Au XVIIIe siècle, chaque église se devait d’avoir une chaire à prêcher. Aujourd’hui ce type de mobilier est partout abandonné. Pourquoi une telle mise au placard ?
Installée dans la nef, la chaire à prêcher est une tribune d’où le prêtre s’adresse aux fidèles. Lors des visites, on n’y prête souvent pas attention. Au Moyen Âge, c’était pareil. Peu d’églises intégraient une chaire. Par contre, sous l’Ancien Régime, les évêques obligent chaque église à s’en doter. Pour le clergé catholique, elle est le moyen pour reconquérir l’âme des fidèles. Mais pas seulement.
Le roi informe ses sujets
En ce début d’année 1789, dans tous les villages de France, les paroissiens sont déroutés par les propos de leur curé. Réunis dans l’église, ils s’interrogent entre eux et ne comprennent pas. Les États généraux ? Qui, dans l’auditoire, est capable de se souvenir de cette institution qui n’a pas été convoquée depuis plus d’un siècle et demi ? Le curé vient d’annoncer leur convocation par le roi Louis XVI. Et il l’a fait depuis sa chaire à prêcher.
De cette position, les curés diffusent traditionnellement les messages que le roi adresse à son peuple. Puisque tous ses sujets ou presque assistent à la messe, le souverain s’assure que ses décisions parviennent jusqu’au fin fond des provinces de son royaume. Mieux que le journal télévisé aujourd’hui.
En chaire, les curés annoncent aussi les fêtes à venir, les jeûnes à observer et les mariages à célébrer. Mais ces usages, anecdotiques, laissent de côté la principale fonction des chaires : prêcher.
La parole pour reconquérir les âmes
Au Moyen Âge, peu d’églises possèdent des chaires. De plus elles sont placées différemment. Elles se trouvent à la limite du chœur et de la nef, et donc en avant des fidèles.
Puis, au XVIe siècle, le choc provoqué par la Réforme amène l’Église à revaloriser cette tribune. Une partie de leurs ouailles ont déserté les églises. Le rôle du clergé a été remis en cause et l’autorité du pape reniée. Affaiblie et contestée par cette crise, l’Église catholique se remet en question. Son diagnostic, simple, rappelle celui de nos gouvernants lorsqu’un projet de loi suscite une levée de boucliers : on n’a pas assez bien expliqué aux gens ; on a manqué de pédagogie.
De la pédagogie, les paroissiens en recevront désormais chaque dimanche et jour de fête : pendant la messe, le curé leur prêchera du haut de la chaire à prêcher. Chaire qu’on installera dans la nef, au-dessus du public. De cette position dominante, le prêtre pourvoira à la nourriture spirituelle de son troupeau par un sermon. Tantôt en commentant un passage de l’Évangile, tantôt en développant une leçon de morale chrétienne.
Cette promotion de la chaire à prêcher peut sembler anodine. En fait, elle brise deux traditions multiséculaires. Longtemps cantonné au chœur, le curé doit désormais, temporairement, se mêler aux fidèles dans la nef. La deuxième rupture est linguistique. Jusque-là, le curé célébrait la messe en latin sans que son public ne comprenne grand-chose. Dans la chaire, il devra prêcher dans la langue locale (français ou dialecte). La pédagogie passe par un langage compris par tous.
Bref, la chaire à prêcher est un outil de la Contre-Réforme, ce mouvement catholique pour reconquérir les âmes aux XVIe et XVIIe siècles. Observons ce mobilier de plus près.
Comment regarder une chaire à prêcher
Déterminez déjà sa localisation. Sauf exception, elle se trouve traditionnellement dans la nef, côté nord, autrement dit à gauche en avançant dans l’église (à bâbord si vous avez le pied marin). Elle s’appuie contre un mur ou un pilier. Pour y accéder, le prêtre doit généralement monter un escalier tournant ou droit. Quelques chaires monumentales proposent deux escaliers.
L’élément principal de la chaire à prêcher est la cuve. C’est là où se tient le prêtre. Dans son axe de vision, sur le mur opposé, est généralement accroché un crucifix. Vérifiez-le. La position surélevée du prêtre garantit que sa voix porte loin, sans obstacles. Cette préoccupation acoustique explique la présence d’un dais au-dessus du prédicateur. Il joue le rôle d’abat-voix. Remarquez la colombe qui est souvent sculptée en dessous. Une évocation de la colombe du Saint-Esprit censée inspirer les paroles du prêtre. D’autres sculptures peuvent orner la cuve elle-même. On retrouve souvent la figuration des apôtres, car, comme eux, le prêtre doit répandre l’enseignement du Christ.
Pareillement à une grande partie du mobilier religieux, l’ensemble est en bois, mais vous rencontrerez aussi quelques exemples en pierre. À l’évidence, dans beaucoup d’églises, on en a fait un meuble d’apparat. On le comprend d’autant mieux que cet instrument de la Contre-Réforme fait parfois la réputation et la carrière de leurs utilisateurs.
La grande époque pour se faire sermonner
Sous Louis XIV et Louis XV, à Paris, on se bouscule pour écouter les prédicateurs dans les églises paroissiales, mais aussi dans les couvents et les chapelles. Assister à un sermon équivaut à une sortie au théâtre. On est sûr d’avoir du spectacle et de l’émotion. Certains prédicateurs surjouent. Ils vocifèrent contre les impies, tapent du poing sur le rebord de la chaire ; puis tamponnent leur front en sueur avec un mouchoir. À l’écoute des sermons de Bossuet, certains fidèles pleurent, sont transportés de joie, applaudissent. Les meilleurs dans l’exercice, à l’exemple du père Bourdaloue, peuvent « se produire » devant le roi et la Cour. Chaque année, une liste des dates, des lieux et des prédicateurs est publiée. L’art du sermon a ses stars qui jouent à guichets fermés au point qu’on ne peut plus entrer dans l’église.
Dans les campagnes, l’engouement semble moins vif. Lentement, les églises des villages s’équipent en chaire à prêcher au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Il faut mettre un peu de pression. Les évêques s’en chargent. Ils font la tournée des églises du diocèse et vérifient notamment l’application des prescriptions de la Contre-Réforme. Le curé confesse-t-il régulièrement ses fidèles ? L’église est-elle bien tenue ? Dispose-t-elle d’une chaire à prêcher ? Non ? Il faudra y remédier. Dans le diocèse de Sées, selon l’historienne Claire Étienne, chaque église est finalement équipée vers 1770.
Ce mouvement d’équipement paraît aujourd’hui vain puisque les curés ne montent plus en chaire. Que s’est-il passé ?
La chaire a son assassin
Au cours des messes auxquelles j’ai assisté, les chaires sont restées désespérément vides. Je suis un peu trop jeune pour avoir connu ces sermons dispensés du haut de ces tribunes. Le mouvement d’abandon commence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 60, certaines chaires à prêcher sont démontées.
En cause, la position surplombante du prédicateur. On a vu que l’acoustique expliquait cette situation. Au XXe siècle, elle gêne des paroissiens et des prêtres eux-mêmes. Comme si l’Église catholique cherchait à manifester sa domination sur l’auditoire. Au contraire, des prêtres cherchent, pour être plus proches de leurs paroissiens, à prêcher à leur niveau.
Plus fondamentalement c’est la technique qui, sans états d’âme, a tué la chaire. Grâce à l’invention du micro, le prêtre n’a plus besoin de se placer au milieu de la nef pour bien se faire entendre. Il se dirige désormais vers l’ambon, une sorte de pupitre à côté de l’autel. La sonorisation de l’église assure que ses lectures et son sermon seront entendus par le public.
Malgré leur obsolescence, beaucoup de chaires restent accrochées dans les églises. Parfois des municipalités ou des associations se soucient de les restaurer. Cette marque d’attention le vaut. Car cette chaire fut révolutionnaire : de là-haut, par l’annonce de la convocation des États généraux, fut allumée la mèche de 1789.
Laisser un commentaire