Grâce à cet article « bas de la ceinture », vous saurez repérer les latrines dans un château fort (on ne sait jamais). Je vous donnerai aussi quelques notions d’hygiène médiévale. Surtout, vous comprendrez pourquoi des archéologues ne rechignent pas à fouiller leur contenu.
Il y aurait donc des choses à raconter sur les latrines. Oui, je vous garantis. Prenez Viollet-le-Duc. Dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française, non seulement il accorde une entrée aux latrines, mais il en fait l’éloge. De même le réputé castellologue Jean Mesqui trouve le sujet suffisamment incontournable pour y consacrer une petite dizaine de pages dans son monumental ouvrage, Châteaux et enceintes de la France médiévale.
Si de tels maîtres dissertent sur le « petit coin », j’en ai conclu devoir, à mon tour, mettre le nez dedans. Autant vous prévenir, ce ne sera sûrement pas l’article le plus raffiné de ce blog. Pardon d’avance.
Un Moyen Âge pas si sale
L’architecte du XIXe siècle, Eugène Viollet-le-Duc, admire les latrines des châteaux forts. Il s’en sert comme argument pour réhabiliter son cher Moyen Âge par rapport aux périodes suivantes.
Voici comment il se justifie. Au temps des chevaliers, les châteaux forts ne manquaient pas de latrines pour les seigneurs, la garnison et les valets. Précisément à Coucy, « les tours et le donjon du commencement du XIIIe siècle ont des latrines à chaque étage, construites de manière à éviter l’odeur et tous les inconvénients attachés à cette nécessité. Les latrines du donjon s’épanchent dans une fosse large, bien construite, et dont la vidange pouvait se faire sans incommoder les habitants ». Magnifique !
À l’inverse, Viollet-le-Duc déplore qu’après le Moyen Âge, au temps de Louis XIV notamment, on sacrifiât ces lieux d’aisance au profit de l’esthétique des façades. Si bien qu’à Versailles les gens n’avaient parfois d’autres choix que se soulager dans les corridors.
Tempérons le jugement de l’architecte, amoureux inconditionnel du Moyen Âge. Dans son château du Louvre, le roi Charles V (mort en 1380) fait peindre des croix sur les murs des escaliers dans l’espoir que ces signes religieux découragent les hommes d’uriner dessus. Astucieux, ce Charles V.
Cacher ou non la misère
À première vue, les latrines se ressemblent : il s’agit d’un simple siège percé d’un trou. En vous penchant dessus, vous vous rendrez compte que ce n’est pas si uniforme. Vous rencontrerez principalement deux types de construction :
- Les latrines à encorbellement. Dans ce cas, le conduit donne dans le vide. Plus exactement, les excréments tombent dans le fossé et les douves. Selon Jean Mesqui, ce sont les plus fréquentes.
- Les latrines à fosse, celles qui font l’admiration de Viollet-le-Duc au château de Coucy. Une fosse sert donc de réceptacle. Fosse que des vidangeurs curent à intervalle régulier… dans le meilleur des cas. En fait, certaines de ces latrines sont dites « à fonds perdu », car le propriétaire n’a pas conçu de système pour les nettoyer. Autrement dit, ça s’entasse. Au moins, les matières fécales échappaient au regard et au nez des visiteurs. Sophistication supplémentaire, des latrines étaient percées de soupiraux créant des appels d’airs et emportant ainsi les mauvaises odeurs. Un aperçu de l’ingéniosité des architectes médiévaux.
Où sont les toilettes, s’il vous plaît ?
Regardez les remparts ou tours d’un château fort. Une petite construction en surplomb s’y accroche parfois. Ce sont probablement des latrines à encorbellement. À moins que ce soit une bretèche, autrement dit un poste de tir pour les défenseurs de la forteresse. D’extérieur, il est difficile de distinguer des latrines à encorbellement d’une bretèche. Une astuce : entrez et vérifiez si un siège percé s’y trouve. Attention toutefois, des latrines pouvaient servir à l’occasion de bretèche.
Regardez à nouveau les tours du château fort. Une tourelle s’y accole parfois. Ce sont peut-être des latrines à fosse qui occupent l’intérieur. De la chambre ou de la grande salle du château, on y accède par un couloir généralement coudé. Un dispositif censé, encore une fois, empêcher la diffusion des mauvaises odeurs.
Dans quelques forteresses comme le Krak des chevaliers en Syrie, les latrines investissent une tour entière. On est loin de l’image de la cabane au fond du jardin. Les architectes médiévaux ne cherchent pas à cacher ces lieux d’aisance.
Désolé, c’est occupé !
Selon Jean Mesqui, quand ils se rendaient aux toilettes, « les personnages de haut rang, au moins ceux-là, aimaient à se faire accompagner d’un serviteur (ou d’une servante pour les dames), ne serait-ce que pour tenir le bougeoir ou pour porter l’étoupe de lin ou autres tissus nécessaires à la propreté ».
Je me demande si ce serviteur n’avait pas aussi pour rôle de barrer le passage à tout visiteur. Une façon médiévale de dire : « occupé ! ». Les latrines collectives ne s’embarrassent pas de ces préventions. Les soldats d’une garnison ou les moines d’une abbaye se soulagent les uns à côté des autres. À la une, à la deux, à la trois, poussez tous ensemble !
Comme le papier toilette, si moelleux et si doux, n’est pas encore inventé, il faut trouver d’autres solutions au Moyen Âge pour s’essuyer (je vous avais prévenu sur le haut degré de raffinement de cet article). Si Jean Mesqui évoque l’étoupe, ne négligeons pas des possibilités plus accessibles : le foin, les feuilles ou… un pan de son vêtement.
Maintenant que vous êtes au parfum, descendons dans ces latrines…
Fouiller le fond des latrines
Quelques archéologues se sont penchés sur le contenu des fosses. Ne grimacez pas. Au fil de siècles d’abandon, les matières se sont sédimentées et aseptisées. Surtout, les courageux fouilleurs se sont aperçus que les latrines recevaient des choses moins dégoûtantes que des excréments. Comme un dépotoir, on y jetait des gravats, des objets cassés, les restes du repas… C’est là que cela devient intéressant : leur étude apporte une foule d’informations sur le mode de vie et l’alimentation des occupants du château.
Au château de Blandy-les-Tours (Seine-et-Marne), les archéologues ont par exemple retrouvé des morceaux de verre plat, suggérant que les fenêtres étaient obstruées par un vitrage coloré. En assemblant des tessons de terre cuite, ils ont pu reconstituer la vaisselle utilisée dans la forteresse. À partir de ces débris, ils ont même deviné l’existence d’un poêle en carreau de céramique. Preuve qu’en ce lieu, hommes et femmes ne se réchauffaient pas uniquement avec le feu de la cheminée.
Des latrines à la table du seigneur, il n’y a qu’un pas
La méticulosité des chercheurs fut telle qu’ils tamisèrent et analysèrent les 1,10 m de « couche organique » (expression moins triviale pour désigner les excréments sédimentés). Ils en recueillirent les os, les pollens, les graines… Dans quel but ? Deviner le régime alimentaire des seigneurs, des soldats et des domestiques.
Sans surprise, ces gens consommaient des céréales et de la viande. Cependant, alors qu’on s’attendait à retrouver une part notable de gibier et de porc, les sédiments ont surtout livré des os de mouton, de bœuf et de poisson (notamment de harengs séchés). Pour le dessert, comptez sur des fraises et des raisins. Quelques rares traces de produits « exotiques » renvoyaient au statut social élevé des habitants : les scientifiques ont les preuves d’une consommation de figues et de pois chiches, importés certainement de Méditerranée.
Pour lire le résultat complet de ces recherches, soyez ravi : elles ont donné lieu à un livre entièrement et gratuitement disponible sur le web.
J’espère que, doués de ces nouvelles connaissances, vous visiterez le prochain château fort, aiguillé par une envie pressante d’aller voir les toilettes.
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