à des tourelles. Un dispositif suffisant pour tenir face à un groupe de brigands, mais pas plus.
- Regardez aussi ma vidéo : les douves entourent-elles tous les châteaux ?
Le manoir, une résidence réservée au nord-ouest
Selon l’historienne de l’art Isabelle Lettéron, « ce titre est généralement accordé à des demeures rurales, d’une certaine importance, n’ayant pas de réelle vocation défensive, mais associant l’activité agricole à la fonction résidentielle ». Autrement dit, le manoir n’est pas fortifié ou à peine (à la différence du château et de la maison forte) ; les bâtiments d’exploitation tels que les granges, les écuries ou le colombier voisinent immédiatement le manoir.
Cette définition a le mérite d’être simple à défaut d’être parfaitement exacte. Les historiens pointeront le fait qu’au Moyen Âge, le terme désigne moins un édifice que la terre sur laquelle il est bâti. Certains chercheurs ont même établi que d’une région à l’autre, le sens diffère. Enfin les plus observateurs d’entre vous auront noté que des manoirs se trouvent aussi en ville !
Bref, c’est à ne plus rien y comprendre (moi le premier). L’évolution lexicale de ces derniers siècles n’arrange pas les choses. Comme le château, le terme de « manoir » a fini par s’appliquer à des demeures non nobles. Aujourd’hui il peut désigner une belle maison présentant un cachet ancien et pittoresque.
L’expression reste toutefois cantonnée au nord-ouest de la France (Normandie, Bretagne, Maine, vallée de la Loire) et à l’Angleterre. En Provence, on parlera par exemple de bastide.
En résumé
Ne quittez pas cet article, les idées brumeuses. Si je me cantonne à la période médiévale, je pourrais expliquer les choses ainsi :
Le château est une demeure seigneuriale puissamment fortifiée, la maison forte l’est un peu moins et le manoir, peu ou pas du tout. À partir de la Renaissance, je ne réponds plus de rien. Par contre, vous, si vous répondez de quelque chose, dites-le en commentaire.
Laisser un commentaire