L’art funéraire dans les églises : de la dalle gravée au splendide tombeau

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Laurent Ridel

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En plus d’être des lieux de culte, les églises ont longtemps été des lieux d’inhumation. Malgré des moyens différents, chaque dalle gravée, chaque gisant, chaque tombeau sert un même dessein : gagner l’immortalité. 

Les sculpteurs des églises ne se sont pas contentés de ciseler des statues de saints ou des chapiteaux de piliers. Ils ont également travaillé à immortaliser les morts au travers de leurs tombeaux. Jusqu’à la Révolution, quelques clercs et laïcs, fortunés ou particulièrement pieux, ont en effet eu le privilège d’être enterrés au sein de l’enceinte sacrée. Il est facile d’imaginer les statues de saints, rougissant de jalousie face à certaines magnifiques œuvres d’art funéraire.

Monument funéraire de Philibert le Beau, duc de Savoie
Monument funéraire de Philibert le Beau, duc de Savoie (début XVIe siècle), dans le monastère de Brou (Ain).

Des tombes dans les églises : une exception

Avant de vous ériger en spécialiste des tombeaux, il convient de noter que l’Église a longtemps rechigné à l’idée d’inhumer les corps à l’intérieur de l’église ; la règle était de les envoyer six pieds sous terre dans un cimetière. Mais dans les faits, les dérogations étaient nombreuses. Dans les monastères, on accordait par exemple une place pour un abbé remarquable ou pour le seigneur fondateur. Les laïcs pressaient l’Église pour un assouplissement de la règle d’inhumation dans les églises. De la même façon que certaines discothèques huppées, tout le monde mourrait d’envie d’y entrer. Quand le roi de France Philippe 1er demanda l’autorisation d’être enterré dans l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, comment les moines pouvaient-ils lui dire non ? C’était leur souverain tout de même !

Inhumation dans la nef d'une église
Inhumation dans la nef d’une église, enluminure du manuscrit Roman de Girart de Roussillon en prose par Jean Wauquelin, 1448-1460, fol. 374, Bibliothèque nationale d’Autriche

Et puis, l’Église plia d’autant que les enterrements intra-muros étaient une bonne affaire pour les églises paroissiales, les collégiales, les abbayes et les couvents mendiants. Selon l’historien de l’art Xavier Dectot, il s’agissait d’une « activité lucrative pour les établissements religieux qui les accueillaient ». En effet, les testaments ne les oubliaient pas. Résultat, au cours du Moyen Âge, le sous-sol de l’église s’ouvrit de plus en plus pour les dépouilles des clercs, des nobles et même des bourgeois.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans certaines régions, on en arriva à un point où seuls les défunts les plus misérables n’eurent pas leur place dans l’église, mais au cimetière. Les enterrements intra-muros étaient si nombreux que les fosses se recoupaient : il fallait pousser les os du précédent locataire…   

Le choix du lieu d’inhumation

Cet élargissement social ne satisfaisait pas les plus puissants et les plus riches. Dans une société pointilleuse sur les hiérarchies, cette élite souhaitait se différencier du commun des mortels. La localisation au sein de l’église devient alors une grande affaire. Et là, c’était comme au spectacle : les places les plus recherchées étaient devant. À savoir dans le chœur, au pied de l’autel. Le mort bénéficiait ainsi des offices religieux et éventuellement de la proximité de reliques, des avantages pour son salut.

À vrai dire, à moins d’être clerc, roi ou fondateur de l’église, il y avait très peu de chances d’occuper ce secteur particulièrement sacré. La plupart des tombes devaient se contenter d’une place dans la nef. À moins d’être suffisamment riche pour bâtir sur le flanc de l’église une chapelle funéraire.

Outre la localisation de la sépulture, l’élite sociale cherchait à se distinguer par la forme qu’elle donne à sa tombe.

Les tombes basiques

En général, au Moyen Âge, aucun signe n’indiquait la tombe dans l’église. Seule une poignée de défunts matérialisait leur sépulture. À vous, dans vos prochaines visites, d’en différencier les différentes formes. Commençons par deux types simples : la plaque et la dalle funéraires.

Pierre tombale de Nicolas Flamel
Plaque funéraire ou pierre tombale de Nicolas Flamel et son épitaphe (XVe siècle), musée du Moyen Âge, Paris.

La plaque funéraire est un bloc de pierre insérée dans la maçonnerie. Dessus, on peut lire une épitaphe et/ou un bas-relief. L’épitaphe, souvent en latin, rappelle le nom du défunt, ses vertus et parfois ses dispositions testamentaires (par exemple le nombre de prières et de messes dont il bénéficiera). Parfois, le texte appelle aussi les vivants à la prière.

« Ici gist, Agnès de Viry, abbesse de Morienval

Qui que tu sois, passes,

Arrête-toi.

Là pleure, je suis ce que tu seras ;

J’ai été ce que tu es,

Prie pour moi, je t’en supplie »

Pierre tombale d’Agnès de Viry (morte en 1203), dans l’église de Morienval (Oise), épitaphe traduite du latin.

À partir du XIIe siècle, ce type de discours se répand avec la croyance dans le purgatoire. Au sein de cet espace intermédiaire entre paradis et enfer, les âmes, ni totalement mauvaises, ni parfaites seraient coincées. Pour en sortir, le mort doit compter sur les messes que l’on célèbre pour lui, mais aussi sur les prières des passants. D’où l’importance des épitaphes.

À la différence de la plaque, la dalle funéraire ou plate-tombe recouvre le sol d’une église. Y est gravée assez souvent l’effigie du défunt en attitude de prière. Des dalles se contentent d’une grande croix sculptée en bas-relief. Là encore une épitaphe faisant la périphérie de la dalle peut inviter à la prière.

Dalle funéraire de Julianne Charbonnel Orbec
Dalle funéraire de Julianne Charbonnel, dans l’église d’Orbec (XIVe siècle). Notez les mains jointes en prière, les armoiries, le cadre architectural et l’épitaphe.

Mais, dans vos visites, vous avez sûrement été attiré par une forme funéraire plus sculptée.

Comment regarder un gisant ?

Dans la société médiévale, les plus puissants bénéficient d’un tombeau en élévation. Le gisant en est la forme la plus courante. Le défunt est représenté couché. Parce que oui, la mort, c’est épuisant.

Cette grille d’analyse devrait vous aider à mieux saisir les particularités de chaque œuvre :

Localisation du gisantDans le chœur, dans la nef, dans une chapelle funéraire, dans la crypte. Attention, le tombeau a pu être déplacé pour un remploi ou pour une meilleure mise en valeur.
ArchitectureÀ l’intérieur d’un enfeu (niche dans le mur) ou isolé
MatériauxCalcaire, marbre, albâtre, parfois en bois ou en métal
FormeGisant sur dalle, sur cuve (épais soubassement), dans un édicule (structure architecturée)
Portrait du défuntRessemblant, idéalisé (dans la fleur de l’âge), transi (marqué par l’âge et/ou en voie de décomposition).
Position de l’effigieGénéralement, le défunt est allongé sur le dos, les mains jointes, la tête sur un coussin. Notez les variantes comme la main sur le cœur. Parfois le gisant laisse place au priant (le défunt est agenouillé en prière)
Habits et attributsNudité, en chevalier (armure, casque…), en roi (sceptre, couronne), en homme ou femme humble (vêtements simples), en clerc (crosse, mitre…)
Éléments accompagnant le défuntAnges, livre, armoiries, animaux (lion, chien…), pleurants, saints, allégories…
Gisant Saint-Paul-de-Léon
Gisant de René de Rieux, évêque de Saint-Pol-de-Léon (Finistère). Remarquez le monstre terrassé par la crosse. La cuve est ornée de deux anges portant les armoiries du défunt.

Les tombeaux monumentaux des princes

À regarder l’importance de certains tombeaux, on comprend qu’il ne s’agit pas seulement de commémorer le défunt, mais de le glorifier. Aux XVe et XVIe siècles, cet objectif de célébration produit des chefs-d’œuvre à la hauteur du prestige et du statut social de leurs commanditaires.

Au XVIe siècle, le roi de France François 1er commande un magnifique tombeau pour ses prédécesseurs, Louis XII et sa femme Anne de Bretagne. Ce monument, à étages, est installé dans la basilique Saint-Denis, nécropole des Capétiens. Au 1er niveau, on aperçoit à travers une structure architecturée les gisants des deux souverains nus et saisis au moment de leur dernier râle. Autour d’eux, les 12 apôtres et 4 allégories forment un cortège funéraire de pierre. Au sommet du monument, trônent les effigies intemporelles du couple royal en prière. Comme si les défunts avaient triomphé de la mort. Un tel tombeau les élève au-dessus des autres sépultures et célèbre le pouvoir royal.

Tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne
Tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne (XVIe siècle) dans la basilique Saint-Denis. Ma photo cache malheureusement presque la reine à cause l’angle de profil.

Ces œuvres d’art sont de petites architectures qui nécessitent beaucoup de travail. Le tombeau commandé en 1381 par le duc de Bourgogne Philippe le Hardi est terminé presque 30 ans plus tard. Entre temps, trois sculpteurs se sont succédé, les deux premiers fauchés par la mort avant d’avoir achevé l’œuvre.  

Encore plus grand : le mausolée

Mais il semble que ces tombeaux n’étaient pas encore assez grands pour leur commanditaire.

Pour les rehausser, on les recouvre par exemple d’un dais architecturé.

Au XVIIIe siècle, quelques monuments adoptent la formule grandiose du mausolée. Le mort est représenté dans une scène abondamment sculptée et architecturée.

Mausolée Maréchal de Saxe
L’impressionnant mausolée du maréchal de Saxe dans l’église Saint-Thomas de Strasbourg.

Œuvre du sculpteur Pigalle, le mausolée du maréchal Maurice de Saxe dans l’église Saint-Thomas de Strasbourg est une scène dramatiquement théâtrale. Il montre le maréchal en pleine forme, retenu par l’allégorie de la France. Des drapeaux brisés, un aigle, un lion, et un léopard évoquent les pays vaincus par ce militaire. La Mort est représentée sous les traits d’un squelette qui attend en bas que le maréchal daigne bien descendre dans sa tombe.  

L’art funéraire se déplace dans les cimetières

En résumé, du XIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, on assiste à une monumentalisation des tombes à l’intérieur des églises. Alors que les plus modestes formes consistent en une dalle ou une plaque funéraire, les plus riches commanditaires s’orientent vers le gisant ou des tombeaux comparables à de petites constructions architecturales. De nos jours, la majorité de ces œuvres d’art ont disparu. D’un côté, les dalles, foulées au pied, se sont effacées ; de l’autre les tombeaux monumentaux ont souvent été brisés lors des guerres de Religion et de la Révolution.

Mais, depuis 1776, l’art funéraire a dû prendre l’air. Pour des raisons de salubrité publique, il était désormais interdit de se faire enterrer sous le pavé. Tout le monde ou presque était rejeté au-dehors. La concurrence entre tombeaux se transféra dans le cimetière. Et ça, il faudra bien aussi que je vous en parle…

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L’AUTEUR

Laurent Ridel

Ancien guide et historien, je vous aide à travers ce blog à décoder les églises, les châteaux forts et le Moyen Âge.

Ma recette : de la pédagogie, beaucoup d’illustrations et un brin d’humour.

Laurent Ridel

10 réponses à “L’art funéraire dans les églises : de la dalle gravée au splendide tombeau”

  1. Avatar de Evelyne et André JOLY
    Evelyne et André JOLY

    passionnant comme toujours, un grand merci

  2. Avatar de Jean Pierre Misset
    Jean Pierre Misset

    instructif comme toujours, et avec le rappel que l’église a témoigné de préoccupations relevant plus de la cupidité que de la foi. En tous cas, point d’égalité, on prolonge la séparation en puissants et autres aussi loin que possible.

  3. Avatar de bezard
    bezard

    Encore une fois de belles découvertes!!Le monde est ainsi fait et ce n’est pas prés de changer les puissants d’abord dans les religions comme
    ailleurs.
    Merci de nous enrichir…l’esprit avec votre savoir.

  4. Avatar de Alain-François
    Alain-François

    merci pour ce document…..très vivant.

  5. Avatar de jalouneix
    jalouneix

    Claire et intéressante explication bien lllustree
    Merci
    Martine J.

  6. Avatar de HENNEBERT
    HENNEBERT

    Bravo pour cet article sur les chanceux d’être « enterrés » dans les églises, les archéologues en ont compté plus de 273 (de mémoire) sous le pavage de la cathédrale d’Amiens..
    Certains ont un simple pierre gravée comme le maréchal espagnol chef de l’occupation espagnole d’Amiens vers 1594… siège épique
    Un ami architecte et archéologue (+) se plaisait à montrer avec des baguettes de cuivre, la sphère « spirituelle » au dessus des théologiens enterrés dans ce lieu….
    Cordialement

  7. Avatar de André Laeremans
    André Laeremans

    je me souviens d’une visite à Saint Denis, il n’y avait quasiment personne….moi et les gisants superbe expérience

  8. Avatar de Mireille Schaedgen
    Mireille Schaedgen

    des chefs d’oeuvre purs comme le tombeau de Bossuet à Meaux ou celui de Christophe Colomb à Séville ; il y en a un dans une église de village près de chez moi , celui du duc de Joyeuse près de Vouziers ; j’ai des photos qq part mais je suppose que vous n’en manquez pas
    Dans l’église que je connais par coeur se trouvent 3 personnes non identifiées sous les dalles ; plusieurs radiesthésistes me les ont situées mais laissons les en paix , les rechercher ne servirait qu’à la curiosité
    Bonne continuation

  9. Avatar de JANNY Yves
    JANNY Yves

    Bonsoir Laurent,
    C’est toujours avec autant d’intérêt et d’emressement que je lis tes différents articles.
    Je suis surpris que parmi res différentes références tu’ n’aies pa cité les différentes tombes de la cathédrale de Lisieux en particulier celle de LEONORD II DE MATIGNON -évêque mort en 1714.
    Elle se situe juste au pied de l’autel offert par monsieur Martin, en marbre blanc, de forme rectangulaire sans ornement mais avec une longue inscription – un extrait de cette dernière :
    Ici repose dans l’attente de la résurrection bienheureuse de Léonor de Matignon, évêque de Lisieux, deuxi-ème de nom. Sa vertu personnelle donna un plus grand éclat à l’antique gloire de ses ancètres… – référence Les Tombeaux de la Cathédrale de Lisieux par V . LAHAYE.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Ah, ah ! Yves, tu as l’art de publiciser la cathédrale de Lisieux dans tous mes articles.

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