Laurent Hippolyte façonne des pierres pour les monuments historiques. Alors qu’il travaille encore à l’ancienne, les nouvelles technologies sont en train de transformer son métier de tailleur. Interview.
Comment êtes-vous devenu tailleur de pierre ?
Complètement par hasard. Mon grand-père était tailleur de pierre. Mais je n’avais aucun lien avec le métier. Je viens du secteur de la peinture-décoration. J’avais 29 ans quand j’ai fait un petit atelier à Luc-sur-Mer où une femme faisait de la méditation par la sculpture. Taper dans la pierre devait amener une libération. Pendant 3-4 heures, j’ai donc tapé dans le « caillou ». Ça m’a plu. Déjà dans la peinture, j’avais un rapport assez physique avec la matière. Cette journée-là a été une révélation.
Avez-vous suivi une formation ensuite ?
Oui, je suis parti à Bordeaux où l’AFPA [NDLR : Centre de formations professionnelles qualifiantes pour adultes] proposait une formation « taille de pierre ». Elle donnait l’équivalent d’un CAP au bout de 6-7 mois. On y apprend la taille et un peu de trait.
Qu’est-ce que le trait ?
En charpente et en taille de pierre, c’est le dessin. C’est très important de maîtriser le trait. J’ai travaillé la menuiserie avec mon père. Donc je connaissais le trait, mais plutôt dans le bois. Bien dessiner, ça m’a beaucoup aidé en taille de pierre. Ainsi que bien visualiser un objet en 3 D.
Qu’avez-vous fait après votre formation à l’AFPA ?
J’ai travaillé dans plusieurs entreprises sur Bordeaux pendant 1 année. Puis je suis retourné à l’AFPA pour passer un diplôme supérieur, l’équivalent d’un bac pro, celui d’aide-appareilleur. L’appareilleur fait les relevés des pierres, fabrique les panneaux (NDLR : les gabarits qui servent à tracer les profils et les contre-profils des pierres taillées). L’appareilleur fournit le travail aux tailleurs de pierre.
Sur les chantiers de monuments historiques, quels types de pierres devez-vous tailler ?
L’architecture des bâtiments est très large. Je peux faire des parallélépipèdes, des jambages (parfois moulurés), des bases, des colonnes, des petits chapiteaux, des mascarons [NDRL : figure ornant le sommet d’un arc], des voussoirs [NDLR : pierres composant l’arc d’une voûte, d’une arcade, d’une porte…].
Vous travaillez actuellement sur la basilique Saint-Seurin à Bordeaux. Quels sont les problèmes sur ce monument, qui nécessitent votre intervention ?
Il y a des joints qui sont devenus perméables (ils ont été faits au ciment) et ça fait éclater beaucoup de pierres. Le sel dissout la pierre qui finit par s’éroder. La pollution a noirci les façades, créant à certains endroits une croûte dure. Mais aussi le temps qui passe et le bâtiment qui bouge font des ravages.
Comment enlevez-vous une pierre endommagée ?
Par refouillement [NDLR : par creusement de la pierre]. On burine un peu, on enlève une certaine épaisseur de pierre jusqu’au joint. En général, ça s’enlève assez facilement. Par contre, si on enlève la pierre d’un arc, il faut d’abord construire un veau, une structure en bois, qui va tenir la totalité de la voûte, afin d’éviter l’écroulement.
Travaillez-vous en atelier ou sur place ?
Parfois, on travaille pour de grosses entreprises. Alors, on fait tout en atelier. À Saint-Seurin, je travaille au pied du chantier. Parce que là je m’occupe de tout : des relevés, de la taille et de la pose.
Qu’est-ce que le relevé ?
Je prends la forme des anciennes pierres. Quand elles sont trop abîmées, il faut estimer à quoi elles ressemblaient. À partir de ces mesures, je conçois les gabarits pour tailler les pierres neuves.
Dans votre travail utilisez-vous les mêmes techniques qu’au Moyen Âge ?
Tout à fait. A part l’épannelage [NDLR : première étape de dégrossissage de la pierre] pour lequel on utilise la disqueuse. Sinon, ce sont les mêmes outils : le ciseau et la massette. Selon l’étape, ce n’est pas le même ciseau : d’abord le grain-d’orge (qui possède des dents), puis la gradine (qui se terminent aussi par des dents, mais plates) enfin le ciseau coupant pour la finition.
Taillez-vous d’autres pierres que la pierre calcaire ?
Je taille toutes les pierres. Si elle est plus ferme, je change juste d’outils.
Sur quels monuments avez-vous travaillé ces dernières années ?
J’ai travaillé sur le pavillon des ducs de Vendôme à Clichy [NDLR : un hôtel particulier du XVIIe siècle], sur l’orangerie du château de Versailles. J’ai fait des relevés sur la Sainte-Chapelle. J’ai travaillé sur la tour Saint-Jacques-de-la-Boucherie à Paris. J’ai taillé des pierres pour la cathédrale de Meaux et pour le palais de justice à Rouen.
Quel chantier vous a semblé le plus passionnant ?
C’est la tour Saint-Jacques. En un an, on a sorti à la main près de 400 m³ de pierre. Il y avait une super ambiance entre les 6-8 tailleurs de pierre, le chef de chantier, l’équipe de pose. C’était un lieu exceptionnel pour apprendre et partager.
Quel est l’avenir du métier de tailleur de pierre ?
Je ne sais pas trop ce que cela va devenir. On forme de plus en plus de tailleurs de pierre, mais on va de plus en plus vers des machines à commande numérique. Bientôt il n’y aura plus que des maçons : ils posent, ils font des joints et puis voilà. Il reste de rares chantiers où des entreprises continuent à tailler à la main.
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Laurent Hippolyte est tailleur de pierre et appareilleur. Voir son site.
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