De Conques à Strasbourg, de Dijon à Chartres, ces œuvres rares, magnifiques ou révolutionnaires composent un condensé de l’histoire de la sculpture française au Moyen Âge. Rien que ça. Avez-vous eu la chance de les voir ?
Choisir 10 sculptures marquantes parmi les innombrables œuvres ornant les églises ou les musées français, c’est difficile. C’est surtout très peu à l’échelle de la France et sur une période s’étalant sur 1000 ans. Ne soyez donc pas étonné(e) que des chefs-d’œuvre, tout aussi connus et remarquables que ceux présentés ci-dessous, ne s’y trouvent pas. J’ai été impitoyable et très subjectif 😊
1. Le Christ de Saint-Pierre-aux-Nonnains
Je vous devine déçu ou dubitatif. Que vient faire ce grossier bas-relief dans cette liste ? Laissez-moi vous expliquer.
C’est un témoignage exceptionnel de l’art du haut Moyen Âge (grosso modo les années 500 à 1000 après J.-C.). De cette période antérieure au roman et au gothique, ne nous est parvenu aucun bloc sculpté, sauf des sarcophages. Comme si l’art de la sculpture, si florissant sous les Romains, était tombé dans l’oubli. Et quand on retrouve un de ces rares blocs, il est simplement décoré de motifs végétaux ou géométriques.
Comprenez donc que l’archéologue qui a découvert cette œuvre à Metz a failli tomber en pâmoison. Y était inscrite une figure humaine, le Christ en prime ! Remarquez toutefois qu’il n’a pas encore l’aspect qu’on lui connaît habituellement, celle d’un homme barbu aux cheveux mi-longs.
2. Le trumeau de Souillac
Le trumeau est le pilier central qui divise une porte à deux vantaux. À Souillac (Lot), il a été déménagé à l’intérieur de l’église. Sur une face, des animaux fabuleux se dévorent dans un mouvement ascendant jusqu’à un homme lui-même attaqué. Cette spirale animalière est d’une telle complexité de réalisation qu’elle enterre toutes les moqueries sur la naïveté des œuvres romanes.
Au-delà de la prouesse technique, cette sculpture est remarquable par son sens conceptuel : le désordre, le tumulte des combats est canalisé dans un pilier. Bref, une illustration du chaos ordonné.
3. Le tympan de Conques
Avant d’entrer dans l’église de Conques, le pèlerin ne pouvait pas échapper à ce tympan sculpté au-dessus de la porte. Il y était confronté à la vision de la fin du monde. Le Christ au centre y juge les morts. De son bras levé, il indique ceux qui le rejoindront au paradis. De son bras abaissé, il montre les profondeurs de l’enfer pour les chrétiens dont l’âme est souillée. Cette vision à la fois simple et inquiétante devait faire réfléchir les spectateurs sur le sens à donner à leur vie.
Notez les restes de couleurs. Ce tympan était peint comme probablement toutes les sculptures suivantes.
4. l’Ève d’Autun
C’est la star des livres sur l’art roman. Un peu comme la Joconde dès qu’on écrit sur la Renaissance. Reconnaissons que le Moyen Âge, qui plus est la période romane, ne nous gratifie pas souvent d’images aussi sensuelles.
Ève est prise sur le fait : elle saisit le fruit défendu et susurre à Adam d’y goûter (cette partie montrant Adam ayant malheureusement disparu).
L’image illustre un principe de la sculpture romane : la loi du cadre. Le sculpteur doit s’adapter à la forme de son support, ici un linteau de porte, que l’architecture lui impose. Loi qui oblige souvent à contorsionner les personnages et les objets. En l’occurrence notre artiste, probablement un certain Gislebertus, a réussi à représenter des sujets normalement verticaux (un arbre et une femme) dans le sens de la longueur.
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5. Les statues-colonnes de Chartres
Vers le milieu du XIIe siècle, les architectes de l’abbatiale de Saint-Denis et de la cathédrale de Chartres ont l’idée nouvelle de placer des statues dans une zone inédite : sur les côtés des portes, dans ce qu’on appelle les ébrasements de portails. Elles forment comme les gardiens du temple. Leur posture est aussi solennelle et rigide qu’une troupe passée en revue par son général.
Les historiens de l’art désignent ces sculptures sous le nom de statues-colonnes. Colonnes parce que la silhouette de ces statues — tête droite, jambes serrées ou croisées, bras collés au corps — en reprend la forme. Colonne aussi parce que ces statues font corps avec une colonne en arrière-plan. On remarque beaucoup moins cette deuxième caractéristique. Le corps et la colonne sont façonnés en fait dans le même bloc de pierre. Cette disposition, assez spectaculaire, sera copiée dans beaucoup de cathédrales et grandes églises.
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6. Le Pilier des anges de Strasbourg
Me croirez-vous si je vous dis que ce pilier auquel sont accrochés douze personnages représente le Jugement dernier ? Comparez-le avec le tympan de Conques décrit précédemment. Il n’a rien à voir. Le Jugement est ici « verticalisé » et traité avec de véritables statues. Ces œuvres s’écartent aussi des statues-colonnes de Chartres. Le drapé est si fin qu’il laisse deviner le corps. Les personnages — anges, évangélistes et Christ — adoptent des postures plus recherchées et naturelles.
Ce Jugement dernier séduit incontestablement plus que celui de Conques, mais ce qu’il gagne en beauté, il le perd en efficacité pédagogique : le chrétien, voyant ce pilier, méditait-il sur la fin des temps et ses chances de salut ?
7. L’Adam de Paris
On pourrait croire à un Apollon tant cette statue respecte les canons esthétiques de l’Antiquité. Pourtant ce nu, daté de la seconde moitié du XIIIe siècle, n’ornait pas une demeure romaine, mais l’intérieur de la cathédrale de Paris. Aujourd’hui conservé au musée national du Moyen Âge, cet Adam prouve que :
1) les artistes n’ont pas attendu la Renaissance pour s’intéresser et copier les œuvres antiques.
2) ils savaient parfaitement reproduire l’anatomie d’un corps.
8. Saint Louis de Mainneville
Plus petite, plus traditionnelle, cette statue n’a pas le pouvoir de séduction de l’Adam de Paris. Elle mérite néanmoins de figurer dans cette liste, car elle porte dans son visage une révolution. L’artiste a osé faire un portrait ressemblant. Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, les sculpteurs ou les peintres ne s’en soucient pas. Pour faire un roi, ils reprennent un type conventionnel et lui ajoutent une couronne et un sceptre. Dans le cas de cette statue, l’auteur, anonyme, a sculpté une face émaciée, une mâchoire carrée, et des cheveux mi-longs, fidèlement à l’aspect du saint roi de France.
9. Le Puits de Moïse
Ce puits est en fait un groupe sculpté qui servait de base à un grand crucifix et qui trônait au centre d’un cloître.
Six statues de prophètes le constituent, mais vous ne voyez sur l’image que deux d’entre eux : Daniel (l’enturbanné) et Isaïe (le vieillard chauve). Admirez le naturel qu’a réussi à donner l’auteur, Claus Sluter, aux personnages. Né près d’Amsterdam, Sluter fait partie des meilleurs sculpteurs de la fin du Moyen Âge. On croirait que Daniel et Isaïe étaient en train de converser quand soudain l’artiste les a pétrifiés. Notez l’effort d’individualisation de chaque statue. Barbus tous les deux, les deux prophètes n’ont pourtant pas du tout la même barbe. Pareil pour les rides, la bouche, les joues, les oreilles…
10. La Vierge au raisin de Troyes
Constatant que ma galerie est essentiellement masculine, je m’empresse, parité oblige, de vous montrer une statue de la Vierge. C’est de loin la femme la plus représentée dans le monde catholique. Dans cette multitude, mon choix se porte vers cette aimable Vierge à l’Enfant du XVe ou XVIe siècle.
Marie sourit jusqu’aux yeux. Ses cheveux ondulent jusqu’au bas du dos. Et puis ces sourcils si délicats, ces mains si fines… Non, je vous le jure, je ne suis pas en train de tomber amoureux. Regardons plutôt sa robe, lourde et volumineuse, si bien qu’elle crée de puissants effets d’ombre et de lumière. Un oiseau picore la grappe de raisin devant l’Enfant Jésus. Ce détail pittoresque peut aussi bien renvoyer aux vignerons locaux (nous sommes en Champagne), qu’au sacrifice du Christ.
Voici pour ce parcours à travers quelques sculptures religieuses du Moyen Âge. Si vous voulez en ajouter à cette trop courte liste, la rubrique des commentaires vous est ouverte en bas de la page.
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