Les sculptures et les vitraux médiévaux des églises sont difficiles à lire, car ils nécessitent souvent une bonne culture chrétienne. La tâche se complique quand les artistes nous induisent en erreur. Démonstration à travers 6 exemples.
Un visiteur peut facilement se perdre et mal interpréter les œuvres qu’il voit dans une église. Il croit identifier une femme alors que c’est un homme. Il croit regarder une scène anodine alors que c’est un récit biblique fondamental. Il pense avoir compris un symbole, mais le deuxième sens lui échappe. J’exagère ? Je vous en donne des preuves. Allez-vous tomber dans les pièges de l’iconographie médiévale ?
L’androgyne le plus célèbre de la Bible
Il y a quelques mois, un abonné prénommé Gérard me pose cette question par mail : « il y a dans l’église Notre-Dame de Figeac un autel avec une statue que je n’ai pas identifiée du fait de ses attributs : une femme tenant un vase avec un aigle à ses pieds. Avez-vous une idée ? »
À cette question, ma première idée fut Coluche et son sketch « Le schmilblick » :
- – Notre prochaine candidate est une femme !
- – Euh, non, non.
Car là aussi, il est facile de se tromper de sexe. En fait, il s’agit de l’apôtre saint Jean. Les attributs ne laissent aucun doute. Il porte la coupe empoisonnée que, selon une légende, le grand prêtre d’Éphèse lui fit boire. Le saint s’en sortit aussi bien que si on lui avait servi une limonade. Enfin, on reconnaît à ses pieds l’aigle, son symbole en tant qu’évangéliste.
Cependant, les représentations traditionnelles de ce saint — traits juvéniles, cheveux longs et sans barbe — entretiennent la confusion. Soyez donc attentifs aux attributs de la personne.
Le double symbole des fleurs de lys
Sur ce vitrail de la cathédrale de Bourges, les fleurs de lys sont à l’honneur. Elles recouvrent les voûtes au-dessus des personnages. Elles décorent certaines armoiries. Mais la plus grosse fleur de lys est peut-être celle qui passe inaperçue : le remplage du vitrail, c’est-à-dire son armature de pierre, en dessine une au sommet.
Ces fleurs de lys stylisées agissent comme un réflexe chez le visiteur : ce sont les emblèmes du roi de France ! Et vous n’auriez pas totalement tort. Ce vitrail fut commandé par Jacques Cœur, marchand et argentier du roi Charles VII. En bon courtisan, il sut rappeler par quelques signes l’allégeance à son maître.
Cependant, comme la scène représente l’Annonciation, il faut envisager une autre hypothèse à cette prolifération florale. L’Annonciation est ce moment où l’ange Gabriel annonce à Marie qu’elle concevra et donnera naissance à Jésus. Dans ce contexte, la blanche fleur de lys symbolise aussi la Vierge en faisant allusion à son innocence et à sa pureté.
L’habile Jacques Cœur a sûrement joué de cette ambiguïté : symbole monarchique et marial. Cette marque de fidélité lui sera insuffisante. En 1451, le roi Charles VII le fit arrêter puis condamner à la prison et à la saisie de ses immenses biens.
Les joueurs de ballon
On s’amuse bien sur ce chapiteau. Deux personnages au centre semblent se disputer un ballon.
Mais la suite de la scène, sur le côté gauche du chapiteau, sonne la fin de la récré. Les deux personnages font triste mine, conduits par un ange dont on devine les ailes. La situation devrait vous rappeler un fameux épisode de la Bible : l’expulsion d’Adam et Ève du jardin d’Éden. C’est bien de cette scène dont il s’agit. Dès lors, les joueurs de ballon nécessitent d’être réinterprétés. Il faut identifier le premier couple de l’humanité en train d’être pris en flagrant délit de manger le fruit défendu que Dieu leur avait pourtant interdit de cueillir. Le ballon est en fait un gros fruit ! Bref, il nous a « pommé » 😊
Le faux saint suaire
Dans l’église d’Écouis (Eure), une femme nous tend un linge marqué de la tête du Christ. Il est tentant de faire le rapprochement avec le fameux suaire de Turin. Sur ce tissu apparaît l’image d’un homme qui ressemble à Jésus. La pièce de lin, à l’origine controversée, serait le linceul dans lequel il fut enveloppé après sa crucifixion.
Gare à la confusion ! La femme d’Écouis ne nous expose pas ce suaire. Selon la tradition chrétienne, elle aurait essuyé le visage de Jésus avec son voile alors qu’il portait péniblement sa croix sur le chemin du Golgotha. L’image de la face du Christ se serait miraculeusement imprimée sur ce voile, laissant une empreinte connue sous le nom de la « Sainte Face » ou « Vera Icon », qui signifie « vraie icône » en grec. De là, le nom de la femme au linge : Véronique.
Distinguez donc le suaire de Turin et la sainte Face. En revanche, ils ont un point commun : ce sont des images achéiropoïètes, c’est-à-dire non faites par un artiste, mais créées miraculeusement par une intervention divine ou surnaturelle. Répétez après moi : achéiropoïète.
Un geste ambigu
C’est jour de banquet ! Le roi Gondoforus, à droite, célèbre le mariage de sa fille. À l’autre extrémité de la table, un homme debout semble consoler un saint. C’est l’exemple d’une scène typique que nous comprenons à l’envers à cause d’une lecture trop moderne des gestes. Dans une image médiévale, une personne qui touche le visage de l’autre lui veut rarement du bien : il cherche soit à la dominer, soit à la frapper. Et dans notre cas, il s’agit de la seconde option. Le saint giflé est en effet saint Thomas. Oui, cet apôtre qui ne croyait pas à la résurrection de Jésus. Ce dernier fut obligé de lui apparaître et de lui faire toucher ses blessures.
Mais ici la scène n’a rien à voir. Elle n’est pas rapportée dans la Bible. Une légende place son déroulement chez le roi de l’Inde Gondoforus. Au cours du banquet de mariage, Thomas ne mange pas. La faute au chant d’une jeune fille qui le fait rêvasser. Un serveur — un échanson précisément — gifle Thomas prenant son attitude pour un manque de respect vis-à-vis de son hôte. On ne plaisante pas à l’époque : on a intérêt à finir son assiette, sinon les domestiques le prennent mal.
Lui aussi vexé, saint Thomas promet un sort funeste à l’échanson. Le chien au pied de la table nous en apporte un échantillon : sa gueule enserre la main de l’impertinent… Tu seras puni là où tu as péché.
Un couple peut en cacher un autre
Cette fois-ci, je vous sens décidé à ne pas vous faire avoir. Ce couple ferait bien référence à une image qu’on a vue au-dessus.
Une femme et un homme, main dans la main, tous les deux nus : pas de doute, c’est encore Adam et Ève. Je le pensais aussi. Même si les vaguelettes devant les yeux d’Ève me perturbaient. Et puis, il y a cette espèce de silex serré contre Ève. Peut-être le fruit défendu encore une fois ?
En réalité, ces deux personnages sont des allégories. L’homme tient une sorte de flambeau évoquant le soleil. Il symbolise le jour. Sa compagne a le regard voilé et donc reste dans l’obscurité ; elle tient peut-être un croissant de lune. Il s’agit de l’allégorie de la nuit. Dans cette sculpture, le jour et la nuit avancent donc main dans la main.
Je crains que désormais vous n’osiez plus interpréter les images médiévales tant les exemples précédents démontrent leur capacité à nous égarer. Soyez rassuré : la prochaine fois que votre compère de visite vous demandera : « mais qui est donc cette femme sur le vitrail ci-dessous », vous saurez sûrement lui expliquer son erreur.
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