De février à avril 2022, la cathédrale de Paris a bénéficié de fouilles archéologiques à la faveur des travaux de reconstruction. Elles ont révélé une dizaine de sépultures et les fragments du jubé médiéval. Des découvertes qui ouvrent plusieurs perspectives de recherche.
À quelque chose, malheur est bon. En 2019, voir s’enflammer la charpente de Notre-Dame de Paris suscitait la tristesse et le désespoir. Aujourd’hui, les travaux de nettoyage et de restauration offrent l’opportunité de mieux étudier la cathédrale et d’accéder à des parties jusque-là cachées. Dont le sous-sol…
Viollet-le-Duc est déjà passé par là
En 2022, l’État a autorisé des fouilles préventives sur le secteur de la croisée du transept. Ce genre de fouilles se pratique habituellement lorsqu’un site est amené à être occupé par une nouvelle construction. Par exemple, quand on construit un lotissement sur une parcelle. À Notre-Dame, ce n’est pas l’objectif. En l’occurrence la croisée du transept sera recouverte d’une chape sur laquelle reposera un échafaudage de 100 m de haut. Le but : reconstruire la flèche de la cathédrale.
Il y a un siècle et demi, l’architecte des monuments historiques Viollet-le-Duc avait déjà exploré cette zone à la faveur de travaux de chauffage dans la cathédrale. En termes plus modernes, il avait spoilé (divulgâché) les résultats de la fouille actuelle. En 2022, les archéologues de l’INRAP (Institut national de recherche en archéologie préventive) n’attendaient donc pas de grandes surprises de l’opération. D’autant que la profondeur du creusement était limitée. Cependant les découvertes ne les ont pas déçues.
Deux sarcophages n’ont pas plombé l’ambiance
Sous un radier de grosses pierres, Christophe Besnier, archéologue responsable de la fouille, et son équipe, ont mis au jour des caveaux. Jusqu’au XVIIIe siècle, les églises étaient des cimetières intérieurs. Contre argent, il était courant d’enterrer certains défunts sous le pavement. Une place privilégiée dont les heureux occupants espéraient une place tout aussi intéressante au ciel. Seuls le haut clergé, les princes et de grands seigneurs bienfaiteurs pouvaient prétendre bénéficier d’une sépulture dans le sous-sol d’une cathédrale.
Parmi les caveaux, deux sépultures se distinguaient par leur forme et leur matériau : anthropomorphes (en forme humaine), les cercueils étaient faits de plomb, un métal utilisé pour les sépultures importantes à partir du XIVe siècle. (Décidément, ce plomb qui a tant posé de problèmes de salubrité lors du nettoyage des décombres se trouve un peu partout dans Notre-Dame). L’un des cercueils était percé d’un petit trou par lequel a été introduite une caméra endoscopique. Conclusion : le corps à l’intérieur est suffisamment préservé pour en étudier les restes organiques.
À bas le jubé
À l’occasion de cette fouille préventive, les archéologues ont aussi découvert des blocs sculptés : un torse, des têtes, des végétaux, des architectures miniatures… Ces éléments attiraient l’œil en raison de leur polychromie.
D’après la localisation de ces vestiges, il fait peu de doute que ces fragments appartiennent au jubé du Moyen Âge. L’intérieur de certaines cathédrales ou abbatiales était en effet partitionné par une grande clôture sculptée afin de séparer la nef, l’espace dévolu aux simples fidèles, du chœur, l’espace réservé aux clercs.
À partir du XVIIe siècle, ces jubés ont souvent été détruits en France afin d’ouvrir davantage le chœur des églises à la vue des fidèles. Notre-Dame de Paris n’a pas échappé à ce sort : sous le règne de Louis XIV, les chanoines ont démoli le jubé édifié vers 1230.
Qu’est-il devenu ? En fait on le sait depuis longtemps : lors de la création d’un système de chauffage souterrain, Viollet-le-Duc, le spoiler, avait retrouvé certains éléments sous la croisée du transept. Les dernières fouilles confirment donc leur enfouissement à cet emplacement.
D’un point de vue pratique, cette localisation se comprend : elle évitait de transporter les débris. Mais, à mon avis, ce n’est pas la seule raison. Dans d’autres églises, les autorités ecclésiastiques se débarrassaient de la même manière de statues jugées démodées, indécentes ou mauvaises. On les retrouve enfouies sous le sol ou dans le cimetière. Leur caractère sacré ou protecteur explique probablement leur conservation sur leur site d’origine.
À Notre-Dame, les fragments du jubé retrouvés en 2022 sont plus nombreux et plus importants que ceux dégagés par Viollet-le-Duc. Certaines pièces atteignent 400 kg, d’où la nécessité d’une grue pour les retirer du site. Car ces vestiges quittent Notre-Dame pour une nouvelle aventure.
Un puzzle à reconstituer
Les éléments du jubé — ainsi que l’un des sarcophages en plomb — sont actuellement étudiés en laboratoire afin de livrer tous leurs secrets. Les fouilles, réduites à neuf semaines, ne sont que l’étape initiale et brève pour une étude qui s’étalera probablement sur quelques années. Plusieurs perspectives de recherche s’ouvrent pour les archéologues et les scientifiques associés.
Concernant le jubé, l’objectif sera sûrement de restituer sa composition. Quelle était son iconographie ? Les quelques fragments étudiés suggèrent des scènes de la Passion. À défaut de pouvoir reconstituer l’intégralité du monument (il manquera fatalement des parties), attendez-vous bientôt à en voir une reconstitution numérique ou une maquette.
La polychromie sera aussi étudiée. Quels sont les composants employés dans la peinture ? Les archéologues ont déjà reconnu l’emploi de la feuille d’or et de lapis-lazuli, une pierre bleue d’origine afghane. Les commanditaires n’ont pas lésiné sur l’éclat du jubé.
L’illustre inconnu
Quant au sarcophage, il est parvenu jusqu’à l’institut médico-légal de Toulouse dans le but d’en autopsier le corps. Comme on peut le voir dans certaines séries policières. À cette différence que les médecins légistes préserveront le plus possible le défunt. De toute façon, ce patient ne devrait pas broncher. C’est pourquoi on le soumettra aussi à un scanner. L’examen nous révélera sûrement quelques informations sur son état de santé.
L’enjeu principal reste de deviner son identité. Ça n’a rien d’impossible. Grâce aux archives, certaines inhumations nous sont connues. De l’étude des cheveux ou de la peau sortira probablement un âge. Enfin, le corps est encore recouvert de fragments textiles. De fragiles indices qui devraient nous conduire à restituer le vêtement et, de là, la fonction du mort. Les spécialistes du textile sont en effet capables de distinguer, par exemple, les habits d’un chanoine, d’un évêque ou d’un prince.
Les recherches viennent de commencer. Elles peuvent s’étaler sur deux à quatre ans. Ne soyez pas découragé par ces délais. Vu l’attente du public, je ne serais pas étonné que l’INRAP partage rapidement ses premières découvertes. À suivre donc.
Pour en savoir plus
- « Notre-Dame : les révélations de l’archéologie », Archéologia, juin 2022.
- Mon article sur les jubés
- Reportage de l’INRAP Notre-Dame de Paris : fouilles préventive à la croisée du transept. Merci l’INRAP d’avoir montré au public ces découvertes.
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