D’une église ou d’un musée à l’autre, des œuvres présentent des similitudes frappantes. Preuve que les artistes n’hésitaient pas à se copier. Cette pratique n’était pas désapprouvée. Bien au contraire.
Droit d’auteur, propriété intellectuelle, autant de notions juridiques qui échappent aux artisans et artistes du Moyen Âge et de la Renaissance. La perception de la copie et de l’imitation est bien différente. Reproduire une peinture, une sculpture ou un vitrail ne pose pas de problème : cela fait souvent partie du processus créatif.
À la Renaissance, des artistes comme Albrecht Dürer commencent à protéger leurs œuvres mais connaissent quelques déconvenues.
Des sculptures troublantes par leur ressemblance
Des statues présentent indéniablement un air de famille.
L’historien de l’art Jean-René Gaborit comparait notamment ces deux Vierges à l’Enfant, conservées dans deux musées différents.

Même posture, même drapé, même couronne… Un cas de plagiat ? Pas forcément. On ne peut pas exclure qu’un même sculpteur ait façonné les deux statues mariales. Cependant, Jean-René Gaborit en doute, car les styles diffèrent légèrement. La Vierge du Louvre est plus « rustique » que la Vierge de Washington.
Dans ce cas, on peut imaginer qu’un sculpteur a vu l’œuvre et s’en est inspiré pour produire sa propre version. Peut-être l’avait-il même dessiné dans son carnet de modèle ? À l’exemple de ce que faisait le supposé architecte Villard de Honnecourt qui enregistrait dans un recueil des plans d’église, des dessins de peintures ou de sculptures.

Ces carnets circulant entre artisans, de mêmes formes se retrouvent d’une église à l’autre.
Copies réinterprétées
À y regarder de près, la copie n’est jamais exacte. Déjà parce que les artisans ne semblent pas pratiquer le moulage des originaux pour fabriquer la copie.
Ensuite parce que chaque artiste avait son style. Des artistes s’inspiraient d’œuvres existantes mais les interprétaient. Le meilleur exemple se trouve dans ces chapiteaux. Ils représentent la Fuite en Égypte de la Vierge, Jésus et Joseph.


La différence d’orientation ne doit pas vous tromper. L’un a assurément copié l’autre. La Vierge et de l’Enfant Jésus tiennent la même position. L’âne marche sur des sortes de roues. À l’avant, Joseph tient une corde et rejette un objet sur son épaule. Par contre, les deux chapiteaux se distinguent par leur style. Celui d’Autun est sculpté plus finement. Il y a donc bien deux auteurs différents. L’un s’est inspiré de l’autre, la proximité géographique entre Autun et Saulieu — 40 km — favorisant ce transfert.
Parfois, le style est voisin mais le « copieur » a transposé la sculpture en un autre matériau. D’une statue originale en marbre, on passe à un double en bois.

Permis de copier
Ces différents cas de copie ne doivent pas surprendre. Au Moyen Âge, il ne vient à aucun artiste/artisan l’idée de protéger son travail. Le droit médiéval ignore les notions de droits d’auteur ou de propriété intellectuelle, autant que la protection de l’environnement ou l’acception des cookies au bas de sites internet. Autrement dit, la copie, plus ou moins fidèle, n’est pas condamnée.
Bien au contraire, l’imitation est encouragée. On s’en rend compte à travers l’architecture. Ainsi, de nombreuses églises médiévales prennent pour modèle un monument plus prestigieux. Des clochers de village reprennent à échelle réduite celui de la cathédrale ou de l’abbaye voisine. Autre exemple, le plan original de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem — en rotonde — se retrouve dans plusieurs églises ou chapelles d’Occident.

Par l’imitation, les bâtisseurs espèrent s’approprier l’aura spirituelle du monument original. Donc on ne se gêne pas pour copier.
Dans certains contrats, le commanditaire stipule même que le sculpteur ou le peintre doit s’inspirer de telle œuvre existante.
Ces appropriations choquent d’autant moins que les œuvres demeurent majoritairement anonymes. Les artisans et artistes signent exceptionnellement. Dans ces conditions, l’accusation de plagiat est hors sujet. Car plagier, c’est copier les œuvres ou les travaux des autres en se faisant passer pour l’auteur. Or, aucune partie ne revendique la paternité d’une œuvre.
Lire aussi : Cathédrales : pourquoi le nom de leurs architectes reste-t-il inconnu ?
Les artisans/artistes considèrent leur travail dans les églises comme un service rendu à Dieu plutôt que l’expression de leur individualité.
Contrairement à notre époque, les commanditaires n’attendent pas de l’originalité chez l’artiste. Ils souhaitent surtout un travail de qualité, si possible dans la continuité d’une œuvre renommée. Autrement dit, les élites apprécient davantage la variation ou l’amélioration d’un modèle existant qu’une innovation radicale. Mentalité différente.
Albrecht Dürer s’agace
À la Renaissance, des artistes réputés commencent à changer leur attitude vis-à-vis du plagiat. L’évolution technique rend en effet le problème plus visible.
L’invention de l’imprimerie et la diffusion des gravures rend beaucoup plus aisée la reproduction incontrôlée des œuvres. Les auteurs de livres s’en plaignent, les peintres aussi.
Constatant la contrefaçon massive de ses gravures, Albrecht Dürer, peintre et graveur allemand, sollicite en 1511 l’empereur Maximilien pour obtenir un privilège impérial protégeant ses œuvres. Il fait imprimer sur la page finale de ses recueils un avertissement cinglant :
Halte ! Voleurs d’idées d’autrui […], n’osez pas poser vos mains rapaces sur mes œuvres. Sachez que j’ai obtenu de l’empereur un décret interdisant que quiconque puisse imprimer ou vendre de fausses imitations de ces gravures ; sinon, vos biens seront confisqués et votre corps mis en danger mortel.
Albrecht Dürer (1471-1528)
On en tremble. Cette mise en garde témoigne de l’importance que Dürer accordait à la propriété de ses créations.

Mais la société est-elle prête pour accepter cette idée de propriété intellectuelle ? Loin de là.
Un graveur vénitien, Marc Antonio Raimondi, est mis en accusation par Dürer pour plagiat de ses gravures. Le tribunal ne le sanctionne pas vraiment : il est autorisé à continuer à reproduire les images de Dürer à condition toutefois de ne plus apposer le monogramme AD sur ses copies. C’était donner à Raimondi un permis officiel de copier. Le tribunal semble avoir été plus sensible au fait que le copieur vend ses copies en les faisant passer pour les originaux du maître, grâce à la signature, qu’au fait de copier les images du maître.
Les copies légitimes
Dürer ne peut pas trop cracher dans la soupe. Ses gravures se diffusent dans toute l’Europe et élargissent sa renommée à un point inégalé par ses prédécesseurs.
Des commanditaires et d’autres artistes se saisissent de ces gravures et les transposent en peintures. Combien de tableaux de retables sont issus de gravures de grands maîtres ? Grâce à la copie, une église de campagne peut avoir son « Rubens » au fond du chœur. Du moins, une reproduction.

Depuis la fin du Moyen Âge, le genre de la copie se porte bien pour une autre raison. Des ateliers s’engagent dans des productions standardisées. Constatant le succès commercial de certains modèles, ils les produisent en série. Plusieurs versions d’une même œuvre sortent. Dans l’atelier, le maître laisse ses compagnons ou ses élèves s’en charger. Ces reproductions ne sont donc pas des copies illégitimes, mais plutôt des répliques ou des variantes.
Vive les plagiaires !
Nous pouvons aujourd’hui être reconnaissants envers certains plagiaires.
Prenons l’exemple du groupe du Laocoon, représentant une scène de l’Odyssée : le prêtre Laocoon s’oppose à l’entrée du fameux cheval de Troie dans sa ville, mais des serpents le tuent, lui et ses fils, permettant ainsi l’introduction du cheval. Vous connaissez la suite…

Ce groupe statuaire est découvert lors de travaux à Rome en 1506. L’œuvre impressionne tellement que le pape Jules II en fait l’acquisition et que les copies se multiplient rapidement, d’autant plus que l’auteur, depuis longtemps disparu, ne peut protester.
Or, ce Laocoon est lui-même une copie romaine en marbre d’une sculpture grecque antique en bronze aujourd’hui disparue. Nous pouvons nous réjouir d’avoir retrouvé cet exemplaire, sans lequel une merveille de l’art grec nous aurait échappé.
Ce qui m’amène à réviser complètement mon opinion sur un incident que j’ai eu sur le réseau social Linkedin la semaine dernière. Une abonnée m’a signalé le plagiat d’une de mes publications. Même photo, même texte.

Au lieu de m’emporter contre mon plagiaire, je devrais le remercier. Car, si pour une raison quelconque, mon post Linkedin disparaît d’Internet, il subsistera de ma grande œuvre une trace grâce à lui 😊.

Laisser un commentaire