Dans les sculptures ou les vitraux, l’art religieux laisse une place au diable, l’incarnation du mal. Comment les artistes ont-ils réussi à traduire son caractère vicieux et laid ? Bienvenue dans une galerie des horreurs.
La ville italienne de Ravenne est la capitale européenne de la mosaïque. La basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf illustre ce savoir-faire : ses murs sont couverts de superbes mosaïques datées du VIe siècle. Parmi ces œuvres, on trouve une scène que les touristes négligent à cause de sa mauvaise visibilité.
On y voit le Christ encadré de deux anges.
Deux anges ? Peut -être pas tout à fait. L’ange bleu serait en fait Satan. Pourtant, avec ses ailes, son geste amical de la main, son auréole sainte, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Sa couleur (le bleu est plutôt négatif dans l’Antiquité) invite toutefois à se méfier des apparences.
Dans l’histoire de l’art, c’est la première représentation du diable. Comment l’art religieux est-il passé de cette image peu inquiétante à l’apparence que l’on connaît : un monstre ?
De l’intérêt du diable
Le diable (« celui qui divise ») figure déjà dans la Bible. Mais il revêt différents noms. Le livre d’Isaïe évoque Lucifer, un ange orgueilleux qui s’est révolté contre Dieu. Punis, lui et ses partisans appelés démons, chutent du Ciel. Dans le Nouveau Testament, des juifs citent Belzébuth (ou Béelzébul), « le prince des démons ». On trouve aussi le nom de Satan, du Malin ou de l’Antéchrist.
Malgré ces multiples versions, le diable n’est pas une figure centrale au début du christianisme.
À partir de l’an 1000 environ, les clercs du Moyen Âge le rendent omniprésent. Il s’avère bien pratique : il donne un visage au mal et il offre un adversaire à l’Église. Un adversaire constamment défait (autant que l’équipe de football d’Andorre, pour faire une comparaison sportive). Face au Christ et aux saints, le diable finit par battre en retraite, être terrassé ou emprisonné.
Dernier intérêt du personnage : il explique pourquoi tant de fidèles tombent dans le péché. Ses mauvais conseils et ses semences de discorde égarent hommes et femmes.
Comment faire un diable ?
La représentation du diable pose cependant un problème qu’explique l’historienne de l’art Sandrine Molinié : évoqué dans les Évangiles, « il ne possède ni corps ni visage, mais seulement une voix […] Aucun auteur ne détaille son aspect physique, le seul renseignement avéré est son passé d’ange de lumière ».
Il faut donc inventer. Montrée plus haut, la scène de la mosaïque de Ravenne est un des premiers essais. Le portrait évolue aux XIe et XIIe siècles grâce à des moines visités par le Malin. Une nuit, le bénédictin Raoul Glaber voit s’approcher de son lit « une espèce de petit bonhomme horrible à voir ». L’intrus possède une barbe de bouc, une bosse sur le dos et surtout — tremblez chers lecteurs et lectrices — des « fesses frémissantes » !
L’art roman, puis gothique précise l’image. Elle emprunte autant à la mythologie gréco-romaine qu’à la culture populaire. Dans ce mélange, on reconnait les satyres, créatures antiques mi-homme mi chèvres. On devine aussi un peu des goubelins et autres lutins. Le résultat doit obéir à deux principes :
- Inspirer l’effroi aux spectateurs. La laideur du diable s’intègre dans le « christianisme de la peur », développé par l’historien Jean Delumeau. L’image repoussante du diable et la perspective des tourments infernaux doivent inciter les chrétiens à se corriger et à obéir à l’Église.
- Rendre visible aux spectateurs le caractère vicieux du personnage. « Le corps reflète l’âme », croit-on au Moyen Âge. Satan doit donc être doté d’un corps difforme et anormal.
Intégrant ces principes, les artistes se mettent au travail.
Reconnaître un diable
D’abord, peintres et sculpteurs puisent dans le monde animal pour traduire la monstruosité du diable. D’aspect globalement humain (anthropomorphe), il est revêtu d’attributs bestiaux. Les cornes sont fréquemment sa marque distinctive. Les doigts se transforment en griffes. Des crocs de carnivores lui poussent, sinon des poils. À partir du XIIIe siècle, les ailes de chauve-souris se substituent aux innocentes ailes d’ange. Le résultat est beaucoup plus terrifiant que le Satan de Ravenne.
Les artistes doivent aussi rendre l’aspect vicieux du Malin. Dans ce but, il le différencie nettement de l’aspect des saints personnages. Ces derniers se tiennent droits et apparaissent sereins. À l’inverse, le diable et les démons se complaisent dans le désordre. Leurs chevaux sont souvent hirsutes ; doués d’une vitalité inépuisable, ils s’agitent en permanence ; ils gesticulent. Leur occupation favorite : maltraiter les damnés en les piquant, en les traînant, en les tirant… Ils marchent nus, ils rient, ils grimacent : toute le comportement indigne d’un homme sage et vertueux.
Les ruses du diable
Fourbe, le diable quitte parfois son apparence monstrueuse pour tromper ses interlocuteurs. Il aime se glisser dans le corps d’une femme. Ainsi, il peut tenter de séduire les moines, contraints à la chasteté.
La métamorphose peut être animale. Au Moyen Âge, l’essentiel de la faune est considéré comme diabolique. Surtout le bouc, le singe, le crapaud, le serpent et… le porc. Les auteurs médiévaux n’auraient jamais donné le rôle du gentil aux trois petits cochons du célèbre conte.
On peut donc croiser le diable partout. De sorte que le chrétien est appelé à une vigilance permanente.
Aujourd’hui, le diable semble s’être retiré du monde. On ne le sculpte ou on ne le peint plus dans les églises. Cependant il continue à inquiéter certains fidèles. Pour preuve, en 2017, le diocèse de Rome peut encore s’appuyer sur 8 exorcistes. Ces prêtres consacrent leur journée à accueillir des possédés et à en chasser le démon. Aux dernières nouvelles, ils ne chôment pas.
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