À l’occasion de la restauration de Notre-Dame de Paris, le diocèse compte revoir l’aménagement intérieur de la cathédrale. Les opposants au projet s’alarment d’une défiguration de l’édifice. Faut-il vraiment s’inquiéter ?
« C’est comme si Disneyland entrait dans Notre-Dame », dénonçait fin novembre 2021 l’architecte Maurice Culot devant le projet de réaménagement envisagé par le diocèse de Paris.
Dans une tribune publiée le 7 décembre 2021, plus de cent personnalités dont Stéphane Bern, Alain Finkielkraut et Pierre Nora renchérissaient : « ce que l’incendie a épargné, le diocèse veut le détruire ».
Bref, après le débat sur la reconstruction de la flèche à l’identique ou non, voici un nouveau projet qui enflamme les esprits. Quels sont les changements envisagés ? Quel est mon avis dessus ?
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Les 5 pommes de la discorde
Le 9 décembre 2021, un communiqué de presse du diocèse dévoilait au grand public les grandes lignes du projet :
- La création d’un nouveau mobilier liturgique : des bancs sur roulettes, un baptistère au milieu de la nef, un autel au centre et un tabernacle dans le chœur.
- L’aménagement d’un espace de prière dans le chœur.
- Un nouveau sens de circulation. On entrera par le portail central pour suivre le bas-côté nord, faire le tour de l’église puis sortir par le bas-côté sud.
- Une révision de l’acoustique et du dispositif lumineux.
- Le réaménagement des chapelles latérales de la nef, notamment par l’intégration d’œuvres d’art contemporaines.
Des dispositifs « kitsch »
La veille du communiqué de presse, avait déjà sonné l’attaque contre les intentions du diocèse puisqu’une centaine de personnalités signait une tribune dans le Figaro. Je cite le passage le plus cinglant :
Le projet prévoit bancs amovibles, éclairage changeant en fonction des saisons, projections vidéo sur les murs, etc., autrement dit les mêmes “dispositifs de médiation” à la mode (et donc déjà terriblement démodés) que l’on trouve dans tous les projets culturels “immersifs” où bien souvent la niaiserie le dispute au kitsch ».
Le Figaro, 8 décembre 2021 et la Tribune de l’Art le 7 décembre 2021
Bref, si je comprends bien, les signataires reprochent au projet de reprendre certains dispositifs scénographiques propres aux musées modernes. Ce qui peut en effet choquer dans une église. Mais je trouve cette vision exagérée. Mettre des bancs amovibles relève du bon sens : il facilite l’adaptation des lieux par le personnel. On met beaucoup de bancs lors des grandes cérémonies ou des grands événements ; on en retire les autres jours pour offrir plus de place aux visiteurs.
Quant à l’éclairage, il est précisément envisagé selon le diocèse d’« accompagner les différentes célébrations liturgiques » au cours de l’année : « lumière diffuse et douce pour les veillées de prière ou les célébrations de nuit, sobre pour les temps du carême et de l’avent, par exemple, ou rayonnante pour les grandes fêtes de Noël ou de Pâques ». Rien de choquant pour moi. De tels variateurs de lumière équipent les logements de particuliers. Est-ce si kitsch ?
Les projections vidéo m’interpellent davantage. L’Église doit-elle sacrifier à la mode des écrans et du multimédia ? En réalité, l’idée est beaucoup plus discrète. Gilles Drouin, le prêtre chargé du projet, précise que seules des citations de la Bible seront projetées.
Pour le moment, je ne pousse pas de cris d’orfraie. Les contestataires ont-ils déclenché une tempête dans un bénitier ?
Rendez-nous la cathédrale de Viollet-le-Duc !
Plus globalement, la tribune des opposants reproche au projet de dénaturer l’aspect de la cathédrale voulue par Viollet-le-Duc au XIXe siècle.
Respectons l’œuvre de Viollet-le-Duc, respectons le travail des artistes et des artisans qui ont œuvré pour nous offrir ce joyau […] Ce chantier de restauration doit nous permettre de retrouver l’authenticité du lieu et de son expérience, en replaçant les bonnes œuvres aux bons endroits, dans une harmonie et une cohérence d’ensemble.
Le Figaro, 8 décembre et la Tribune de l’Art, le 7 décembre 2021
J’ai toujours du mal à écouter des gens qui brandissent l’argument de l’authenticité. Qu’est-ce qu’une cathédrale de Paris authentique ? Celle produite par la restauration de Viollet-le-Duc ? Pourquoi pas celle de la fin du Moyen Âge ? On sait que le génial architecte a rétabli certaines dispositions médiévales, mais en a inventé beaucoup d’autres.
La quête d’un monument authentique me semble vaine. On ne retrouvera jamais la cathédrale de Viollet-le-Duc. Le monument est aujourd’hui éclairé à l’électricité, ce qui bouleverse l’ambiance lumineuse. Son aménagement a été modifié par le concile de Vatican II : sous la croisée du transept trône depuis 1989 un autel contemporain (abîmé cependant par des gravats dans l’incendie de 2019).
À l’adresse de ceux qui, néanmoins, espèrent retrouver l’idéal viollet-leducien, réjouissez-vous : c’est moins le réaménagement mobilier, finalement assez marginal, que la restauration complète en cours qui permettra de s’en approcher : les murs et les vitraux sont décrassés pendant que des peintres redonnent des couleurs au décor. Ces transformations sont beaucoup plus déterminantes dans l’aspect de la cathédrale que le projet de réaménagement liturgique du diocèse.
Les deux conceptions opposées de la cathédrale
Vous n’êtes peut-être pas d’accord avec moi quand je minimise l’impact du projet diocésain. Vous êtes peut-être plus critiques. En fait, dans ce débat, deux conceptions de la cathédrale s’opposent :
D’un côté, ceux qui en ont une vision exclusivement patrimoniale. De ce point de vue, Notre-Dame est un joyau historique auquel on ne doit pas toucher au risque de perturber son harmonie ou de menacer son authenticité. Vous pourriez vous attendre à ce que je me range dans ce camp. Depuis des années, ne me suis-je pas consacré sur ce site web à partager les beautés et l’intérêt de notre patrimoine religieux ?
Ma position est en fait plus nuancée, car j’ai conscience de la seconde conception de la cathédrale. À la différence d’autres monuments historiques, Notre-Dame n’a pas perdu sa fonction d’origine : c’est un lieu de culte et un siège d’évêché ! C’est donc un édifice vivant, susceptible de se transformer selon les évolutions de la liturgie, des moyens de communication et du goût artistique.
Je trouve donc tout à fait normal que le clergé du diocèse de Paris intervienne dans l’aménagement intérieur. Qu’il cherche à favoriser la méditation des fidèles ou des visiteurs par l’éclairage, par un sens de circulation, ou des projections de citations bibliques. Je trouve tout à fait normal que le diocèse souhaite renforcer la sacralité du lieu en créant un axe liturgique (baptistère, autel, tabernacle). Enfin je trouve tout à fait normal que le clergé expérimente de nouvelles formes de communication. C’est tout à son honneur de s’adapter à son temps. Sinon on en serait encore à suivre des messes durant lesquelles le prêtre parle en latin et sans micro.
La commission veille sur Notre-Dame
Certes, la cathédrale appartient à l’État, mais le diocèse en est le locataire (l’affectataire plus exactement) et donc il peut aménager les lieux comme il l’entend. Avec bien sûr cette limite : les lois sur les monuments historiques.
Donc, contrairement à ce que certains commentateurs ont pu laisser entendre, on ne démontera pas les vitraux ; on ne détruira pas le mobilier viollet-leducien dans les chapelles latérales. Au pire, certains éléments seront déplacés dans une autre partie du monument.
Enfin, le projet est soumis à l’approbation de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA), une commission spécialement nommée pour veiller entre autres au respect des monuments historiques. Le 9 décembre, cette commission a validé la plupart des grandes lignes. En revanche, ils se sont opposés au prototype des bancs et à la localisation de l’espace de prière. Lisez les autres réserves dans cet article de France Bleu.
La discussion n’est pas close. Dans le journal La Croix, Albéric de Montgolfier, le président de la CNPA, prévient : « La commission a validé un programme, pas un résultat définitif. Le diocèse va maintenant préciser son projet ». « La messe n’est pas dite », conclut Alexandre Gardy un autre membre de la commission.
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