En quoi regarder un mur d’église peut-il être intéressant ? Pourquoi faut-il faire attention aux arcs ? Que déduire d’un édifice portant ce qu’on appelle des pinacles ? Au-delà de leur apparente banalité, ces détails témoignent de l’inventivité des bâtisseurs. Certains se révèlent des indices utiles dans la tentative de dater une église. Ne vous en privez pas !

appareil mur église
Un mur qui m’interpelle. De part et d’autre du contrefort, l’appareil diffère. Preuve de deux campagnes de construction.

Des murs à faire parler

Les murs semblent si neutres, si uniformes que notre regard les balaie sans y prêter attention. Au contraire, approchez-vous. Ils ont bien des choses à vous chuchoter pour peu qu’on essaie de les lire.

Si vous croisez quelqu’un qui se tient à quelques centimètres d’une paroi et qui le détaille, il y a des chances que ce soit moi. Lors de mes visites, je regarde toujours la constitution du mur, son mode d’assemblage. Ce que les maçons appellent l’appareil. Quelle est la taille des pierres ? Sont-elles parfaitement taillées à l’identique ? Sont-elles bien disposées en bandes horizontales ? De cette analyse, vous pouvez tirer une conclusion sur le soin apporté au bâti. J’en parle plus longuement dans cet article.

En m’approchant du mur, je recherche aussi son histoire. Une lecture attentive des pierres dévoile des traces d’extension et de reconstruction. Il suffit de repérer les modifications de l’appareil. Par exemple, une nef constituée de moellons, rythmée de contreforts plats et un chœur maçonné en grandes pierres, et raidi de contreforts à section carrée. Deux façons de construire, deux époques.

Enfin, amusez-vous comme moi à remarquer les graffiti. Autant de traces laissées sur la pierre par des artisans du bâtiment, des pèlerins ou de simples paroissiens. Vous distinguerez gravés des noms, des dates, des dessins. Je suis tombé sur des croix, des profils de personnages, des fleurs de lys…

Quand une église est bâtie en pierre calcaire, recherchez les graffiti. On aperçoit une roue, et des ébauches de cadran solaire et de fleurs de lys. Eglise de Saint-Grégoire-du-Vièvre (Eure)

Je trouve émouvant de lire ces messages, parfois cryptiques, plusieurs siècles après avoir été patiemment tracés par leurs auteurs. De ces gens modestes, oubliés de l’histoire, il nous reste ces simples marques.  

Découvrez la famille nombreuse des arcs

J’ai pris cette photo de l’église Saint-Quiriace de Provins dans l’idée de conserver l’image d’un chœur gothique primitif (c’est-à-dire des débuts de l’art gothique, au XIIe siècle).

saint-quiriace à provins
Choeur de l’église Saint-Quiriace de Provins (Seine-et-Marne).

En la regardant plus attentivement, je me suis rendu compte qu’elle pouvait illustrer une petite leçon sur les arcs. Les arcs, ce sont les courbes qui dessinent le haut d’une ouverture. Par exemple, le passage à gauche est surmonté d’un arc brisé. C’est-à-dire qu’il se termine en pointe. Vous en voyez aussi tout autour du chœur. Par contre, les baies du premier étage de ce même chœur, celles qui se trouvent sous les fenêtres, présentent un enchaînement d’arcs semi-circulaires. On les appelle arcs (en) plein cintre.

Arc plein cintre, arc brisé, vous tenez là le duo le plus courant de l’architecture médiévale. Au premier, on fait traditionnellement correspondre l’architecture romane. Au second, l’architecture gothique. Malheureusement, parfois cette attribution ne colle pas. Comme dans Saint-Quiriace de Provins. Comme je vous l’ai dit, le chœur de cette église est gothique. Or, il montre des arcs plein cintre. C’est la première surprise de ce monument. Pourquoi des arcs semi-circulaires dans cette construction gothique ? On peut imaginer la survivance de l’esprit roman chez les bâtisseurs locaux. Saint-Quiriace est, je le rappelle, une église gothique primitive.

Les tailleurs de pierre maniaient tellement bien le compas qu’ils ont inventé des formes autres que les classiques brisés et plein cintre. Regardez la série d’arcs à gauche au-dessus du grand passage. Ma photo les coupe, mais on peut quand même reconnaître des arcs trilobés.

Dans la prolifique famille des arcs, c’est le 3e type le plus fréquent. Il est pourtant beaucoup moins connu par les amateurs de patrimoine. Dommage, car il identifie à coup sûr une église gothique. Mieux que l’arc brisé. Qu’est-ce qu’un arc trilobé ? C’est un arc formé de trois lobes, comme ceux de votre oreille. Autrement dit, leur dessin compose partiellement les contours d’un trèfle. À l’avenir, prêtez attention à ces arcs négligés, mais courants dans les galeries, les balustrades…

saint-quiriace à provins
Quelques membres de la famille ARC : en 1, arc brisé surhaussé ; en 2, arc brisé ; en 3, arc plein cintre ; en 4, arcs trilobés.

Je laissais entendre une autre surprise dans cette église. Elle se voit dans le grand arc brisé à gauche. Il est assez singulier et pourtant, je ne m’en suis pas aperçu sur place. Comme quoi, il faut parfois regarder les choses à tête reposée. Voyez-vous sa particularité ?

Par définition, un arc est courbé de tout son long. Or, celui-ci a ses bases parfaitement verticales. Dans la famille des arcs, je vous présente l’un des nombreux fils de l’arc brisé : l’arc surhaussé. Enchanté.

Les pinacles, des mouchards de la datation

Vous avez sûrement déjà entendu cette expression : « porter quelqu’un au pinacle ». Autrement dit, on encense cette personne, on la place sur un sommet.

En architecture religieuse, c’est pareil. Les pinacles pointent habituellement au sommet de l’église. Ils surmontent les contreforts, les angles des clochers et les arcs-boutants. Ce sont des petits ornements en pierre qui se terminent en pyramides, parfois en cône. Sur les grandes églises, leur multiplication contribue à renforcer l’effet de verticalité.

pinacles
Une forêt de pinacles !

Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse ici. Les pinacles sont un indice simple de datation d’une église. Vous ne verrez qu’exceptionnellement cet ornement avant le XIIIe siècle. Soit parce qu’on n’en faisait pas, soit parce que, pièce fragile, ils se sont écroulés. Les pinacles ornent donc principalement les églises gothiques.

À la fin du Moyen Âge apparaît une variété du pinacle : le pinacle accolé. Il n’est plus forcément au sommet de l’église, mais se trouve plaqué contre un mur. Les églises dites « gothique flamboyante » adorent ce type d’ornement. Soyez ravi : il vous permet de dater l’édifice entre 1380 et 1550.

pinacle accolé
Le pinacle accolé, un ami pour celui qui recherche une architecture gothique flamboyante

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le pinacle disparaît au profit d’autres ornements verticaux comme le candélabre (une sorte de chandelier) et le pot à feu (un vase d’où jaillit une flamme). Autrement dit, par son utilisation assez restreinte dans le temps, le pinacle est un marqueur chronologique à ne pas négliger.

À votre tour

L’observation de ces détails que sont les pierres d’un mur, les arcs et les pinacles, vous ont-ils intéressé ? Avez-vous appris quelque chose ? Dans l’affirmative, tant mieux. Je vous avoue qu’il y a un an, je ne faisais pas du tout attention à ces éléments. Comme on dit, je n’avais pas l’œil.

Malheureusement, dans ma quête de savoir, je n’avais pas réussi à trouver un livre qui m’explique toute l’architecture religieuse de manière pratique : qui me fasse comprendre la logique d’une construction romane ou gothique, qui m’ouvre les yeux sur les détails, qui me livre les astuces pour dater facilement un monument… J’ai donc pioché dans différents ouvrages (certains écrits au XIXe siècle) et j’ai arpenté quantité d’édifices, l’appareil-photo en bandoulière.

Maintenant, je peux affirmer décoder les églises. Ce sera bientôt votre tour. Tout ce que j’ai appris, je l’ai compilé dans un guide numérique à double format :

Un aperçu des chapitres du guide

Un guide que je vous proposerai le 11 septembre. Je vous dévoilerai dans une semaine son contenu. Restez attentifs.