À voir leurs gros blocs bien taillés, des églises semblent bien bâties alors que d’autres constructions paraissent moins soignées. Une simple question d’argent ? Pas toujours. Voyons comment mieux regarder les murs d’un monument.
L’idée de cet article vient de Thomas, un lecteur régulier de ce blog. Il m’a envoyé un message suite à sa visite de plusieurs abbayes normandes. Son constat peut s’appliquer à n’importe quel site en France et vous vous êtes sûrement fait la même remarque. Voici ce qu’il m’écrivait :
« Prenons l’exemple des deux grandes abbayes de Caen : la Trinité et Saint-Étienne. Elles sont bâties uniquement de beaux et gros blocs de pierre calcaire tandis que l’abbatiale Saint-Vigor-de-Cerisy [dans le département de la Manche] est faite de bric et de broc ; on y trouve 4 voire 5 pierres de différentes couleurs, si ce n’est plus. Cela donne l’impression qu’on y a empilé n’importe comment tout ce qu’on pouvait trouver par terre ».
Autrement dit, Thomas juge la bonne qualité du bâti à l’emploi de blocs taillés et à l’uniformité des pierres. A-t-il raison ? Comme j’ai l’esprit de contradiction, je vais lui donner tort (juste un peu).
L’indice de qualité n° 1 pour une maçonnerie : l’appareil
Plantez-vous devant une église et analysez ses murs. Précisément, regardez l’agencement des pierres, ce qu’on appelle en architecture l’appareil. Vous devriez tomber sur un des trois cas suivants :
– Le bel appareil. Les blocs sont taillés à angle droit et disposés en rangée parfaitement horizontale. C’est la Rolls Roy des constructions maçonnée. Le bel appareil nécessite de trouver des carrières de pierre et de faire appel à des artisans rares : les tailleurs. Raison pour laquelle seuls de riches commanditaires peuvent construire de cette manière.
– L’appareil en moellons. Dans ce cas, les pierres ne sont non pas taillées, mais plutôt dégrossies. C’est la qualité intermédiaire, la qualité berline.
– L’appareil en bloc naturel. Les bâtisseurs utilisent les pierres qu’ils trouvent dans le sol et les disposent directement dans le mur. Ces pierres sont plus ou moins noyées dans un mortier. Cette mise en œuvre nécessite peu de travail et donc coûte peu. Pas besoin de tailleurs, juste des maçons. C’est la Clio des constructions (désolé pour les propriétaires d’un tel modèle).
Mixer les appareils
Prenons un exemple réel : l’abbatiale de Saint-Vigor-de-Cerisy que Thomas jugeait mal bâtie. Certaines parties de l’édifice sont tout de même soignées. Par exemple, le chevet (l’arrière de l’église). Du point de vue de l’appareil, on se situe entre la Rolls Royce et la berline.
Vous voyez deux types de pierres appareillées différemment. D’abord du schiste, une pierre locale, cousine de l’ardoise. Deuxièmement, de la pierre de Caen blanche, grise. Elle constitue notamment l’encadrement des fenêtres et les contreforts. Comme vous le constatez, le schiste est dégrossi en plaque, soit le niveau 2 d’appareil tandis que la pierre de Caen est utilisée en bel appareil. En résumé, certaines façades peuvent proposer des appareils mixtes.
Sûrement que les bâtisseurs n’avaient pas les moyens de tout construire en bel appareil. Et à Cerisy, avec le temps, ça ne va pas s’arranger. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’abbaye a dû engager des travaux urgents après avoir subi plusieurs malheurs imprévus : incendie, tremblement de terre… Les moines n’ont pas fait reconstruire les parties abîmées ou éboulées avec autant de soins que les parties anciennes préservées. Ils se sont contentés d’élever les nouveaux murs en bloc naturel. D’où l’aspect patchwork de l’abbatiale. Beaucoup d’autres édifices conservent ces traces de reprises et de restaurations, qui peuvent casser l’uniformité de la maçonnerie.
Une question d’argent ?
Ne réduisez pas la qualité de construction à des capacités de financement. Si les abbayes de Caen ou les églises au bord de la Loire utilisent de la belle pierre, c’est qu’elles se trouvaient en abondance sous leur pied. Autrement dit, la nature du sous-sol facilite parfois la vie des bâtisseurs. Dans des régions dépourvues de carrière, on a dû se contenter des cailloux extraits de la terre.
Histoire de continuer à démontrer que la question de l’argent peut être accessoire, je vais vous parler de la cathédrale Sainte-Marie de Bayonne. Elle fut construite au Moyen Âge en pierre ocre (la pierre de Mousserolles). Mais comme souvent, les bâtisseurs laissèrent le monument inachevé. Ce n’est qu’au XIXe siècle, que l’évêque mit les moyens pour terminer l’édifice. Pour cet ultime chantier, l’architecte Émile Boeswillwald (prononciation incertaine) employa une autre pierre : la pierre de Bidache. Pourquoi ? Probablement parce que les carrières d’origine étaient épuisées. Le résultat de ce changement interpelle : les parties anciennes de la cathédrale sont jaunes et les parties plus récentes, sont grises.
Utiliser différentes pierres n’est pas un indice de mauvaise qualité
C’est là que je nuance l’avis de Thomas. Quand plusieurs pierres cohabitent dans un édifice, ce n’est pas toujours la preuve d’une construction négligée. Bien au contraire.
Par exemple, les bâtisseurs ont pu associer différentes pierres pour jouer sur leur couleur respective. Cette polychromie traduit une recherche esthétique. Les murs de l’abbaye de Cerisy pourraient bien illustrer ce but.
L’utilisation de plusieurs pierres se justifie aussi pour des raisons pratiques. En effet, chaque type de pierre a ses propriétés, ses qualités. Autant en profiter. Certaines pierres sont par exemple réputées peu poreuses et résistantes à l’écrasement. Logiquement les architectes les placeront au niveau des soubassements, car elles empêcheront les remontées d’eau et supporteront le poids des murs. D’autres types de pierre se taillent facilement, car elles sont tendres. Elles seront utilisées pour les éléments sculptés du bâtiment. Etc.
Reprise d’un mur, recherche de polychromie, exploitation des qualités de chaque pierre, vous connaissez quelques raisons à la multiplicité des pierres sur un même monument. Donc, n’hésitez plus, à l’occasion d’une visite d’église (ou même de château), à vous approcher des façades. Examinez leur appareil. Vous rappelez-vous les trois cas de figure ?
Si vous voulez continuer à mieux lire les monuments, le formulaire ci-dessous vous permet de télécharger un document sur l’architecture des églises. Vous y apprendrez notamment à différencier les styles roman, gothique, classique, etc. J’insiste sur mon but : que vous soyez votre propre guide lors de votre prochaine excursion patrimoniale.
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