L’héraldique est la science et l’art des armoiries. Elles sont partout : dans les châteaux et dans les églises, jusque sur les flyers des communes ou des régions. Comme les hiéroglyphes, elles exercent la même séduction visuelle mais laissent le visiteur souvent démuni sur leur sens. Et si on décodait tout cela ?
Apparues au XIIe siècle, les armoiries sont des signes graphiques aux couleurs vives et souvent contrastées. Sous un certain angle, leur forme évoque nos logos à cette différence qu’elles n’incluent ni texte (sauf dans leurs ornements extérieurs) ni dégradés colorés. Au lieu d’identifier une entreprise, toutes armoiries renvoient à un individu, une famille ou une collectivité.
Si vous en voyez gravées au-dessus de l’entrée d’un château, vous pouvez deviner l’ancien propriétaire des lieux à condition de la déchiffrer. De même dans les églises : des armoiries peintes sur un vitrail ou sculptées sur une clé de voûte orientent sur le nom du généreux mécène.
Il est donc utile d’avoir quelques notions d’héraldique, la science qui étudie les armoiries. Quelles sont leurs règles de composition ? Comment traduire leur langage qui fleure bon le Moyen Âge ?
Armoiries pour tous !
Clarifions d’abord le vocabulaire. À tort, on préfère employer le mot « blason » à « armoiries ». L’héraldiste, le spécialiste des armoiries, en sera froissé. Il vous reprendra en vous expliquant que le blason avait un autre sens au Moyen Âge (la réponse se trouve quelques paragraphes plus bas, histoire de ménager un peu de suspense). Vous pourriez même fâcher notre éminent expert si vous cumulez les deux erreurs suivantes.
La première est de croire que les armoiries étaient un privilège de la noblesse. Si leurs premiers détenteurs étaient bien des rois et des princes, elles se sont diffusées dans le reste de la société au cours du Moyen Âge. Si bien que des ecclésiastiques, des femmes et même des paysans pouvaient blasonner. Le droit ne leur interdisait pas.
Au XVe siècle, la multiplication des armoiries a tourné à la folie. Des collectivités comme les villes ou les corps de métiers ont voulu à leur tour posséder les leurs. Certains héraldistes se sont même amusés à imaginer les armoiries de héros littéraires (les chevaliers de la Table ronde). Jésus, qui n’avait jamais vu d’armoiries de sa vie, en a reçu d’office au Moyen Âge ! Reconnaissez son écu chargé d’un agneau ou des instruments de la Passion. Bilan : dans la France de 1790, deux tiers des armoiries n’appartenaient pas à des nobles.
Révision sur l’origine des armoiries
Il y a encore une dizaine d’années, d’éminents héraldistes vous expliquaient que les armoiries étaient nées sur le champ de bataille et les lices de tournoi. Les combattants étaient devenus méconnaissables à cause du casque et de la capuche de mailles métalliques qui protégeaient leur tête. Pour les identifier au cœur de la mêlée, leur bouclier fut peint de figures géométriques, animales ou florales : les armoiries faisaient leur entrée dans l’histoire. Deuxième erreur.
Interviewé dans un podcast, l’historien Laurent Hablot qualifie cette explication de « romantique ». Non, les armoiries ne pouvaient pas être des moyens de reconnaissance efficaces. Il aurait fallu que les combattants connaissent les armes héraldiques de tous leurs adversaires. Dans la bataille, ils ne pouvaient pas donner un coup d’épée d’une main tout en consultant de l’autre leur annuaire de l’héraldique pour savoir sur qui ils tapaient. Et de toute façon, qu’auraient-ils identifié ? Les écus, portés de biais, maculés de boue et abîmés par les chocs, n’étaient sûrement pas très lisibles.
Les armoiries sont plutôt un moyen de se distinguer et de proclamer une identité. Un peu comme les noms de famille qui se développent à la même époque. Le combattant affirme sa place dans la société, son appartenance à un lignage (s’il reprend les armoiries familiales) ou son dévouement comme vassal (s’il adopte les armes de son seigneur).
Ces considérations étant faites, commençons l’apprentissage.
Notions de base en héraldique
Maîtriser l’héraldique revient à apprendre une nouvelle langue. La description d’armoiries nécessite en effet la connaissance d’un vocabulaire spécifique qui, vestiges du vieux français, n’est souvent plus employé de nos jours. Concrètement, si vous envisagez de devenir un bon héraldiste amateur, il vous faudra apprendre environ 900 termes comme vair, dextrochère ou lampassé. Cette langue technique a un nom : le blason (c’est donc ça le vrai sens de ce mot).
N’attendez donc pas un miracle au terme de cet article. Il vous restera encore beaucoup à apprendre avant d’être capable de lire des armoiries. Pour le moment, essayez de comprendre la logique du langage héraldique.
Les armoiries prennent souvent place dans une sorte de bouclier, un écu. Le fond (le « champ ») est fréquemment coloré. La palette se réduit principalement à 7 couleurs, chacune désignée par du jargon.
Pour être tout à fait exact, on ne parle pas de couleurs en héraldique, mais de métaux (or et argent) et d’émaux (les 5 restantes).
Sur ce fond coloré, on ajoute traditionnellement un ou plusieurs types de figures :
- Des partitions (c’est-à-dire de grandes divisions des armoiries)
- Des figures géométriques (cercle, losange, croix, bande diagonale, chevron…)
- Des figures animées : végétales, animales, humaines ou fantastiques
- Des objets (une arme…) ou une architecture (une tour…)
Ces figures peuvent occuper une bonne partie de la surface des armoiries ou se loger dans un secteur. D’où le recours à un champ lexical permettant de préciser la localisation : les points de l’écu. Par exemple, on ne dit pas qu’une croix se situe dans le coin en haut à droite, mais « au canton senestre du chef ». Traduction qui vous laisse probablement pantois(e). Je le répète : l’héraldique, c’est une nouvelle langue.
Une langue avec quelques faux-amis : par exemple, la droite (« dextre ») et la gauche (« senestre ») sont inversées dans l’héraldique, car les directions sont vues non pas du spectateur (vous), mais du porteur des armoiries. Ceux/celles qui confondent la gauche et la droite partent donc avec un avantage 😊
Pour vous entraîner, je vous commente 5 armoiries, de la plus simple à la plus longue en description (3 lignes !).
Lire des armoiries : un exemple simple
Installés au pied des Alpes, les comtes d’Albon étaient seigneurs du Dauphiné. Raison pour laquelle ils finirent par porter le titre de dauphin et à peindre sur leurs armoiries un dauphin. On parle ici d’armoiries parlantes : leur dessin fait allusion au nom de la famille qui les porte.
Elles se décrivent ainsi : « d’or au dauphin d’azur, crêté, barbé, loré, peautré et oreillé de gueules ». Le début ne pose pas de difficulté. On commence toujours par définir le fond (le champ) : ici il est d’or (donc jaune). Ensuite, on décrit la bête : c’est un « dauphin d’azur », donc bleu. Mais il a des traits particuliers, tous de gueules (rouge) : « crêté, barbé, loré, peautré » désignent ses différentes nageoires selon leur position sur le corps. « Oreillé » désigne les branchies. Vous voilà armé(e) pour discuter avec un pêcheur de sa belle prise : « Oh, que votre poisson est bien peautré ! » (traduction : il a une belle queue !)
Mis à part les caractéristiques physiques du dauphin, les armes des seigneurs du Dauphiné forment un cas simple. Les blasons se compliquent au fil des siècles en conséquence de la multiplication des propriétaires : chacun doit trouver — en théorie — des armes uniques pour éviter la confusion avec une autre famille.
Des armoiries pacifiques ?
Ce sont les armoiries des premiers ducs de Lorraine : « d’or, à la bande de gueules, chargée de trois alérions d’argent ». Explications. D’abord le fond (le champ), qui est d’or (donc jaune). Puis on passe aux grandes formes ou divisions géométriques. Ici, il s’agit d’une bande diagonale descendante, comme l’écharpe d’un maire ou d’une miss France. À l’inverse, si la bande montait, nous aurions dû l’appeler « barre ». Quelle subtilité !
La couleur de ladite bande est « de gueules », donc rouge. Elle porte 3 figures animales : des alérions. On croirait des aigles : tout à fait sauf que bizarrement ils ne portent ni bec ni griffes. Les ducs de Lorraine cherchaient-ils ainsi à affirmer leur non-agressivité à l’égard de leurs voisins ? Car le choix des motifs est éminemment symbolique.
Notez que la description des armoiries ne précise pas l’emplacement des alérions. On peut s’en dispenser à partir du moment où leur emplacement est naturel. Il n’y a pas 36 façons de répartir 3 alérions sur une bande.
Des armoiries au lion
Voici les armoiries de la famille normande d’Estouteville : « Burelé d’argent et de gueules au lion de sable, armé, lampassé et couronné d’or ». Le fond est particulier : il est hachuré horizontalement en dix parties. On dit alors « burelé ». Selon le nombre de hachures, l’adjectif change ! Je vous épargne le nom des variantes.
Ensuite, la description s’attarde sur la description du lion, car l’animal peut être représenté de dizaines de façons. Autant être précis. Dans notre cas, il est d’abord de sable (noir). Mais les détails en or (jaune) ne sont pas oubliés : l’animal est armé (c’est-à-dire qu’il montre ses griffes), lampassé (il tire la langue, le vilain) et couronné (là, vous comprenez).
Après le dauphin et l’aigle, voici encore un animal. Le lion figure souvent sur les armoiries royales ou chevaleresques en raison de son statut de roi des animaux et de sa réputation de puissance et de courage. Les créateurs de blason l’ont manipulé dans tous les sens : il peut regarder à droite, ou vous fixer (dans ce dernier cas, on le nomme léopard). Au lieu de se lever sur ses pattes postérieures, il peut marcher. Il peut aussi être assis, accroupi, lever la patte. Il n’y a que l’héraldique pour dresser un lion comme un chien.
Des armoiries aux figures géométriques
Avec cet exemple de la famille bretonne de Cahouët, ça se complique : « D’azur au sautoir dentelé d’or, accompagné de quatre besants de même, au chef d’or, chargé d’un chevron de gueules renversé ». Mettons de l’ordre dans cette description : l’écu se divise en deux parties. On commence toujours par décrire la partie la plus importante. Celle-ci est d’azur (bleu) au sautoir (croix en « x ») dentelé d’or. Entre les bras, on a intercalé des besants (des sortes de pièces de monnaie). L’expression « de même » évite de rappeler la couleur précédente (« d’or »).
Pour la deuxième partie, la description doit préciser sa localisation, le « chef », autrement dit la zone supérieure. À l’intérieur, le chevron est dit renversé, car un chevron normal, comme ceux du logo Citroën, pointe vers le haut.
Vous commencez sûrement à vous en rendre compte : trois couleurs — or, azur et gueules — ont beaucoup de succès dans les armoiries. Grâce à une enquête statistique, l’historien de l’héraldique Michel Pastoureau a mis en avant des modes : au fil des siècles, l’azur supplante par exemple le gueules.
Des armoiries composées
Mais pourquoi Antoine de Bourbon, le père d’Henri IV, a-t-il choisi des armoiries aussi compliquées ? Ce n’est pas pour vous embrouiller. On appelle cela des armoiries composées : elles sont formées de plusieurs armoiries. Comme beaucoup d’autres princes à son époque, Antoine de Bourbon a voulu fièrement réunir sur son écu ses différents titres. Or, son mariage et ses héritages l’ont particulièrement bien doté. Il était roi de Navarre (d’où les chaînes), vicomte du Béarn (d’où les vaches) et duc de Bourbon-Vendôme (d’où les fleurs de lys, les Bourbons étant une branche cadette des rois capétiens).
Du fait de ses quatre parties, la description est forcément plus longue : « écartelé, en 1 et 4 de gueules aux chaînes d’or posées en orle, en croix et en sautoir, chargées en cœur d’une émeraude au nature, en 2 d’azur aux trois fleurs de lys d’or à la bande de gueules, en 3 d’or aux deux vaches de gueules, accornées, colletées et clarinées d’azur, passant l’une sur l’autre ». Vous pouvez souffler !
Le mot le plus important est le premier, « écartelé », c’est-à-dire partitionné en 4. Pour indiquer ensuite laquelle des parties est décrite, on utilise des numéros reprenant le sens de lecture : la partie 1 est obligatoirement en haut à gauche. Justement en 1, la chaîne d’or est posée en orle, en croix et en sautoir, c’est-à-dire respectivement, en faisant le tour, en croix grecque et en croix en x. En 2, rappelez-vous la bande de gueule : c’est une bande descendante rouge alors qu’une barre est ascendante. En 3, la vache (qui rit) est aussi bien décrite que le lion précédemment : elle est accornée, colletée (elle a un collier) et clarinée (elle porte une cloche). Le tout est bleu. Preuve que les peintres héraldiques ne reculent devant aucune fantaisie.
Le but de ces descriptions normalisées est qu’à leur énoncé, deux artistes composent les mêmes armoiries, tant au niveau des couleurs, des formes et de la disposition.
Ne soyez pas découragé(e) devant la précision de la description et la technicité du vocabulaire. Oui, la langue du blason est absconse, mais heureusement, de très bons livres sont là pour vous expliquer visuellement les règles de composition et les termes obscurs.
Apprendre à lire et à identifier des armoiries
Une pépite se trouve sur le site de la Société française d’héraldique et de sigillographie : la version en ligne de Les armoiries. Lecture et identification, par Emmanuel de Boos. Il vous suffit de cliquer pour le lire entièrement et gratuitement. Ce fascicule numérique vous donne les notions générales d’héraldique et des conseils pour identifier des armoiries. Vous ne pourrez pas vous passer du glossaire illustré.
Si vous préférez le papier, je vous signale les livres suivants :
- Claude Wenzler, Le guide de l’héraldique. Histoire, analyse et lecture des blasons, Ouest-France, 2002
- Michel Froger, L’héraldique. Histoire, blasonnement et règles, Ouest-France, 2012.
- Patrice de la Perrière et Stéphane Rossini, Le blason : langage de l’héraldique, Dervy, 2018.
- Michel Pastoureau, L’art héraldique au Moyen Âge, 2009 (beau livre plutôt que manuel de l’héraldique)
J’espère que vous regarderez désormais plus attentivement les armoiries. Commencez par étudier celles de votre commune ou de votre région.
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