Parmi tous les vices, le clergé du Moyen Âge vitupérait surtout contre la luxure, le fameux péché de chair. Il a trouvé un excellent relais à son discours moralisateur : la pierre.
Parmi les sept péchés capitaux, la luxure figure en première position au Moyen Âge. Et pour cause : c’est celui que l’on retrouve le plus fréquemment représenté dans la sculpture des églises romanes et gothiques. Vous avez donc tout intérêt à savoir le repérer lors de vos prochaines visites !
Péché | Occurrences |
Luxure | 77 |
Avarice | 53 |
Colère | 23 |
Gourmandise | 9 |
Nombre de sculptures du Moyen Âge évoquant des péchés, d’après l’Index of Christian Art.
Les représentations abondantes de la luxure témoignent d’un clergé soucieux d’avertir les fidèles, à grand renfort d’images, de ce danger spirituel. L’historien Laurent Guitton note d’ailleurs que ce thème irrigue non seulement la sculpture, mais aussi les sermons, le théâtre religieux et les poèmes moralisateurs du Moyen Âge.

Bon et mauvais sexe
Petite précision utile avant d’aborder les images : la luxure, ce n’est pas le goût du luxe, mais le goût du sexe — plus précisément du mauvais sexe. Car pour l’Église, il y a un bon et un mauvais usage de la sexualité. Comme il y a le bon et le mauvais chasseur selon un sketch [in]connu🙂. La luxure, c’est donc la sexualité débridée, celle qui recherche le plaisir plutôt que la procréation. La notion peut être étendue à la lubricité (penchant effréné pour les plaisirs charnels), les actes contre nature (homosexualité, inceste), et plus largement la concupiscence, c’est-à-dire le désir des plaisirs sensuels. Voilà pour le vocabulaire.

Contrairement à une idée reçue, les représentations de la luxure ne s’adressent pas seulement aux fidèles. Dans le contexte de la réforme religieuse dite grégorienne aux XIe et XIIe siècles, elles visent aussi les clercs. L’historien Florian Mazel rappelle que l’Église mène alors une lutte interne contre le nicolaïsme. Non, ce n’est pas la tendance à appeler ses enfants Nicolas. Le mot désigne en fait le refus du célibat par certains clercs, qui vivent en concubinage avec femmes et enfants. Cette tolérance relative disparaît progressivement, au profit d’un idéal de pureté et de chasteté.
Des femmes, des serpents et quelques crapauds
Dans ce contexte, les images de la luxure fleurissent jusque dans les petites églises. Mais encore faut-il savoir les décrypter, car elles ne sont pas toujours évidentes. De manière générale (désolé mesdames), la luxure est incarnée par des figures féminines. De là à en conclure que les femmes seraient les principales responsables du péché… il n’y a qu’un pas, que les artistes n’hésitent pas à franchir.
L’iconographie la plus célèbre montre une femme dont les seins sont mordus — ou sucés — par des serpents ou des crapauds. Ces figures apparaissent fréquemment dans les scènes du Jugement dernier, où les luxurieuses sont précipitées en enfer.

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L’interprétation de ces femmes reste cependant discutée. L’historien de l’art Raphaël Guesuraga se demande s’il ne s’agit pas plutôt de la représentation de mères indignes (prostituées, femmes adultères ou concubines de clercs).
Plus explicites, certaines sculptures montrent une femme — ou parfois un homme — avec un serpent qui s’enroule autour des jambes. Chacun comprendra l’allusion sexuelle.

La luxure peut aussi se glisser dans la représentation de femmes tentatrices : poitrine généreuse, chevelure flottante. On dénonce ici moins la luxure que la lubricité, ce péché d’incitation.
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Dans cette catégorie, on trouve aussi les sirènes. Dans la mythologie grecque, elles attiraient les marins par leur chant. Le christianisme les récupère pour avertir les croyants contre les séductions de la chair. Ces sirènes, souvent poisson par le bas, exhibent leur belle chevelure, se mirent parfois dans un miroir — symbole de vanité et de coquetterie. Preuve que la tentation peut avoir une longue queue (il m’échappe parfois des jeux de mots regrettables).

Quelques hommes et des animaux
La femme devient ainsi appât, piège, instrument du diable pour faire tomber l’homme. Pas très flatteur pour vous, chères lectrices…
Cette vision misogyne me rappelle un chapiteau de l’abbatiale de Vézelay en Bourgogne. La sculpture met en scène un démon tenter saint Benoît en lui présentant une femme. Exceptionnellement, le tailleur de pierre a légendé son image : au-dessus du démon — mais aussi de la femme — est inscrit « diabolus ». La femme est donc assimilée au diable.

Mesdames, vous pourrez trouver un peu de consolation dans un chapiteau de la basilique Saint-Sernin de Toulouse : on y voit deux démons torturer un homme précisément là où il a péché. Justice est faite.

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Il arrive aussi que l’homme accompagne la femme dans ces scènes : les deux se tiennent par la main ou se caressent. Car on ne tombe pas dans la luxure tout seul (quoique… les plaisirs solitaires existent).

Plus incertaines, certaines représentations animales sont peut-être aussi des allusions sexuelles. Le chien, l’âne, le cochon, le bouc : tous sont accusés de céder à leurs bas instincts, notamment de laisser cours à une frénésie sexuelle.
Enfin, Laurent Guitton, déjà évoqué, pose une question intrigante : et si certains musiciens sculptés sur les églises étaient en réalité des symboles de luxure ? Les joueurs de flûte ou de cornemuse, par leur geste et la forme de leur instrument, pourraient bien cacher une allusion à certains organes…

Plus aucune représentation de la luxure ne devrait vous échapper lors de votre prochaine visite d’église. Et si vous en dénichez une particulièrement croustillante, n’hésitez pas à la signaler en commentaire 🙂 Enfin, au cas où vous ne l’êtes pas, abonnez-vous à mon infolettre du dimanche afin de lire tout ce que je ne publie pas sur ce site (c’est-à-dire l’essentiel).
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