Au Moyen Âge, les sièges de châteaux et de villes sont souvent coûteux en vie et en argent. Face à des sites bien défendus, voire imprenables, les assaillants recourent à d’autres solutions que les armes. Loin d’être anecdotiques, ces tactiques fonctionnent plus ou moins bien.
Dans notre imaginaire du Moyen Âge, on aime croire que les châteaux forts et les villes se prennent par assaut. On pense à des soldats qui se bousculent aux échelles. On pense à des chevaliers qui se ruent vers le pont-levis. On imagine des remparts qui s’effondrent sous le choc des boulets. Du calme, du calme. Notre esprit s’enflamme.
En réalité, les chefs militaires ont conscience de la difficulté de prendre de force un château. Avant la diffusion de l’artillerie à feu, il est toujours plus facile de défendre que d’attaquer une place forte. Autrement dit, mieux vaut se trouver derrière des murailles que s’exposer devant.
Je vous en parlais déjà dans cet article : prendre un château par la porte : mission impossible ?
Handicapés par leur position, les assaillants n’ont d’autres choix que d’explorer des tactiques plus subtiles et parfois peu honorables.
Le blocus, une voie incertaine
Réduire la garnison par la faim ou par la soif, voilà une solution apparemment efficace. Il suffit d’attendre et la place tombera comme un fruit mûr. Prenez conscience de toutes les difficultés de cette tactique.
En général, les assiégés se préparent à cette éventualité. Ils amassent des vivres en quantité dans le château. Quand la situation alimentaire se tend, ils expulsent les « bouches inutiles ». Extrémité à laquelle recourent les Anglo-Normands de Château-Gaillard, assiégé en 1203-1204 par le roi de France Philippe Auguste. Comme les Français refusent aussi de les accueillir, les malheureux errent dans les fossés et meurent de faim. Après de six mois de siège, Château-Gaillard tient encore malgré le blocus.
Déjà, l’auteur antique Végèce prévenait : « il y a plus de sciences à réduire l’ennemi par la faim que par le fer ». Un blocus réussi demande un fort investissement : fortifier son camp, faire face à des armées de secours ou à des sorties de la garnison, tenir la campagne alentour pour empêcher tout ravitaillement.
Plus le blocus dure, plus l’armée s’expose aux maladies habituelles des camps militaires, telle la dysenterie. Résultat, les blocus échouent souvent. Les assaillants finissent par lever le siège.
La trahison, la voie risquée
Dans toutes forteresses assiégées, il se trouve parfois quelqu’un prêt à trahir. Surtout quand on fait miroiter au traître une forte somme d’argent ou quand on lui assure un pardon de ses fautes passées.
Dans la mentalité noble, la trahison est pourtant odieuse. Elle est une insulte à cette valeur si prisée au Moyen Âge : la loyauté. On attend notamment une fidélité du vassal à l’égard de son seigneur.
Cependant, dans la guerre de Cent Ans, dans la guerre entre Plantagenêt et capétiens, les chroniqueurs recensent de multiples volte-face chez les nobles et les maîtres de forteresses. Preuve que le déshonneur n’arrête pas les félons.
Qu’ils fassent attention. S’ils sont capturés, ils ne s’en sortent pas indemnes. En 1088, Robert Quarrel est retranché dans la forteresse de Saint-Céneri, aux confins de la Normandie et du Maine. Ce traître est assiégé par son seigneur Robert Courteheuse, duc de Normandie. La place se rend faute de vivres (ici le blocus a marché). Pour punition de sa trahison, Robert Quarrel a les yeux crevés et ses compagnons d’infortune, un membre amputé. Moralité : il ne faut pas fâcher Robert Courteheuse.
La négociation, la voie confortable
La négociation est certainement la voie la plus courante pour prendre un château ou une ville. Les assiégés acceptent de se rendre, après « composition ». Selon les atouts entre leurs mains, ils peuvent s’en tirer plus ou moins bien. Dans le pire des cas, ils obtiennent seulement le droit à la vie sauve. Dans les situations plus favorables, ils évacuent la forteresse en gardant leurs armes et leurs bagages (et donc leurs vivres et les biens pillés). Mieux, certains chefs de garnison sont convaincus de partir contre le versement d’une forte somme d’argent. Un siège peut donc rapporter gros, même pour celui qui capitule.
Dans les années 1370-1380, le roi de France se résout à cette solution face aux routiers. Attention, je ne parle pas de camionneurs, retranchés derrière des semi-remorques. Pendant la guerre de Cent Ans, les routiers sont des soldats que les trêves et les traités de paix ont mis au chômage. Ils se sont rassemblés et placés sous l’autorité d’un chef, écument les routes pour piller et rançonner les petites villes et les campagnes. Bref, ces routiers-là ne sont pas sympas.
Charles VI, le roi de France, envoie Jean d’Armagnac négocier avec eux. Efficace, le comte d’Armagnac traite le problème par lot. À Rodez, en 1387, ils s’accordent avec 16 capitaines routiers, maîtres d’au moins trente forteresses en Rouergue. Ils acceptent d’arrêter leurs méfaits puis d’évacuer progressivement leurs places contre 240 000 francs. Une somme probablement énorme, mais difficile à évaluer pour moi ; j’avais déjà du mal à comprendre quand ma grand-mère me parlait en anciens francs.
La ruse, la voie insuffisante
Le code chevaleresque condamne la traîtrise, mais aussi la ruse. Mais il est courant que les combattants s’assoient sur leurs principes selon le vieil adage : la fin justifie les moyens, aussi vils soient-ils.
Parmi les grands rusés de l’histoire de France, il faut citer du Guesclin. Grâce à son biographe Cuvelier, nous connaissons son plan pour s’emparer du château du Grand-Fougeray, alors en main anglaise.
D’abord, du Guesclin s’appuie toujours sur le renseignement. Il essaie de connaître son adversaire, ses manœuvres, ses forces et faiblesses. En capturant un valet, il apprend deux informations exploitables : le capitaine et une partie de la garnison sont absents et les quelques-uns restants sont en attente d’une livraison de bois de chauffage. Du Guesclin va le leur livrer…
Lui et trente compagnons se déguisent en bûcherons et se chargent de fagots et de bourrées. Quelques-uns ont même revêtu un jupon pour passer pour de pauvres femmes. Les autres se tiennent cachés près de l’entrée, prêts à bondir. Lorsque la bande approche, la garnison abaisse son pont-levis. Les faux bûcherons déposent leur chargement de bois et en extirpent des armes. Ils se rendent maîtres de la porte. Le reste des compagnons s’engouffre dans le château.
Vaguement poète, Du Guesclin s’exclame en direction des Anglais : « Fils de putains, voilà du bois que vous payerez cher : c’est pour chauffer votre bain, mais c’est de votre sang que je remplirai la baignoire ». Et le Breton de donner des coups de hache à ses adversaires. La ruse ne dispense pas d’utiliser la force au final.
L’arme psychologique, la voie miraculeuse
« Là où Attila passe, l’herbe ne repousse plus ». La terrible réputation du chef des Huns est arrivée jusqu’à nous. Imaginez alors combien les populations de son époque tremblaient à l’annonce de son approche. Le Moyen Âge connaît d’autres combattants qui découragent toute résistance. Au premier rang, Jeanne d’Arc.
Par son âge, son sexe et son inexpérience guerrière, cette jeune femme ne devait même pas effrayer une chèvre. Et pourtant, les Anglais l’ont revêtue d’une telle aura surnaturelle que sa présence dans les armées de Charles VII fit des miracles. Des places fortes se rendirent sans combattre. « De lions, les soldats devenaient des agneaux », atteste l’évêque Martin Berruyer, un contemporain.
Nul besoin d’un chef redoutable ou terrible pour ouvrir les portes. Sous le règne de Louis XI, l’armée royale fait forte impression par son nombre et son armement lors de la conquête de l’Artois. Les habitants de Landrecies (Nord) en sont victimes : « quand ils sentirent l’approche du roy, le bruit de son armée, le son de ses engins [des canons] et la reddition des villes voisines, ils furent tant étonnés qu’ils abandonnèrent la ville et le château » raconte le chroniqueur Jean Molinet. Dans ces conditions, la conquête devient du gâteau.
En effet, à partir du XVe siècle, les rapports de forces militaires se déséquilibrent : les princes les plus puissants se dotent en artillerie à poudre. Par leur puissance de feu, ils écrasent les défenses des petites villes et des châteaux forts. Face à des adversaires aussi bien armés, les défenseurs préfèrent jeter le gant sans combattre.
Sur l’apparition des armes à feu dans les sièges, lisez cette interview de l’archéologue Maxime Messner.
Néanmoins, le roi Louis XI ne compte pas seulement sur sa bruyante artillerie : afin d’affamer les villes du Nord, il envoie ses soldats faucher les champs de blé alentour. Plutôt que la faucille et le marteau, les travailleurs de l’armée française en la fin du Moyen Âge penchent pour la faux et le canon.
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