En plus d’être des lieux de culte, les églises ont longtemps été des lieux d’inhumation. Malgré des moyens différents, chaque dalle gravée, chaque gisant, chaque tombeau sert un même dessein : gagner l’immortalité.
Les sculpteurs des églises ne se sont pas contentés de ciseler des statues de saints ou des chapiteaux de piliers. Ils ont également travaillé à immortaliser les morts au travers de leurs tombeaux. Jusqu’à la Révolution, quelques clercs et laïcs, fortunés ou particulièrement pieux, ont en effet eu le privilège d’être enterrés au sein de l’enceinte sacrée. Il est facile d’imaginer les statues de saints, rougissant de jalousie face à certaines magnifiques œuvres d’art funéraire.
Des tombes dans les églises : une exception
Avant de vous ériger en spécialiste des tombeaux, il convient de noter que l’Église a longtemps rechigné à l’idée d’inhumer les corps à l’intérieur de l’église ; la règle était de les envoyer six pieds sous terre dans un cimetière. Mais dans les faits, les dérogations étaient nombreuses. Dans les monastères, on accordait par exemple une place pour un abbé remarquable ou pour le seigneur fondateur. Les laïcs pressaient l’Église pour un assouplissement de la règle d’inhumation dans les églises. De la même façon que certaines discothèques huppées, tout le monde mourrait d’envie d’y entrer. Quand le roi de France Philippe 1er demanda l’autorisation d’être enterré dans l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, comment les moines pouvaient-ils lui dire non ? C’était leur souverain tout de même !
Et puis, l’Église plia d’autant que les enterrements intra-muros étaient une bonne affaire pour les églises paroissiales, les collégiales, les abbayes et les couvents mendiants. Selon l’historien de l’art Xavier Dectot, il s’agissait d’une « activité lucrative pour les établissements religieux qui les accueillaient ». En effet, les testaments ne les oubliaient pas. Résultat, au cours du Moyen Âge, le sous-sol de l’église s’ouvrit de plus en plus pour les dépouilles des clercs, des nobles et même des bourgeois.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans certaines régions, on en arriva à un point où seuls les défunts les plus misérables n’eurent pas leur place dans l’église, mais au cimetière. Les enterrements intra-muros étaient si nombreux que les fosses se recoupaient : il fallait pousser les os du précédent locataire…
Le choix du lieu d’inhumation
Cet élargissement social ne satisfaisait pas les plus puissants et les plus riches. Dans une société pointilleuse sur les hiérarchies, cette élite souhaitait se différencier du commun des mortels. La localisation au sein de l’église devient alors une grande affaire. Et là, c’était comme au spectacle : les places les plus recherchées étaient devant. À savoir dans le chœur, au pied de l’autel. Le mort bénéficiait ainsi des offices religieux et éventuellement de la proximité de reliques, des avantages pour son salut.
- Lire aussi : Les reliques, trésors sacrés des églises.
À vrai dire, à moins d’être clerc, roi ou fondateur de l’église, il y avait très peu de chances d’occuper ce secteur particulièrement sacré. La plupart des tombes devaient se contenter d’une place dans la nef. À moins d’être suffisamment riche pour bâtir sur le flanc de l’église une chapelle funéraire.
Outre la localisation de la sépulture, l’élite sociale cherchait à se distinguer par la forme qu’elle donne à sa tombe.
Les tombes basiques
En général, au Moyen Âge, aucun signe n’indiquait la tombe dans l’église. Seule une poignée de défunts matérialisait leur sépulture. À vous, dans vos prochaines visites, d’en différencier les différentes formes. Commençons par deux types simples : la plaque et la dalle funéraires.
La plaque funéraire est un bloc de pierre insérée dans la maçonnerie. Dessus, on peut lire une épitaphe et/ou un bas-relief. L’épitaphe, souvent en latin, rappelle le nom du défunt, ses vertus et parfois ses dispositions testamentaires (par exemple le nombre de prières et de messes dont il bénéficiera). Parfois, le texte appelle aussi les vivants à la prière.
« Ici gist, Agnès de Viry, abbesse de Morienval
Qui que tu sois, passes,
Arrête-toi.
Là pleure, je suis ce que tu seras ;
J’ai été ce que tu es,
Prie pour moi, je t’en supplie »
Pierre tombale d’Agnès de Viry (morte en 1203), dans l’église de Morienval (Oise), épitaphe traduite du latin.
À partir du XIIe siècle, ce type de discours se répand avec la croyance dans le purgatoire. Au sein de cet espace intermédiaire entre paradis et enfer, les âmes, ni totalement mauvaises, ni parfaites seraient coincées. Pour en sortir, le mort doit compter sur les messes que l’on célèbre pour lui, mais aussi sur les prières des passants. D’où l’importance des épitaphes.
À la différence de la plaque, la dalle funéraire ou plate-tombe recouvre le sol d’une église. Y est gravée assez souvent l’effigie du défunt en attitude de prière. Des dalles se contentent d’une grande croix sculptée en bas-relief. Là encore une épitaphe faisant la périphérie de la dalle peut inviter à la prière.
Mais, dans vos visites, vous avez sûrement été attiré par une forme funéraire plus sculptée.
Comment regarder un gisant ?
Dans la société médiévale, les plus puissants bénéficient d’un tombeau en élévation. Le gisant en est la forme la plus courante. Le défunt est représenté couché. Parce que oui, la mort, c’est épuisant.
Cette grille d’analyse devrait vous aider à mieux saisir les particularités de chaque œuvre :
Localisation du gisant | Dans le chœur, dans la nef, dans une chapelle funéraire, dans la crypte. Attention, le tombeau a pu être déplacé pour un remploi ou pour une meilleure mise en valeur. |
Architecture | À l’intérieur d’un enfeu (niche dans le mur) ou isolé |
Matériaux | Calcaire, marbre, albâtre, parfois en bois ou en métal |
Forme | Gisant sur dalle, sur cuve (épais soubassement), dans un édicule (structure architecturée) |
Portrait du défunt | Ressemblant, idéalisé (dans la fleur de l’âge), transi (marqué par l’âge et/ou en voie de décomposition). |
Position de l’effigie | Généralement, le défunt est allongé sur le dos, les mains jointes, la tête sur un coussin. Notez les variantes comme la main sur le cœur. Parfois le gisant laisse place au priant (le défunt est agenouillé en prière) |
Habits et attributs | Nudité, en chevalier (armure, casque…), en roi (sceptre, couronne), en homme ou femme humble (vêtements simples), en clerc (crosse, mitre…) |
Éléments accompagnant le défunt | Anges, livre, armoiries, animaux (lion, chien…), pleurants, saints, allégories… |
Les tombeaux monumentaux des princes
À regarder l’importance de certains tombeaux, on comprend qu’il ne s’agit pas seulement de commémorer le défunt, mais de le glorifier. Aux XVe et XVIe siècles, cet objectif de célébration produit des chefs-d’œuvre à la hauteur du prestige et du statut social de leurs commanditaires.
Au XVIe siècle, le roi de France François 1er commande un magnifique tombeau pour ses prédécesseurs, Louis XII et sa femme Anne de Bretagne. Ce monument, à étages, est installé dans la basilique Saint-Denis, nécropole des Capétiens. Au 1er niveau, on aperçoit à travers une structure architecturée les gisants des deux souverains nus et saisis au moment de leur dernier râle. Autour d’eux, les 12 apôtres et 4 allégories forment un cortège funéraire de pierre. Au sommet du monument, trônent les effigies intemporelles du couple royal en prière. Comme si les défunts avaient triomphé de la mort. Un tel tombeau les élève au-dessus des autres sépultures et célèbre le pouvoir royal.
Ces œuvres d’art sont de petites architectures qui nécessitent beaucoup de travail. Le tombeau commandé en 1381 par le duc de Bourgogne Philippe le Hardi est terminé presque 30 ans plus tard. Entre temps, trois sculpteurs se sont succédé, les deux premiers fauchés par la mort avant d’avoir achevé l’œuvre.
Encore plus grand : le mausolée
Mais il semble que ces tombeaux n’étaient pas encore assez grands pour leur commanditaire.
Pour les rehausser, on les recouvre par exemple d’un dais architecturé.
Au XVIIIe siècle, quelques monuments adoptent la formule grandiose du mausolée. Le mort est représenté dans une scène abondamment sculptée et architecturée.
Œuvre du sculpteur Pigalle, le mausolée du maréchal Maurice de Saxe dans l’église Saint-Thomas de Strasbourg est une scène dramatiquement théâtrale. Il montre le maréchal en pleine forme, retenu par l’allégorie de la France. Des drapeaux brisés, un aigle, un lion, et un léopard évoquent les pays vaincus par ce militaire. La Mort est représentée sous les traits d’un squelette qui attend en bas que le maréchal daigne bien descendre dans sa tombe.
L’art funéraire se déplace dans les cimetières
En résumé, du XIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, on assiste à une monumentalisation des tombes à l’intérieur des églises. Alors que les plus modestes formes consistent en une dalle ou une plaque funéraire, les plus riches commanditaires s’orientent vers le gisant ou des tombeaux comparables à de petites constructions architecturales. De nos jours, la majorité de ces œuvres d’art ont disparu. D’un côté, les dalles, foulées au pied, se sont effacées ; de l’autre les tombeaux monumentaux ont souvent été brisés lors des guerres de Religion et de la Révolution.
Mais, depuis 1776, l’art funéraire a dû prendre l’air. Pour des raisons de salubrité publique, il était désormais interdit de se faire enterrer sous le pavé. Tout le monde ou presque était rejeté au-dehors. La concurrence entre tombeaux se transféra dans le cimetière. Et ça, il faudra bien aussi que je vous en parle…
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