Au Moyen Âge, les châteaux forts et les enceintes des villes se percent d’ouvertures de tirs afin de menacer l’approche des assiégeants. Ces meurtrières prennent le nom d’archères, d’archères-canonnières ou de canonnières selon l’arme utilisée par la défense. Comment les distinguer ?
À partir du XIIe siècle, la garnison d’un château ne se contente plus d’attendre que l’ennemi s’épuise dans des assauts répétés ou se lasse. Les forteresses passent en mode « défense active ». Archers, arbalétriers, puis artilleurs visent l’adversaire à travers des trous ménagés dans les tours ou les remparts.
Les formes de ces trous sont très diverses : archère simple, archère à étrier, archère en croix, archère-canonnière, canonnière à la française… La liste est plus longue que celle à envoyer au père Noël. Pour vous aider à reconnaître ces meurtrières, appuyez-vous sur les dessins et les photos qui suivent.
Aucun doute : les hommes sont inventifs quand il s’agit de tuer leur prochain.
Meurtrière, un mot désuet
Les meurtrières sont des ouvertures pratiquées dans les murs pour permettre aux défenseurs cachés derrière, de tirer flèches, carreaux et boulets sur l’assaillant. Les spécialistes des châteaux forts (les castellologues) n’emploient presque plus ce mot. Il fait « vieille école ».
Que lui reproche-t-on ? Son imprécision. Il peut aussi bien désigner des archères (utilisés par des archers ou des arbalétriers), des canonnières (utilisées par les artilleurs à poudre) que des archères-canonnières. Je les détaille plus bas.
Cependant, à titre personnel, ce terme me convient très bien. Déjà parce que les gens de la fin du Moyen Âge l’employaient. Un texte de 1417 évoque les « murdriers » de l’enceinte d’Harfleur en Normandie. Aussi parce que le mot regroupe commodément cette famille de fentes et d’orifices à l’abri desquels les soldats menaçaient l’assiégeant d’un château fort ou d’une ville. Pourquoi condamner aux oubliettes un mot aussi pratique ?
Les archères : la meurtrière la plus répandue
Les archères sont des fentes verticales ouvertes dans un mur afin que des archers tirent discrètement sur l’ennemi.
Des archères, vous en verrez sur la plupart des châteaux forts à tel point qu’elles font partie de leur image d’Épinal. Mais avez-vous remarqué leur variété, parfois leur degré de raffinement ?
Loin de se limiter à un trait vertical, la base de la fente peut s’évaser en un étrier ou en une bêche. Une disposition censée faciliter les tirs plongeants en direction des assiégeants qui s’aventurent au pied des murailles. Les bêches permettraient de glisser vers l’assaillant des projectiles incendiaires voire des fusées explosives. C’est en tout cas l’hypothèse du castellologue Alain Salamagne.
Des archères prennent même la forme d’une croix. À la fente verticale, s’ajoute donc une traverse. Son rôle ? Élargir le champ de vision du tireur et faciliter la visée. L’archer déclenche son tir quand la cible humaine passe dans l’intersection de la croix.
Les bâtisseurs ont même réussi à créer de belles archères. Regardez celles en croix pattée. Leur terminaison ressemble aux empâtements des caractères d’imprimerie.
Osez passer derrière le mur ; visitez une archère de l’intérieur. Là encore, vous constaterez des différences. Des archères se limitent à un ébrasement. D’autres sont précédées d’une niche.
Certaines archères présentent enfin un seuil descendant afin de viser l’ennemi dans le fossé. Bref, ces meurtrières méritent une observation attentive en façade comme en coulisses. Mais ces aménagements semblent peu efficaces.
Les arbalétrières, une identification controversée
Les arbalétrières sont des fentes… à l’usage de l’arbalète. Facile, non ?
Au regard des comptes, des inventaires, des règlements et des rapports de fouilles, l’arbalète était au Moyen Âge une arme plus couramment utilisée dans les forteresses que l’arc. Probablement par sa puissance supérieure.
Parce que rien ne vous protège contre son carreau (on ne parle pas de flèche pour les arbalètes, mais de carreau). Il peut transpercer une armure ou un bouclier. « Celui qui est atteint par l’un de ces coups est bien malheureux, car il meurt subitement sans même sentir le coup, tant il est violent », prévient la princesse byzantine Anne Commène au XIIe siècle.
En revanche, un arbalétrier, en raison du mécanisme de recharge de son arme, tire trois fois moins vite qu’un archer. Un défaut à prendre en compte.
À quoi ressemble une arbalétrière ? La réponse ne fait pas l’unanimité. Le castellologue Jean Mesqui affirme : « il n’y a aucune différence avec une archère ! » Même si les textes parlent tantôt d’archères, tantôt d’arbalétrières, les deux termes se vaudraient. Autrement dit, derrière une archère ou arbalétrière, le tireur pouvait manipuler indifféremment un arc ou une arbalète.
Un autre spécialiste Alain Salamagne, déjà mentionné, n’est pas d’accord. L’arbalétrière se caractériserait, à l’intérieur, par un muret, une allège. Dessus, l’arbalétrier posait sa lourde arme lors du tir. Qui a raison ? Je ne sais pas.
Là où ce petit groupe d’experts se rassemble, c’est pour contredire l’idée répandue que l’arbalétrière se reconnaîtrait par la fente en forme de croix. L’erreur est tentante. À l’arc, arme verticale, se rapporteraient les archères verticales. À l’arbalète, arme horizontale, correspondraient les archères en croix. Non, je le répète, le croisillon ne servait pas à loger l’arbalète ! C’était une aide à l’observation et à la visée. Les tireurs ne passaient pas leurs armes à travers les fentes. Ils se postaient en retrait.
Les archères-canonnières : au choix des armes
Les archères-canonnières sont des ouvertures de tir mixte : une fente permet de tirer à l’arc ou à l’arbalète (les armes à cordes) tandis qu’un orifice autorise l’emploi d’armes à feu.
En effet, à partir du XIVe siècle, la poudre fait son entrée sur les champs de bataille d’Occident. Face aux canons, les châteaux s’adaptent. D’anciennes archères sont percées d’un trou rond pour projeter des boulets tandis que les nouveaux châteaux renoncent aux archères en faveur des archères-canonnières. Selon Alain Salamagne, cette transformation se situe vers 1400 en France et dans les anciens Pays-Bas.
N’imaginez pas de gros calibres derrière ces orifices. Vous oubliez que l’arsenal de l’époque comprend des canons semi-portatifs comme les bâtons à feu, les veuglaires, les bombardes. Un homme peut les transporter à la main et les poser sur un chevalet ou un dispositif en bois fixe. Un diamètre de 10 à 20 cm suffit à faire passer la gueule du canon.
Les canonnières, la poudre pour répondre à la poudre
À la différence de l’archère-canonnière, la canonnière est uniquement destinée au tir des armes à feu. On les reconnaît à leur forme ronde, ovale ou rectangulaire.
Pour les châteaux, l’aménagement des canonnières est une question de survie, car, en face, l’adversaire fait cracher ses propres canons dont les boulets font ébouler murailles, mâchicoulis et merlons. Pour éliminer ces armes si dévastatrices, le château ou la ville fortifiée doivent riposter avec les mêmes moyens. Les sièges tendent à se transformer en duel d’artillerie, remisant aux placards les bonnes vieilles arbalètes et les échelles d’assaut. Beaucoup de forteresses deviennent obsolètes faute de s’adapter à cette nouvelle forme de guerre.
Malgré les ravages qu’elles provoquent, les canonnières posent trois problèmes :
- On leur donne parfois un large ébrasement pour faire pivoter le canon et balayer ainsi davantage de terrain alentour. Or, cette disposition fragilise les murs. Sous les coups de l’ennemi, la muraille risque l’effondrement.
- Ce large ébrasement menace les artilleurs du coup d’embrasure. Si vous avez déjà joué au flipper, vous comprendrez facilement ce danger mortel. L’assiégeant tire un boulet vers la canonnière, le projectile ricoche à l’intérieur de l’embrasure jusqu’à pénétrer dans le trou et frapper les défenseurs qui se croyaient un peu à l’abri.
- Les fumées et le gaz, provoqués par l’explosion de la poudre, envahissent la niche, menaçant les servants d’asphyxie.
Les ingénieurs réfléchissent à des parades.
Les canonnières à la française
Devant ces dangers, les bâtisseurs de châteaux et d’enceintes urbaines répandent, à partir du dernier quart du XVe siècle, une solution made in France : la canonnière en X. Voici son portrait : un ébrasement à l’intérieur comme à l’extérieur, l’orifice de tir se situant à l’intersection de la croix. Le mur gagne en solidité et les coups d’embrasure, sans disparaître, deviennent moins mortels.
Dans le même souci de protéger les artilleurs, les niches de tir s’accompagnent d’abri sur le côté. Les hommes s’y réfugient au moment de la mise à feu au cas où la pièce d’artillerie exploserait. En cette fin du Moyen Âge, il ne faut pas accorder une totale confiance en la solidarité des éléments composant le canon.
Enfin, pour faciliter l’évacuation des fumées, on perce le plafond des embrasures d’une sorte de conduit de cheminée, les évents. L’archéologue Maxime Messner que j’ai interrogé a néanmoins constaté la rareté de ces dispositifs.
Voilà pour ce tour d’horizon des meurtrières. Récapitulons.
En résumé
- À partir du XIIe siècle, les meurtrières apparaissent dans les murs des châteaux et des enceintes. Elles permettent de tirer à l’arbalète et à l’arc tout en protégeant relativement le tireur.
- La distinction arbalétrière/archères fait débat. Pour certains spécialistes, les deux termes désignent la même chose.
- Dans les châteaux, les défenseurs privilégient l’arbalète par rapport à l’arc.
- Pour faciliter les tirs, le dessin des ouvertures des archères/arbalétrières se complique : à la fente verticale, s’ajoute un étrier ou une bêche à la base, un croisillon au milieu…
- Avec la diffusion du canon, les meurtrières se transforment en archères-canonnières (pour un tir mixte) ou en canonnière (pour le tir exclusivement d’armes à poudre). On les reconnaît à leur orifice rond, rectangulaire ou ovale.
- L’intérieur de ces meurtrières mérite un coup d’œil. Au-delà de l’ébrasement, elles peuvent intégrer une allège, une niche, voire une grande niche (une chambre de tir) quand il s’agit de canon
Après la lecture de cet article, vous aurez donc fort à faire lorsque vous visiterez un château. Observez les ouvertures de tir, notez leur variété et devinez l’arme utilisée. N’oubliez pas de regarder l’intérieur de ces archères, archères-canonnières et canonnières. Imaginez comment les soldats s’y tenaient et ce qu’ils voyaient.
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