Sur les tableaux et sur les sculptures des églises ou des musées, le Christ se reconnaît très facilement. Son visage, devenu iconique, est-il authentique ou fabriqué ? Pour le déterminer, revenons à ses plus anciennes représentations. Cette plongée dans l’histoire réserve quelques surprises.
À quoi bon mettre une légende ? C’est certainement le visage le plus célèbre de l’Occident. Cheveux mi-longs, barbe, âge de la maturité, vous avez tous reconnu le Christ.
Récemment, ce portrait a créé une polémique aux États-Unis. Jésus n’est-il pas trop blanc ? En effet, un juif né sur les bords de la Méditerranée orientale devrait avoir un teint plus olivâtre, des yeux et des cheveux plus sombres. Ce portrait, en décalage avec la réalité attendue, semble donc une invention. D’ailleurs, à aucun moment, les Évangiles ne décrivent physiquement le personnage.
D’où vient alors cette image stéréotypée ? Peut-on espérer, en remontant les siècles, retrouver le vrai visage de Jésus ?
La réponse dans l’histoire de l’art
Au cours du dernier millénaire, le Christ est toujours peint ou sculpté de la même manière.
Ses cheveux sont longs et il porte une barbe. Tout au plus leur pigmentation évolue, selon les artistes, du blond au brun en passant par le roux. Sa corpulence et sa taille restent identiques : fine et moyenne. Quant à l’âge, c’est un homme généralement mûr. Sauf quand des scènes dépeignent des périodes de son enfance ou de sa jeunesse.
Au Moyen Âge, le visage reste familier. Les changements ressortent plutôt du style. Devenu hiératique, le Christ perd en naturel et en humanité. Comme dans les images du Christ pantocrator : il apparaît comme un roi, un personnage tout-puissant, qui très souvent bénit de la main droite et tient un livre (sûrement pas le dernier roman de Michel Bussi mais les Evangiles).
Notez aussi ce détail qui n’intéressera peut-être que les coiffeurs : une raie divise souvent la chevelure au milieu du crâne.
Bref, pour le moment le portrait reste conventionnel. Mais à l’époque romane, des changements apparaissent.
Des portraits discordants
Sur cette sculpture à l’intérieur de la basilique Saint-Sernin de Toulouse, Jésus conserve de longs cheveux, mais a perdu sa barbe. Caractéristiques qu’on retrouve sur cette mosaïque plus ancienne.
Enfin, les artistes s’écartent du modèle vu et revu ! Prudence toutefois, car ces portraits d’un nouveau genre sont peut-être des exceptions. Hypothèse que semble confirmer une icône conservée dans le monastère de Sainte-Catherine du Sinaï en Égypte. On retrouve un Jésus traditionnel à barbe et cheveux longs et sombres.
Au fil des siècles, l’enquête se complique, car les portraits deviennent de plus en plus rares. La faute au temps qui a effacé certaines images. La faute aux guerres, aux incendies et autres aléas de l’histoire qui ont détruit beaucoup d’œuvres d’art. Heureusement tout n’a pas été perdu.
Le Christ romain
La fresque ci-dessus décorait un cimetière souterrain de Rome, une des fameuses catacombes. Jésus est en train de guérir une femme prosternée. C’est un homme imberbe, jeune, souriant qui est peint. Pourquoi cette nouvelle apparence ?
On peut supposer que les chrétiens de Rome étaient dépourvus de portraits authentiques du Christ. Alors ils ont inventé un visage pour leur Messie en se nourrissant de la culture gréco-romaine dans laquelle ils vivaient. Jésus est donc habillé d’une toge comme un Romain. Il porte les cheveux courts et le visage rasé comme un bon citoyen.
Ses traits empruntent aussi aux dieux païens. On reconnaît un peu d’Hercule ou d’Apollon, deux dieux beaux et jeunes. Ne soyez pas étonné du rapprochement d’Apollon avec le Christ. Le dieu grec des arts, du chant et de la musique est associé au Soleil, comme le Christ renvoie à la lumière.
Dans l’art paléochrétien, celui des premiers siècles du christianisme, il est clair que Jésus ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui. Comment a-t-il acquis sa barbe et ses cheveux longs ? Écartons d’emblée l’hypothèse d’un séjour chez les hippies.
Premier autoportrait du Christ
Pour comprendre ce relooking, dirigeons-nous vers Édesse en l’an 525. Cette importante ville de l’Empire byzantin, aujourd’hui en Turquie, vient de subir une terrible inondation. Lors de la reconstruction, les ouvriers découvrent un linge caché dans une niche. Sur le tissu apparaît un portrait du Christ. Très rapidement, les habitants interprètent la découverte. Ce linge, c’est le mandylion d’Abgar tant recherché ! Sur lui couraient plusieurs légendes. L’une d’entre elles raconte qu’au Ier siècle, le roi d’Édesse nommé Abgar était malade. Il aurait demandé à Jésus, un contemporain, son portrait. Jésus accepta. Il s’essuya avec un mouchoir et miraculeusement son portrait s’y imprima. Recevant ce linge, Abgar guérit puis se convertit au christianisme.
À Édesse, on aurait donc retrouvé en 525 ce portrait authentique, puisqu’autoportrait. L’empereur byzantin Justinien construit une basilique pour abriter cette insigne relique qui devient célèbre au point d’inspirer les artistes de toute la Chrétienté. Saint Louis, notre saint Louis, acheta cette pièce au XIIIe siècle. Il la conserva dans la Sainte-Chapelle de son palais. Mais le tissu disparut à la Révolution.
Voile de Véronique et saint Suaire : les autres photographies du Christ
L’histoire de ce mandylion d’Abgar ressemble beaucoup à une autre relique, la Veronica ou voile de Véronique. Là aussi, plusieurs versions de l’histoire existent. La plus connue explique que Véronique se trouvait sur le chemin de la Passion du Christ. Prise du pitié, elle lui essuya le visage avec un linge et, là encore, se forma l’image du supplicié sur le tissu.
Qu’importe si vous doutez de ces miracles, l’important est de comprendre que ces images, fausses ou authentiques, sont probablement à l’origine du portrait de notre Christ. Comme Coca-Cola a popularisé l’image d’un père noël rouge à barbe blanche.
Les deux autoportraits doivent vous rappeler une relique encore plus célèbre : le Saint-Suaire de Turin. Ce drap, présenté comme le linceul du Christ, conserverait également son image. On distingue non seulement son visage, mais aussi son corps. Au risque de vous décevoir, le suaire de Turin n’a joué aucun rôle dans la diffusion de l’image du Christ. En effet, des analyses au carbone 14 et des études historiques ont démontré sa réalisation aux XIIIe ou XIVe siècle, une époque beaucoup trop tardive pour avoir influencé l’iconographie. Le portrait était déjà fixé depuis des siècles.
En résumé, à travers le mandylion d’Edesse, la Veronica et leurs copies, circulaient en Orient des images qui ont fixé la physionomie du Christ. Les chrétiens les vénèrent sous le nom de Sainte-Face. Cette image, d’origine orientale, semble s’être imposée à la tradition romaine d’un Jésus imberbe et jeune.
Cependant, comme le meurtre de Kennedy, le dossier n’est pas totalement clos. D’autres hypothèses sont avancées. Des auteurs proposent la fabrication du portrait du Christ à partir des statues ou peintures de Zeus/Jupiter. Même barbe, même longs cheveux. L’idée n’est pas aberrante. Quoi de plus naturel que d’attribuer au Christ tout-puissant l’apparence du maître de l’Olympe ?
Quand la science s’en mêle
Ces explications laissent peut-être sur leur faim certains d’entre vous. En aucun cas, ce Christ ne ressemble pas à un Sémite, l’ethnie qui vivait au premier siècle en Palestine. Il a la tête d’un Européen !
Il y a une vingtaine d’années, un archéologue John Prag et un artiste Richard Neave ont travaillé à la reconstitution faciale du Christ en se fondant sur l’anthropologie médico-légale. À partir d’un crâne sémite de l’époque, en le croisant avec des données iconographiques, ils sont parvenus à ce résultat :
Bien sûr, l’imagination intervient beaucoup dans ce portrait numérique. Cependant, comme l’avance Alison Golloway, professeur d’anthropologie à l’université de Californie, il ressemble probablement plus au vrai Christ que ceux exposés dans les musées ou les églises.
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