Les églises étaient bien plus colorées qu’on le pense. Des décors peints, mais aussi des scènes figurées, recouvraient autrefois les murs. Lancée dans un inventaire des peintures normandes, Roselyne Fouques nous livre les premiers résultats de ses recherches.
Laurent Ridel : Dites-moi si je me trompe. J’ai l’impression que les peintures murales se trouvent principalement dans le sud de la France, là où le climat est moins humide ? Est-ce un préjugé ?
Roselyne Fouques : C’est souvent ce qu’on dit, mais cette idée est de plus en plus nuancée. C’est vrai que le climat méridional favorise la préservation de grands ensembles peints, mais on repère des traces de peintures murales dans la France du nord, et on en découvre de plus en plus. Qu’importe la taille de l’église. Même des sites isolés peuvent révéler des surprises. Récemment, on m’a envoyé des photos d’une petite église rurale où une peinture se cachait derrière un retable à restaurer.
Pourquoi peignait-on l’intérieur des églises ? Est-ce simplement pour décorer ?
Oui, on ne peut pas discuter ce rôle décoratif. On recouvre par exemple les murs d’un faux appareil (NDLR On simule une belle maçonnerie de pierres taillées en peignant les joints).
Cependant, les images ont aussi une fonction pédagogique à l’attention des fidèles. On représente le bien ou le mal. Dans l’église de Loucé (Orne), le mur nord de la nef est entièrement peint de scènes infernales.
Au regard des armoiries, je note aussi une fonction politique des peintures. Les frises héraldiques montrent le pouvoir et les alliances à tel moment. C’est une manière pour les commanditaires de se faire voir, d’indiquer leur rôle de mécène.
Les artistes représentent aussi la vie quotidienne. Dans la chapelle de Sainte-Marie-aux-Anglais (Calvados), l’arc triomphal figure les travaux des mois. On reconnaît davantage ce type de scènes dans les édifices civils.
Certaines peintures font probablement écho à des événements contemporains. Dans la petite église de Saint-Martin-des-Champs près d’Argentan (Orne), on voit figurer un lansquenet (un mercenaire allemand), des huguenots, deux femmes attachées… Un possible rappel des guerres de Religion, Argentan ayant beaucoup souffert à cette époque.
On parle souvent de fresques pour désigner les peintures murales. Est-ce le mot qui convient ?
Je préfère conserver l’expression « peinture murale », car la fresque désigne une technique particulière. On superpose trois couches d’enduits frais. Mais, au Moyen Âge, notamment en Normandie, on peignait principalement les murs à la détrempe, c’est-à-dire que les pigments sont liés par une émulsion naturelle comme le jaune d’œuf ou le lait de chaux. Dès le XIIIe siècle, la technique de la peinture à l’huile est utilisée dans la cathédrale de Bayeux.
Quelles scènes sont représentées sur les murs des églises ?
Bien sûr, les scènes religieuses sont privilégiées : le cycle marial (les scènes de la vie de la Vierge), le cycle de la Passion (les derniers événements de la vie du Christ), la Nativité, la vie des saints…
J’ai évoqué des scènes de la vie quotidienne (travaux des champs, chasse…), les armoiries qui sont comme les ancêtres de nos signatures.
Enfin, il ne faut négliger toutes les peintures décoratives dont le rôle est de souligner l’architecture : le faux appareil, les arcades trilobées ou plein cintre…
Connaît-on les auteurs de ces œuvres ?
Très très rarement. À travers la lecture des archives, il arrive de tomber sur le nom d’un peintre. Finalement, les signatures sont plutôt indirectes : on reconnaît la technique d’un l’artiste d’un monument à l’autre, la même façon de faire un visage ou un drapé. Mais le nom de l’auteur est généralement passé sous silence, comme d’ailleurs chez les architectes.
Quelles couleurs utilisait-on au Moyen Âge ?
On utilisait surtout des ocres et ses dérivés (rouge, jaune), du blanc aussi, un peu de noir. À la fin du Moyen Âge, au XIVe siècle, s’emploient de plus en plus le bleu et le vert que l’on voyait rarement auparavant. Fabriquées à partir d’oxydes de fer, ces deux couleurs coûtent néanmoins plus cher. S’insèrent aussi dans les peintures médiévales des dorures.
Peignait-on sur les murs extérieurs ?
Oui. Par exemple, à Norrey-en-Auge (Calvados), une église que j’ai particulièrement étudiée, on arrive à voir — cela dépend de la lumière — un faux appareil agrémenté d’une quintefeuille noire (NDLR Feuille à cinq pétales). Les portails des cathédrales, comme à Sées, les arcs des portes laissent deviner des restes de peintures. De même, sur les murs de certaines églises de campagne, subsistent des traces de litre funéraire (NDRL bande noire qui fait le tour de l’édifice, sur laquelle sont apposées les armoiries du seigneur local défunt).
S’est-on arrêté de peindre les églises après le Moyen Âge ?
C’est une fausse impression. Certains livres expliquent que l’avènement de l’art gothique, à cause de ses grandes ouvertures, a sonné la fin de la peinture monumentale. C’est faux. Déjà parce que cela n’empêchait pas de peindre l’intérieur des baies (les ébrasements). Certes, les peintures occupent moins de place, mais on continue à peindre à l’époque moderne. On constate même une recrudescence au XIXe siècle. Se développe un courant néo-gothique dans la décoration des églises.
Depuis son master Histoire à l’université de Caen, Roselyne Fouques entreprend un recensement des peintures de Normandie. Entrepreneuse, elle a créé le cabinet Aliénor qui, pour le compte de collectivités territoriales, d’associations, d’entreprises ou de particuliers, fait des recherches historiques ou participe à la mise en valeur du patrimoine local.
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