Un visiteur d’église peut difficilement comprendre une peinture ou un vitrail du Moyen Âge tant qu’il ne s’appuie pas sur les gestes ou les postures des personnages représentés. Ces détails sont toujours lourds de signification. Encore faut-il savoir les déchiffrer.
À la différence d’une bande dessinée, les scènes sculptées ou peintes dans une église n’ont généralement pas de bulles ou d’explications. Une clé est nécessaire à leur compréhension : l’observation et l’interprétation des gestes. Ces détails vous renseignent sur l’émotion d’un personnage, sa moralité, son rang ou son action. Petit cours de déchiffrage d’images qui, même sans mots, ne sont jamais muettes.
Les gestes religieux.
Commençons par deux gestes facilement identifiables.
Son nom figure au-dessus de lui : je vous présente Henri Noblet. Sur ce beau vitrail, ce chanoine de la cathédrale de Chartres adresse sa prière au Christ.
Le Christ se tient en majesté : assis dans un trône, il est droit, dans une position frontale par rapport au spectateur. D’une main (forcément la droite), il bénit ; de l’autre, il tient un livre. La bénédiction est d’abord une parole : on souhaite à haute voix la protection de Dieu à quelqu’un ou à quelque chose. Parole qui se double d’un geste, et ça, une image peut l’évoquer à la différence du son. Précisément, le Christ lève deux doigts de sa main, l’index et le majeur. Avec ce geste, il fait un signe de croix.
Dans l’autre main, le livre fermé symbolise l’enseignement du Christ, ses paroles de sagesse. Je ne développe pas, car je traite de ce sujet dans cet autre article, décoder 7 objets symboliques de l’art chrétien.
Quant au chanoine, l’interprétation de son geste ne fait pas de doute. Les mains jointes, à hauteur de la poitrine, il prie. Ce geste de dévotion rappelle la cérémonie de l’hommage, lorsqu’un vassal s’agenouillait devant son seigneur et fermait ses paumes devant lui. Par ce geste, le vassal exprimait son respect et sa soumission.
Mais avant le XIIIe siècle, on ne priait pas toujours ainsi.
Haut les mains !
Voici saint Sébastien. À gauche, un archer est en train de le viser. Et que fait le saint ? Il élève ses deux mains en l’air, comme la victime d’un hold-up. Drôle d’idée. Sauf, si on comprend la signification du geste au Moyen Âge.
En fait saint Sébastien prie. Cette position dite de l’orant est, jusqu’à l’époque romane, la manière habituelle de prier. Dans l’Antiquité, les païens adoraient leur dieu ainsi, à cette différence que les bras étaient levés. Les chrétiens, soi-disant en signe d’humilité, ont légèrement modifié le geste, en pliant les bras.
Fort de la connaissance de ce geste, vous vous empresserez de considérer les anges ci-dessus comme des orants. Mais sont-ils effectivement en train de prier ? Je n’en suis pas sûr. Un même geste peut avoir plusieurs sens. Les deux bras écartés en l’air peuvent aussi traduire l’ascension. C’est la façon de montrer qu’un personnage s’élève dans le ciel. Et pour des anges, ça n’a rien d’incongru. De nos jours, un auteur de BD aurait dessiné des traits verticaux sous les personnages pour faire comprendre ce mouvement.
L’expression des états d’âme
Au XVe siècle, l’Italie baigne dans la Renaissance. Pour représenter la tristesse et le désespoir de saint Jean (le Christ vient de mourir), le peintre a utilisé des moyens « modernes » : larme qui coule sur une joue, regard vers le sol, bouche légèrement affaissée…
De notre côté des Alpes, on use généralement de moyens plus grossiers, surtout quand l’image, petite, n’autorise pas un luxe de détails.
La Vierge meurt, entourée des apôtres. Au centre, l’un d’entre eux est particulièrement affecté : il met sa main contre sa joue. Presque comme saint Jean ci-dessus. C’est le geste habituel au Moyen Âge pour exprimer le désespoir, la douleur de perdre un être cher.
Ici, c’est la mort du Christ qui afflige les anges. L’un d’entre eux exprime son désespoir comme Clark Kent se transforme en Superman : il se met à déchirer son vêtement. Une façon dramatique de montrer l’intensité de sa douleur : la poitrine du malheureux semble prête à éclater ou le cœur à s’enflammer.
Les gestes mal compris
De part et d’autre du Christ sortant de son tombeau, deux soldats appuient une main contre leur tête. Presque comme saint Pierre plus haut. Mais ce n’est pas ici un geste d’affliction. Ce ne sont pas non plus des chanteurs corses a capella. Tout simplement, ces soldats dorment. Le sommeil ou le songe sont souvent représentés par des personnages qui appuient leur tête sur une main. « Facile », pensez-vous ? La sculpture suivante, qui se trouve à quelques centimètres, pose plus de difficulté.
Un homme compte sur ses doigts. À ses côtés, le Christ, couvert de la couronne d’épines, subit les humiliantes étapes de sa Passion. Mon interprétation est de voir dans le premier homme un juge. Il est en train de développer l’accusation du Christ ; ses doigts lui permettent d’exprimer à quel point de son argumentation il est arrivé. Les enseignants, les philosophes, les orateurs ont souvent cette attitude dans les images médiévales.
L’Annonciation : une scène où s’exercer
Dans vos visites d’églises, vous rencontrerez souvent des représentations de l’Annonciation. Dans cette scène, l’ange Gabriel annonce à Marie qu’elle enfantera le fils de Dieu. Profitez-en pour observer les gestes parlants des deux personnages.
Ici, l’ange Gabriel indique d’une main le ciel. C’est sa façon de montrer l’origine de sa mission, autrement dit elle vient de Dieu. À gauche, Marie accueille l’information en posant sa main sur sa poitrine. Le geste peut sembler anodin. Or, selon l’historienne de l’art Barbara Pasquinelli, il traduit « une attitude d’acceptation et de soumission à une volonté imposée ». De ce simple mouvement, le spectateur déduit l’accord de Marie au commandement divin.
Comparez cette peinture avec d’autres Annonciations. Les positions peuvent varier. Il arrive que Marie témoigne de son humilité et de sa soumission en inclinant la tête et en croisant ses deux bras sur la poitrine.
Passons à une femme plus rebelle.
Rapport de domination masculin-féminin
Cette face de chapiteau est remarquable par la chaîne que forment les trois personnages, l’ange, Adam et Ève. Ces derniers viennent de goûter le fruit défendu. Vient l’heure de la sanction. La chaîne commence à droite par la poigne de l’ange sur un rameau. De son autre main, il tire la barbe d’Adam. Sûrement pas par jeu. Dans l’imagerie du Moyen Âge, seul un personnage dominant peut se permettre de tirer la barbe d’un autre. Le geste, humiliant pour celui qui le subit, agit ici comme un rappel à l’ordre. Adam n’a-t-il pas succombé à la tentation ?
Un autre geste manifeste un pouvoir coercitif : le fait de tirer les cheveux de l’autre. C’est justement ce que pratique Adam à l’égard d’Ève. Cherche-t-il à se venger de la faute à laquelle elle l’a poussée ? Adam en rajoute en posant son pied sur la jambe d’Ève, autre indice de domination violente. Pauvre Ève : elle se trouve malmenée par son homme. Elle se tire les cheveux, geste qui exprime le désespoir. Elle sera bientôt chassée du paradis. De son autre main, elle tient la feuille d’une branche afin de cacher sa nudité. La boucle est bouclée avec le geste de l’ange.
Parler sans mots
Un personnage levant le doigt manifeste notamment son autorité, morale ou politique. Position renforcée par sa position sur un siège ou par sa taille supérieure (ici le cheval aide). L’index pointé peut aussi symboliser un ordre donné. Sur ce vitrail, Charlemagne commande l’édification d’un monument.
Pour décoder les images médiévales, il faut se garder d’une lecture automatique. Prenez toujours en considération le contexte.
Malgré leurs doigts levés, les deux personnages au centre ne donnent pas d’ordre. Ce sont plutôt des gestes d’orateur. Ils débattent. Deux médaillons séparent les camps. À gauche, les deux saints, Simon et Jude ; à droite, deux magiciens. D’une main ouverte côté paume, on peut déduire l’acceptation d’un argument, ou dans notre cas, le simple fait de parler. Car je doute que le premier saint soit convaincu par ses adversaires. Comment pourrait-il l’être alors qu’entre les magiciens, se trouve un démon rouge qui sûrement les inspire ?
C’est le moment d’entrer dans la face obscure des personnages.
Le corps, miroir de l’âme
On peut s’interroger sur le sens de sculpter des personnages dans des positions contorsionnées. Soyez sûr que vous avez affaire à un pécheur. Au lieu de regarder vers le ciel, il renverse sa tête. Traduction : il se détourne de Dieu et revient à la Terre. Cet homme ne s’élève pas physiquement et donc spirituellement. On comprend pourquoi les clercs blâmaient les acrobates.
Au contraire du moine, au geste mesuré, maîtrisé, les personnes mauvaises se distinguent par leur gesticulation. « Leur mouvement excessif, bruyant et désordonné [sont] la marque de la possession diabolique », explique l’historienne de l’art, Dominique Donadieu-Rigaut. J’en parlais déjà dans cette vidéo sur le diable.
De même, méfiez-vous des personnages aux jambes écartées. Ils n’ont pas l’attitude digne de personnages respectables. Leur déséquilibre traduit le désordre moral qui les habite. Leur nudité agit encore moins en leur faveur. L’écartement des jambes devient alors obscène. Notre personnage est-il coupable de luxure, le péché des débauchés ?
La reconnaissance des gestes et postures demande de l’entraînement. N’hésitez pas à dresser un tableau des gestes et de leur signification : prier, bénir, accepter, être désespéré, humilier… Vous vous surprendrez à comprendre des scènes religieuses alors que vous ne reconnaissez aucun des personnages.
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