Chefs-d’œuvre oubliés : les secrets cachés des églises

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Laurent Ridel

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Archéologues, historiens de l’art ou simples particuliers font des découvertes inattendues dans les églises modestes ou les grandes cathédrales. Récits de quelques surprises.

saint Jean de Chaalis.
En 1911, Nélie Jacquemart-André, collectionneuse et peintre, achète à Paris cette peinture représentant saint Jean. Sans provenance et sans auteur, le panneau est présenté comme une œuvre de l’école florentine du XVe siècle. Après recherches d’historiens de l’art, il s’avère que l’auteur est le plus célèbre peintre du Moyen Âge, Giotto. A voir à l’abbaye-musée de Chaalis (Oise)

Il n’y a pas besoin de remonter très loin pour trouver des découvertes qui ont excité les chercheurs et le public en général. En 2022, les archéologues de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) fouillent la croisée du transept, au centre de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Deux sarcophages en plomb sont mis au jour. Le premier défunt est vite identifié grâce à une plaque gravée portant son nom. Facile ! Il s’agit d’Antoine de La Porte, un chanoine contemporain de Louis XIV.

Le second défunt reste longtemps anonyme. Ce n’est qu’en étudiant ses ossements au CHU (Centre hospitalier universitaire) de Toulouse que les chercheurs commencent à lever le voile. Premier indice révélé : la déformation de son squelette trahit un cavalier, probablement un noble.

Éric Crubézy, archéologue et médecin —Le Monde l’a surnommé « le Sherlock Holmes du monde des morts » — avance en 2024 une hypothèse audacieuse. D’après des signes de maladie observés sur le squelette, ce mystérieux personnage pourrait être… Joachim du Bellay. Oui, le poète de la Pléiade, célèbre pour ses Regrets. On sait qu’il souffrait de méningite chronique et qu’il fut enterré dans la cathédrale. L’identification fait rêver, mais elle reste encore à confirmer.

Lire aussi : Notre-Dame de Paris : enjeux des fouilles archéologiques

Quelques décennies plus tôt, la cathédrale avait aussi fait l’actualité pour une autre découverte.

Les rois décapités

En 1977, dans le 9ᵉ arrondissement de Paris, des travaux de fondations révèlent un trésor insolite : 300 fragments de sculptures, essentiellement des têtes couronnées abîmées. Beaucoup ont perdu leur nez, et les yeux ont été martelés. Pourquoi tant de haine ? Pour comprendre, il faut remonter à la Révolution française, période où casser des statues était aussi à la mode que porter des bonnets phrygiens.

Les rois de Juda
Les rois de Juda, XIIIe siècle, musée du Moyen Âge, Paris

Ces têtes, les archéologues les identifient rapidement : ce sont les rois de Juda, ancêtres du Christ et figures de l’Ancien Testament. Mais à l’époque révolutionnaire, ces subtilités bibliques n’intéressaient guère les saccageurs. Pour eux, ces rois représentaient surtout les Capétiens, la dynastie royale française. Et en 1793, en pleine fureur républicaine et après l’exécution de Louis XVI, tout signe rappelant la royauté devait être effacé de la vue. Or, la façade de la cathédrale Notre-Dame de Paris montrait une galerie des rois de Juda. Une provocation ! Ces statues furent donc détruites… ou presque.

Un inconnu, peut-être moins zélé que les autres, les a enfouies pour les protéger, nous permettant deux siècles plus tard, de les retrouver par hasard.

Le tableau de maître qui dormait dans une église

Je voudrais vous faire part d’une découverte qui me touche particulièrement, car elle eut lieu dans le village voisin de mon enfance. En 1945, Jean Philippot, architecte parisien, pédale sur les routes de la commune de Bois-Anzeray (Eure), lorsqu’une averse s’abat. Obligé de trouver refuge, il pousse la porte de la modeste église du village.

À l’intérieur de l’église, en attendant que la pluie cesse, Jean Philippot passe le temps en observant les lieux. Ses yeux tombent alors sur une grande peinture, aussi haute qu’un homme, accrochée sur l’un des murs. Le tableau est en piteux état, mais le sujet et le style attirent son attention. « Mais c’est un La Tour ! », s’exclame-t-il.

Georges de La Tour, ce célèbre peintre du 17ᵉ siècle, adulé par Louis XIII en personne.

Intrigué, Jean Philippot prévient son ami Jacques Dupont, inspecteur des Monuments historiques. Dupont, expert en la matière, confirme rapidement l’intuition de l’architecte : il s’agit bien d’un chef-d’œuvre de Georges de La Tour. La nouvelle se répand rapidement et met ce petit coin de Normandie sous le feu des projecteurs.

Tableau de Georges de la Tour
Saint Sébastien soigné par Irène, Georges de la Tour, vers 1649, musée du Louvre (Web art Gallery)

Mais voilà, posséder un La Tour, c’est une chose. Offrir de bonnes conditions de conservation, c’en est une autre. La mairie de Bois-Anzeray, faute de moyens, décide de vendre le tableau à la Société des Amis du Louvre. La somme récoltée ? Un million de francs, une fortune à l’époque.

Cet argent a permis à la commune de financer la construction d’une salle des fêtes (j’ai dû y fêter un mariage ou un autre événement). La transaction provoqua quelques protestations dans l’Eure. Les habitants avaient l’impression d’être une fois de plus « pillés » par la capitale.

Sous les enduits

Tomber sur un tableau de maître, c’est exceptionnel, découvrir des peintures murales cachées, c’est devenu un classique ces dernières décennies : un enduit tombe, on déplace un mobilier, on fait des travaux et se révèlent des figures peintes au Moyen Âge. Histoire qu’on retrouve dans les cathédrales de Bourges, de Cahors, d’Angers, de Poitiers… mais dans de nombreuses églises modestes.

Lire aussi : Les peintures murales dans les églises. Interview de l’historienne Roselyne Fouques.

Cathédrale de Poitiers
Anges musiciens. Dans les années 2010, on découvre ces peintures sur les voûtes du transept de la cathédrale de Poitiers.

Souvent au XVIIIe siècle, le clergé a badigeonné les murs dans un souci d’uniformisation de l’intérieur. L’opération a recouvert les peintures romanes et gothiques. On ne s’en plaindra pas vraiment. Par ironie du sort, ce geste iconoclaste a permis de préserver ces œuvres fragiles des ravages du temps.

Le miracle d’Autun

Les peintures ne sont pas les seules à jouer à cache-cache.

En 1766, les chanoines de la cathédrale, peu sensibles à l’art roman, décidèrent de couvrir de plâtre, la partie supérieure du portail (le tympan). Les sculptures, qu’ils jugeaient laides, ne correspondaient pas à leurs goûts esthétiques. Décision discutable, certes, mais qui allait paradoxalement sauver ce chef-d’œuvre.

Tympan de la cathédrale Saint-Lazare d'Autun
Tympan de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun, XIIe siècle.

Quelques décennies plus tard, des fanatiques révolutionnaires s’attaquèrent aux églises ou plus précisément aux sculptures religieuses. Mais à Autun, le tympan caché traversa cette période tumultueuse en toute discrétion.

Ce n’est qu’en 1837 que les restaurateurs, dégageant le plâtre, découvrirent avec émerveillement un chef-d’œuvre de l’art roman.

Les « momies » de Saint-Bonnet-le-Château

En 1837, alors que des travaux de rénovation sont en cours dans la collégiale Saint-Bonnet-le-Château (Loire), les ouvriers tombent sur une découverte macabre : un caveau rempli d’une trentaine de corps. Certains sont si bien conservés qu’ils sont encore en chair et en os. Dans le bourg, on les surnomme rapidement les « momies », bien qu’elles soient loin d’être des momies égyptiennes en bandelettes.

Les "momies" de Saint-Bonnet-le-Château (Loire). Wikimedia Commons.
Les « momies » de Saint-Bonnet-le-Château (Loire). Wikimedia Commons.

L’inspection des dépouilles ajoute une couche d’étrangeté. Beaucoup montrent des signes de morts violentes : blessures à l’arme blanche, cages thoraciques brisées, visages figés dans des grimaces de douleur. Naturellement, les habitants se rappellent le sinistre baron des Adrets, célèbre pour ses massacres de catholiques pendant les guerres de Religion. L’affaire semble entendue : voilà les victimes de ce terrible personnage.

Mais la science vient chambouler cette hypothèse. Des analyses au carbone 14 révèlent que ces morts datent d’après 1650, soit un siècle après les méfaits du baron. L’identité des victimes reste encore un mystère, tout comme les raisons de leur massacre. Tout ce que l’on sait, c’est que ces hommes et femmes, pour la plupart jeunes et de statut aisé, ont péri collectivement.

Quand un roi finit au poulailler

Un autre exemple insolite nous emmène dans la campagne picarde, près d’Amiens, en 1839. Cette fois, pas de caveau macabre découvert, mais un panneau peint représentant une scène des plus prestigieuses : le sacre de Louis XII en 1498.

Louis XII reçoit les insignes de son pouvoir royal : couronne, anneau, épée, éperons… peinture sur bois, 1501, musée du Moyen Âge, Paris.

Ce panneau, qui faisait autrefois partie d’un triptyque commandé pour la décoration de la cathédrale d’Amiens, n’aurait jamais dû quitter un cadre aussi noble. Et pourtant, c’est dans un endroit bien moins glorieux qu’il a été retrouvé : il servait… de porte à un poulailler ! J’ignore si le coq, roi de la basse-cour, jalousait la présence du roi de France.

En tout cas, l’œuvre a survécu à ce remploi spécial. À voir au musée du Moyen Âge à Paris.

Et demain ?

Régulièrement, des trouvailles surgissent à la faveur de fouilles archéologiques, de chantiers d’urbanisme ou de travaux de restauration. Parfois, il suffit de regarder différemment les objets sous les yeux.

Encore un exemple récent, mais en Égypte : des archéologues ont réétudié les inscriptions abîmées sur le sarcophage d’un grand prêtre égyptien. De cette analyse, ils ont compris avoir affaire à un remploi du sarcophage de Ramsès II ! On conservait sans le savoir le tombeau du plus célèbre pharaon.

Attendons-nous à d’autres surprises.

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L’AUTEUR

Laurent Ridel

Ancien guide et historien, je vous aide à travers ce blog à décoder les églises, les châteaux forts et le Moyen Âge.

Ma recette : de la pédagogie, beaucoup d’illustrations et un brin d’humour.

Laurent Ridel

7 réponses à “Chefs-d’œuvre oubliés : les secrets cachés des églises”

  1. Avatar de Andrée GUISLIN
    Andrée GUISLIN

    Si j’en crois le documentaire écouté, hier soir, sur Arte, l’identité du 2e corps découvert dans le transept de Notre-Dame, n’est plus confirmée comme appartenant à du Bellay.
    Andrée de l’Eure

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      A suivre…

  2. Avatar de de Beaunay
    de Beaunay

    Merci de votre message dominical.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Beaucoup de choses à dire dans l’infolettre d’aujourd’hui.

  3. Avatar de Thomas BERTRAND
    Thomas BERTRAND

    Merci pour cet article très instructif qui dit bien que notre pays, et plus largement l’Europe entière, regorge encore de trésors insoupçonnés. Un bémol toutefois quant à l’identification du poète Joachim du Bellay. S’il est fort plausible que ce soit bien lui, certains chercheurs demeurent plus sceptiques et précautionneux, attendant des analyses plus poussées. Je crois qu’un article du Monde le relève. En tout cas, merci pour votre fantastique travail de vulgarisation rigoureux et poussant toujours plus à la curiosité. Soutien et encouragements.

    1. Avatar de Laurent Ridel
      Laurent Ridel

      Merci pour ces infos. On attendra donc des nouvelles. En tout cas, vu la position de la tombe dans la cathédrale, le personnage doit être assez notable.

      1. Avatar de CORDONNIER
        CORDONNIER

        Merci de vos partages et anecdotes. Je suis toujours émerveillée et attentive à vos nouvelles et réponses de vos supporters. Les dimanches sont toujours attendus. Cordialement, Paule

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